Lorsque nous nous sommes quittés il y a quelques semaines, Cartier venait de prendre possession au nom de la couronne d’une nouvelle terre qu’on appellera bientôt « Nouvelle-France ».
Mais alors encore point de trace de la « Capitale Nationale ».
Cartier meurt en 1557, dix ans après son principal souteneur François Ier.
La France entre en guerres de religion et les explorations ne sont guère menées avant l’Édit de Nantes (1598), hormis un épisode en Amérique du Sud (Brésil notamment). On maintient néanmoins des relations de commerce et d’exploitation avec les terres découvertes par Cartier.
Très tôt la pêche y est établie au large de Terre-Neuve, le commerce des fourrures commence à s’établir dans le coin de Tadoussac.
En 1597 c’est le breton Troilus de la Roche de Mesgouez (plus connu sous le nom de « de la Roche ») qui représente la première tentative de compagnie en établissant son camp de base en Nouvelle-Écosse. Partant de Canso, il ravitaille la métropole chaque année en poissons et autres merveilles des terres nouvelles. Cette tentative se termine hélas par une mutinerie en 1603 et le rapatriement de 11 survivants.
Mais l’exportation a déjà créée des besoins. Outre la mode des peaux de castors sous diverses formes, le poisson des pêcheries est un mets couru qui souffre de concurrence. Bretons, normands, portugais et espagnols se disputent les bancs et la couronne française rêve d’asseoir son exclusivité sur ces terres, les anglais s’y pointant déjà (terre de Baffin).
Mais avant Champlain, ce sera le courageux Pierre Chauvin dont Tadoussac porte encore les fières traces qui établira un poste de traite de fourrures. Henri IV lui ayant concéder le monopole sur la région, il part s’y établir dès l’été 1600. Il laisse 16 hommes sur place pour l’hiver, dont son frère ou son gendre (ceux qui sont allés à Tadoussac se souviennent peut-être de la plaque et de ce qui y est dit). À son retour au printemps, il reste 5 hommes qui n’ont survécu que grâce à l’amitié indienne.
Pour affermir leur mainmise sur le Canada et combler leurs rêves de grandeurs, les différents États ont besoin d’exploiter les terres qu’ils possèdent mais ont également besoin alors de prouver qu’ils y vivent. Le peuplement et le commerce seront donc les maîtres d’?uvres des destins des différentes colonies des couronnes européennes.
Les compagnies sont fondées, très tôt dans l’histoire, comme les sociétés de capitaux. Des associés s’unissent en apportant une part du patrimoine pour obtenir le droit de traite des fourrures exclusif, celui de pêcherie, celui d’exploitation du bois, bref la « mise en valeur » du territoire.
Le siège social reste dans la métropole mais la compagnie est propriétaire du territoire que lui concède la couronne dans l’exercice de ses fonctions et les compagnies s’engagent en général à peupler la colonie (vrai pour les Antilles et la Nouvelle-France) et à la faire fructifier, en louant les terres aux colons et aux entrepreneurs.
Parlant de peuplement, les compagnies exercent alors une espèce de parrainage collectif en fait, pendant X années ou pour atteindre X colons, nombre fixé comme étant le minimum vital pour que la colonie prospère. Elles attirent les colons, les transporte, les fixe à une terre louée à rentes ou à cens et assurent leurs subsistances durant un temps donné. Rien ne se crée?
Elle exerce également les pouvoirs royaux sur le principe féodale de suzeraineté, prélevant les taxes, exécutant la justice et gérant les groupes locaux. Le gouverneur est nommé par le roi comme représentant du roi et chef suprême de la colonie mais son poste est en lien avec la compagnie qu’il représente. Le roi conserve le droit de révoquer la compagnie.
L’état en retour leur confie un monopole sur l’exploitation des ressources de la région et leur commerce pendant plusieurs années (11 à 40 ans dépendant des compagnies) et s’assure tant bien que mal de les protéger sur les mers des pilleurs.
On sait que ce système de colonie n’a guère eu de succès, alors pourquoi j’en parle donc?
Parce que de nombreux épisodes de l’histoire civile du Québec en sont partis. La relation avec la métropole est aussi fondée sur ce rapport, des grands noms de l’histoire québécoise sont issus de ce système également. Et le parallèle entre la « colonisation » économique et l’immigration économique serait tentante . Les conditions sont différentes, les buts sans doute aussi mais tout de même, que des milliers de colons français aient quitté un territoire dont ils savaient beaucoup pour un où ils ne savaient rien, tentés par, par quoi tiens? La possibilité d’avoir une terre? La possibilité de se marier (les filles du Roy)? La possibilité de recommencer ailleurs et mieux peut-être que sur les terres natales? Et il est tout de même intéressant de voir que les conditions étant ce qu’elles étaient à l’époque, tant d’hommes et de femmes aient pu survivre là où nous nous plaignons si facilement donne des perspectives différentes, non? Pensez donc à ces colons poitevins qui durent endurer leur premier hiver sans électricité ni chauffage ? Oh oui le bois des cheminées, certes, mais avez-vous récemment été en forêt en hiver avec pour seul source de chaleur un foyer au bois et comme seuls habits des fibres naturelles de laine et de coton?
Mais revenons à nos compagnies.
La Nouvelle-France, et parallèlement donc, la couronne française en verra des nombreuses entre 1608 et 1789. Les principales dans notre affaire seront sans doute la Compagnie de Canada en 1613 qui servira de soutènement à Champlain puis celle de Caen qui lancera la véritable machine des compagnies; la Compagnie de la Nouvelle-France dite « des Cent Associés » fondée en 1627 par Richelieu et qui établira des règles suivies par la suite comme la seule immigration des catholiques, la possibilité pour le clergé d’être membre des compagnies, le devoir d’évangélisation des compagnies et l’obligation de subvenir aux frais de cultes et le soutien des ministres du culte; celle de Louis XIV et de son ministre Colbert la Compagnie des Indes occidentales.
La Compagnie de Canada entre en fonction en 1615 avec un monopole sur la traite de 11 ans dans la vallée de Matane à toute la région supérieure du Saint-Laurent. En 1623, la Compagnie n’a encore amené qu’une cinquantaine de colons et favorise le commerce avant tout.
C’est sous le monopole de la Compagnie du Canada que le bon Louis Hébert, le premier colon officiel de la Nouvelle-France qui fut aussi de l’expédition de 1604 en Acadie avec Champlain et de Monts, arriva accompagné de sa femme, de leurs enfants et de son beau-frère.
Cet homme dont on trouve trace à Québec (à vous de trouver la plaque commémorative 😉 ) était apothicaire de son état. Et vu son acharnement constant à revenir en Nouvelle-France, on peut dire qu’il avait vraiment envie de s’y installer.
Ainsi en 1604, il embarqua avec Samuel de Champlain et Pierre du Gua de Monts (qui avait lui-même déjà accompagné Chauvin à Tadoussac) pour aller s’établir sur l’île de Sainte-Croix. Louis Hébert agissait alors comme homme de médicine, cultivant des herbes médicinales présentées par les Micmacs.
Lorsque cet établissement échoue, il retourne à Paris à sa boutique d’apothicaire avant de revenir en 1617 tentait l’aventure en Nouvelle-France.
Champlain perd toute confiance en la Compagnie de Canada et multiplie les démarches pour que lui soit soustrait le monopole. La Compagnie est agacée et tente de lui faire enlevé ses pouvoirs de commandant de la colonie mais en 1619 il est maintenu en place par le duc de Montmorency. En 1620 le monopole passe à la nouvelle Compagnie de Caen pour 11 ans, monopole qui n’inclut alors plus la pêche et n’implique l’installation que de 6 familles en 11 ans.
En 1624, Richelieu arrive en place et se fait convaincre par Champlain. La Compagnie de Caen s’est fait des ennemis, Champlain n’en est pas satisfait et en 1627, elle est abolie et remplacée par la Compagnie de la Nouvelle-France ou « des Cent Associés », en référence au nombre des actionnaires qui la compose.
Bien que l’on ne soit pas entièrement d’accord sur la répartition sociale des membres, la compagnie compte néanmoins des gentilshommes, des seigneurs, des marchands, un notaire, un médecin et premier fait notable plusieurs religieux dont Richelieu lui-même qui en est à la tête.
La Charte des Cent-Associés inclut notamment le devoir de faire passer 200 à 300 hommes par an puis jusqu’à 4000 par la suite d’ici à 1643, tous catholiques et français second fait notable. Le devoir de peuplement y est alors grandement impliqué.
La Charte implique aussi l’établissement de au moins 3 religieux en charge de la vie morale des colons, et oblige la Compagnie a en prendre soin, troisième fait notable. Enfin, on écrit que tous les descendants de colons qui resteront en Nouvelle-France (qui s’étend dans la Charte jusqu’en Floride! L’engouement québécois vient-il de là?) et tous les « sauvages » (sic) qui seront évangélisés et baptisés seront considérés comme Français.
En 1644, alors que la colonie est dans un piètre état, la Compagnie des Cent-Associés est en faillite. Champlain est mort, Québec a subi une première conquête anglaise, les Iroquois, les Algonquins et les Hurons sont en guerre. La Compagnie des Cent-Associés, pour se relever, cède une partie de son monopole à la toute nouvelle Compagnie des Habitants dirigée entre autres par Pierre Le Gardeur de Repentigny, un proche du gouverneur de Montmagny. Cette Compagnie fait rapidement des bénéfices mais le partage en est inéquitable. En 1659, elle cède elle-même une partie de ses droits à une autre compagnie et disparaîtra définitivement, après un bref sursaut, en 1663, en même temps que celle des Cent-Associés.
La Nouvelle-France compte alors 2500 personnes, hors Acadie déjà occupée, dont la moitié provient de l’immigration et l’autre moitié des naissances! La totalité des colons représentent alors environ 400 et quelques familles, majoritairement de Perche et de Normandie. Ils sont majoritairement laboureurs et défricheurs mais on compte néanmoins des maçons et des charpentiers, utiles à l’édification des nouvelles villes de la colonie, des soldats, des marins et quelques autres métiers divers constituant les bases d’une nouvelle société en pleine expansion. Ces colons se répartissent alors à Québec (fondée en ? ben oui 1608!), Trois-Rivières (1634) et la petite dernière Ville Marie, future Montréal, fondée en 1642.
C’est Louis XIV qui reprendra les politiques coloniales en accédant au pouvoir, avec l’appui de Colbert. Il réforme d’abord le système politique en Nouvelle-France en faisant du gouverneur le représentant du roi exclusivement et en l’asseyant sur un siège éjectable en tout temps. C’est Augustin de Safray de Mézy qui s’y colle donc le premier.
En 1664, Louis XIV crée la Compagnie des Indes occidentales, qui a en charge : le Canada, l’Acadie, Terre-Neuve, de la Virgine à la Floride, de l’Orénoque à l’Amazone, les Antilles, en Afrique du cap Vert au cap de Bonne-Espérance. Si la pêche est libre, la Compagnie a un monopole de 40 ans sur le commerce et la navigation. Elle doit subvenir aux frais du culte et des missions, et pourvoir à la colonisation, sans directives quantitatives pour autant. La compagnie ne sera jamais très en veine, tournée vers le commerce sur un territoire voué à la colonisation, et le roi la révoque en 1674.
C’est dans le temps de cette compagnie que Jean Talon sera nommé intendant de la colonie et c’est lui qui notamment mettra des bâtons dans les roues de la compagnie en veillant fort bien au développement de la colonie par le recrutement de colons, le développement du territoire dans ce but, et non dans celui du commerce, en prévoyant l’établissement des villes de manière à ce que l’agriculture se développe facilement, de manière diversifiée. Malgré les réticences du roi et de Colbert, il parviendra à faire passer 2500 français au Canada pour atteindre 6700 habitants en 1672. C’est sous Talon que les Filles du roi arrivent. Et contrairement à une vieille légende ce ne sont ni des prisonniers ni des prostituées qui fonderont la Nouvelle-France mais des filles orphelines et pauvres qui viendront prendre mari, des familles pauvres rêvant de mieux être en Nouvelle-France, assurées qu’elles étaient d’avoir un moins un lopin de terre pour s’établir, et d’autres engagés du genre, plus pauvres que malhonnêtes.
C’est aussi l’époque des premières allocations familiales puisque chaque famille de 10 enfants et plus reçoit un paiement du roi, et on exclut du compte des enfants ceux qui sont entrés en religion. On pressure tellement la population pour l’accroissement que les jeunes hommes venus au Canada pour l’aventure tentent de se soustraire aux obligations de mariage par une nouvelle mode : la course des bois!
Enfin Talon veille au développement de la colonie en oeuvrant pour le développement de son industrie.
Talon quittera le Québec en 1672 et tentera d’y revenir en 1681, mais rencontrera l’opposition de sa hiérarchie ecclésiastique.
D’autres compagnies ont existées dans le paysage québécois et bien d’autres encore dans le paysage canadien (dont la plus célèbre reste sans doute la Compagnie de la Baie d’Hudson dont il reste encore une trace non moins célèbre, la compagnie La Baie) mais toutes n’ont pas eu les mêmes impacts que celles-ci. Par leur volonté d’exploitation du territoire, elles ont contribuées à amener le terreau fertile qui a permit l’édification de la société que nous connaissons.
Le français comme langue commune, le catholicisme comme pendant longtemps religion d’état, avec tout le mode de pensée et les valeurs qui s’y rattachent, mais aussi le mode d’organisation qui va avec, sont arrivés avec ces premières compagnies. Pas grâce à elles, mais avec elles. Avec cette soif d’expansion et de richesse qui courait dans bien des cercles de l’époque.
Parce qu’aussi longtemps encore les Compagnies ont subvenu aux besoins des colons mais surtout du clergé, le lien colonie-métropole a été fort et vital. Et c’est parce que ce lien-là existait si intense que lorsqu’il fut rompu su abruptement, la blessure a fait si mal.
Mais ceci est une autre histoire?.
Leave a comment