Leçon de conduite
Lorsque je suis arrivée à Toronto, comme tout bon nouvel arrivant, je me suis lancé dans la course aux diverses démarches administratives. NAS, carte de santé et bien sûr, échange de permis.
Depuis mai 2004, la province de l’Ontario a un accord avec la France ce qui nous donne la possibilité d’avoir accès au permis G si notre permis français a plus de deux ans.
Au début je me suis dit « ah ok » sans bien comprendre ce que cela signifiait. On donne son petit papier rose un peu trop pâle pour avoir passé quelques séjours en machine à laver et dont les 3 volets sont encore solidaires par un miracle inexplicable, on lit quelques lettres,vue parfaite, puis clic clac, la photo est prise et l’agent vous dit que vous allez recevoir votre permis par la poste.
En attendant, il vous donne un permis provisoire et « that’s it ». Ah bon ? heu rien d’autre ?
Non non, pas de code de la route ni de guide de survie sur les routes ontariennes ou de livret sur les quelques conseils utiles de la conduite en cas de neige. Non non rien, circulez.
Puis mon permis est arrivé par la poste. Format carte de crédit, photo numérisée (et là j’ai amèrement regretté d’avoir gardé ma doudoune et ma grosse écharpe, 5 ans à attendre pour pouvoir changer de photo) et code barre à l’arrière. Tu m’étonnes que les Canadiens ricanent en voyant notre pauvre bout de papier rose !
Mes amis me demandent dans quelle catégorie je suis et quand je leur explique que grâce au nouvel accord avec la France on a directement un G, ils sautent de joie pour moi. J’ai de la chance ! Ah bon ? Ben oui !
Après quelques explications sur le principe des permis G1 et G2, j’ai tout compris. Bonjour les restrictions ! J’invite donc les curieux à jeter un coup d’oeil sur ce site : http://www.mto.gov.on.ca/french/dandv/driver/gradu/index.html
Donc fière de mon permis G, j’ai eu envie d’aller voir ce qui se passait un peu en dehors de la ville. Direction le loueur de voiture. On donne sa carte de crédit, photocopie des permis. Et voilà, le 4×4 Ford qui est sur la place 54 est pour vous.
Dubitative devant la boite automatique, je laisse le volant à Sylvain qui m’explique patiemment que D « c’est pour Drive » P « pour Parking », R « pour la marche arrière » et que le reste je n’ai pas vraiment besoin de le savoir.
Ah ok, c’est facile alors.
On fait un tour, pour voir, puis je prends le volant. Passés les quelques instants de fierté « ouais, j’conduis un 4×4 » assez courts dès qu’on s’aperçoit que la norme canadienne est bien loin du format Twingo parisien et que finalement on conduit la même voiture que tout le monde, on fait un peu plus attention à ce qui nous entoure.
Mon sens de l’orientation étant aussi développé que les phases de réveil de mon chat en période d’hibernation, je me suis vite sentie perdue.
Tout d’abord, il faut apprendre à regarder en l’air. Tout est en hauteur, les panneaux, les feux tricolores, les feux clignotants qui signalent qu’un piéton traverse et les lignes au sol pas mal effacées par le salage de l’hiver (quand ce n’est pas recouvert par la neige).
Premier feu rouge, j’ai failli m’arrêter trop loin ! Et oui, des années à s’arrêter au feu et non à la ligne blanche 5 mètres avant ont eu raison de moi. Mon pied gauche cherche désespérément la pédale d’embrayage et appuie dans le vide, pendant que ma main cherche à passer une première fantôme.
Restons calme. Pourquoi il klaxonne d’abord l’autre derrière, c’est rouge non ? Ah mais je tourne à droite et on peut le faire au feu rouge sauf indication contraire. Encore aujourd’hui j’ai l’impression de braver un interdit à chaque fois que je le fais !
Le premier arrêt au stop n’a pas été pas mal non plus. Je m’arrête, jusque là tout va bien, j’attends, j’attends, j’attends « mais qu’est ce qu’il fait celui là ? Pourquoi il y va pas ? ». J’attends, puis finalement la voiture de droite fini par s’engager. Mon passager rigole.
Un carrefour, 4 stops. Et oui. Le premier arrivé passe et bizarrement personne ne triche. Ça me perturbe toujours autant.
Première fois sur l’autoroute. Tranquille. Vitesse limitée à 100 km et la peur du gendarme (enfin de l’OPP) fonctionne à merveille, peu de gens se permettent des excès de vitesse.
D’une parce que ça coûte cher et de deux parce qu’après l’amende il y a votre assurance qui augmente et en Ontario, particulièrement à Toronto, l’assurance automobile s’apparente étrangement à du vol organisé, surtout pour les nouveaux arrivants.
Mais bon, pour l’instant je suis sur l’autoroute en train de paniquer pour savoir si je dois prendre la 401 Ouest puis la 427 Est ou l’inverse, à moins que ce soit d’abord la 400 Sud, puis après… J’avais pris l’habitude des noms comme direction (A13 vers Paris, A15 vers Argenteuil) alors les 4 points cardinaux sur une autoroute quand on est obligé de se concentrer 10 minutes à Yonge et Bloor pour savoir où est le trottoir Sud-Est, c’est l’horreur.
Pour moi deux solutions : Un passager compréhensif qui donne des indications claires comme « prochaine à gauche » ou mémoriser le trajet dans ma tête avant de partir (dans mon cas, aller sur mapquest et apprendre tout par coeur). Les deux marchent plutôt bien, mais je souligne l’importance de bien choisir votre passager. S’il a un bon sens de l’orientation ça donne souvent ça : « nan tu déconnes là ? … Sérieux tu sais pas où t’es ??? Naaaaaan (c’est généralement à ce moment là que j’ai envie de larguer le passager sur le bord de la route, mais ça implique retrouver son chemin toute seule ce dont je suis souvent incapable. Mais tu reconnais pas là ? … attends on a juste pris à droite depuis Ossington et bon après on est parti au Nord et là… ». Et si le passager est vraiment trop compréhensif « attends mais le sens de l’orientation ça s’apprend pas, on l’a ou on l’a pas. C’est pas de ta faute ! ». C’est que généralement il est aussi mauvais que vous et qu’à priori vous êtes bons pour vous perdre. « on est où là ? Hum ??? ». Mais bon, si vous avez un sens de l’orientation correct, pas de soucis à vous faire, tout à base de perpendiculaires et de parallèles.
Une amie canadienne nous avait donnés un hiver sans voiture, pas deux. On lui avait ri au nez en disant que niveau transport en commun Toronto était super et que si on voulait sortir de la ville on pouvait toujours louer une voiture et que donc ça ne servait à rien d’en avoir une.
Un hiver passé à se nourrir exclusivement de ce qu’on trouvait au dépanneur du coin et à ne laver notre linge que lorsqu’on n’avait plus rien à se mettre aura eu raison de nos beaux discours.
Août 2005, direction Toyota pour signer un lease sur 4 ans. Le choix de la voiture a surtout été déterminé par le prix de l’assurance. Je vous passe les détails sur les arrachages de cheveux et les crises de rires (jaunes) lorsqu’on consultait les tarifs (et encore on avait un permis G).
Notre amie n’a toujours pas compris pourquoi nous avons pris une manuelle. On a eu beau lui expliquer que sinon on s’ennuie, que le seul intérêt de conduire c’est un peu de passer les vitesses, qu’on a plus de contrôle. Rien n’y a fait. Elle nous a regardé avec des yeux ronds en disant : « ben comment vous faîtes avec votre café ? ».
Ah…
Donc aujourd’hui je me suis bien habituée à la conduite en Ontario et j’ai repris mes bonnes vieilles habitudes de parisienne (chassez le naturel etc…), je.. hum, je râle beaucoup.
Je trouve que les gens sont très lents et qu’ils ne font pas attention à ce qui se passe autour d’eux.
Voici une liste non exhaustive, des petits travers des conducteurs ontariens (ça n’engage que moi):
Le clignotant signifie : attention faîtes place, je déboîte.
Donc si vous voyez votre voisin de file mettre son clignotant, méfiez-vous et commencez à freiner. S’ils ne mettent pas le clignotant, c’est généralement qu’ils ont la place pour changer de file.
Je coupe la route à deux à l’heure. Comportement malheureusement assez fréquent pour lequel j’ai trouvé une hypothèse pas des plus plausibles mais qui à mon avis ne se tient pas trop mal. Donc vous roulez tranquillement sur la route et vous apercevez au loin une voiture qui s’apprête à sortir d’un parking. Vous vous dites, non il ne va pas y aller, petit doute, puis non non il n’y va pas. Et quand vous vous y attendez le moins, c’est à ce moment là que la voiture s’élance, elle bondit sur la route … puis … vous passe devant à 2 à l’heure vous forçant à ralentir. Ma théorie est donc qu’au début ils vont vite parce qu’ils voient qu’il y a une voiture qui arrive, mais qu’une fois qu’ils se sont engagés ils vont doucement car ils ne regardent déjà plus la voiture (vous qui continuez à arriver sur eux) car ils sont trop concentrés sur la route.
Bref, vous l’aurez deviné, j’ai envie de leur tordre le cou à chaque fois et je me dis qu’en France au moins, ils passent devant, mais vite.
Mais finalement même si je me moque d’eux qui s’y reprennent à dix fois pour faire un créneau alors qu’il y aurait de la place pour deux voitures comme la leur, eux qui s’arrêtent en plein milieu de la rue parce qu’ils sont perdus, eux encore qui pour la plupart ne savent pas se servir d’une boite manuelle, je préfère me retrouver avec eux sur la route qu’en France.
Ici il y a toujours quelqu’un pour s’arrêter en cas d’accident et proposer de l’aide, quelqu’un qui spontanément va vous faire des petits signes de la main pour vous aider à faire votre malheureux créneau ou encore d’autres qui vont vous laisser traverser lorsque que les feux ne fonctionnent pas.
Une amie m’a raconté qu’il y a quelques semaines, elle était arrêtée à un feu. Il était 19h, et trois hommes cagoulés se sont approchés de sa voiture. Il y avait tellement de circulation, qu’elle ne pouvait pas passer le rouge. Le temps qu’elle enclenche sa marche arrière l’un des hommes avait déjà fracturé une de ses vitres. Par chance, elle a réussi à se dégager avant qu’il ne réussisse à rentrer. Comme tout le monde là bas, elle conduisait portes fermées à clé et sac sous son siège. C’était en France, en banlieue parisienne. Son histoire n’a pas vraiment eu l’air d’émouvoir les policiers qui ont quand même pris sa plainte contre X. Après ça je me suis dit que finalement ma chronique sur les conducteurs ontariens était un peu plate. De quoi je me plains ? D’être entourée de conducteurs pas franchement très doués mais toujours prêts à aider ? Je crois que la question ne se pose même pas.
Leave a comment