Quelle âge avez-vous?
La question de l’âge revient parfois dans les messages du forum, mais ce n’est pas de là que vient mon étonnement de ces derniers jours.
J’ai un fils de presque 23 ans, et je me vois toujours comme si j’avais cet âge-là moi-même, ou presque. Alors je devrais savoir que je n’ai plus 23 ans.
Depuis une semaine, j’ai eu le plaisir de réviser quelques CV’s de futurs immigrants, et sans tenir compte de la teneur proprement dite de leurs CV’s, j’ai à un moment réalisé que je pourrais être leur mère … et là, je me suis demandée comment aurais-je fait dans une situation analogue à leur âge ? Est-ce que j’aurais osé demander à une dame de la génération de ma mère de regarder mon CV ? Et eux, ces jeunes si pleins de courage et de rêves, comment me voient-ils, eux ?
Oh, j’ai eu un choc terrible en voyant les photos des 25 ans du bac (1978 …) avec toutes ces têtes chauves et grises, oui oui, GRISES !!! Est-ce que le fait d’avoir quitté mon village, mon pays, mon continent, m’ont fait perdre le fil et donc je n’ai pas réalisé qu’aujourd’hui, je suis plus vieille que ce que MA mère était quand elle est devenue grand-mère? Parce que je bouge tout le temps, le regard des autres n’est jamais comparatif avec la fille que j’étais, la jeune femme que j’étais. Et moi, je n’ai plus de repères dans ce domaine non plus puisque je ne vois que mes Parents (même pas mes frères) et ce juste une fois par an, et effectivement, je les vois décliner, eux (67 et 72 ans).
En particulier un CV d’une jeune fille du Havre m’a fait un de ces effets … Je me suis retrouvée transposée au Havre en 1973 … aaaaaah ! 1973 !!! Mais ça fait TRENTE-ET-UN ans !!! Comment est-ce possible ? C’était juste HIER que je m’en allais en train de Francfort à Paris où ma “corres” et ses parents venaient me chercher pour m’emmener chez eux au Havre. Je venais tout juste d’avoir 14 ans, j’avais laissé un Papa blessé jusqu’au fond de l’âme à la gare de Francfort (ehem, quand j’ai vu entrer le train en gare, j’ai pris ma valise, et sans lui dire au revoir, je suis montée dans le train – j’avais tellement peur de le râter …), et me voilà dans une grande ville au bord de la mer, yes ! Je pouvais aller à l’école avec Christelle si je voulais, mais j’étais aussi libre de me promener en ville où je voulais, ouaaaah ! Jamais, JAMAIS je ne pourrai oublier Le Havre qui a une valeur toute symbolique pour moi. Le Havre où j’ai grandi beaucoup et tout d’un coup, à raison de trois ou quatre fois deux semaines de vacances “de vendanges” en automne. Le Havre où un matin, j’ai décidé d’aller à l’école quand même parce qu’il ne faisait pas beau, et je me suis faite “coller” par la bonne soeur parce que j’étais arrivée en retard, et elle n’a jamais rien voulu savoir de mes protestations comme quoi que je n’étais pas une élève de cette institution, hihihi. Trente-et-un ans … c’est impossible ! Comment ça peut faire trente-et-un ans que je me promenais toute rêveuse sur le pier en prenant le vent de la mer de plein fouet dans mon visage en regardant au loin les maisons de Ste-Adresse, Le Havre où le Papa de Christelle m’a fait visiter le France en katimini un an avant qu’il arrête d’être le France, où je découvrais le Prisunic (si si, je vous assure ! n’oubliez pas que je suis Allemande), passer une demi-journée dans le petit magasin de petits animaux et produits de petit jardinage du papa de ma corres, être la reine de la classe de Christelle et la petite Allemande dans le coeur de sa grand-mère que nous appelions tous affectueusement Grossmutti, la liberté d’aller où je veux quand je veux, aaah, vent de liberté du Havre, fin de l’enfance, début de la vraie adolescence !
Et finalement, Le Havre qui est coupable de m’avoir fait aimer définitivement et inlassablement la langue française et qui a ouvert mes yeux sur le monde.
Il semble que je n’ai jamais pu en avoir assez de ce vent de liberté … puisque me voici au Québec. Trente-et-un ans plus tard ! Moi, la paysanne de ma classe au collège et lycée suis devenue globetrotteur infatigable, quelle ironie, n’est-ce pas ! Bien que … les trois filles traitées de paysannes (parce que nous vivions dans un village, nos parents n’étaient même pas agriculteurs) se sont expatriées: une comme prof d’allemand en Albanie, l’autre s’est mariée avec un soldat américain qui a fait la guerre du golf et ils vivent dans les Montagnes Bleues en Virginie, USA, et moi qui vis ici au Québec après avoir vécu en Bourgogne, France et Colorado, USA.
Alors je me demande, tous ces jeunes immigrants qui sautent un pas si grand à moins de 25 ans, où est-ce qu’ils se voient dans 31 ans ? EST-CE qu’ils se voient dans 31 ans ? Moi non, je ne me voyais pas, mais alors pas du tout, pantoute ! On ne sait pas ce que la vie fait avec nous, ce que NOUS faisons avec ce que la vie nous propose.
Plus que jamais, je vous encourage à réaliser vos rêves, chers futurs immigrants ! Personne d’autre que vous-même n’est apte à le faire. Vous voulez quelque chose ? Travaillez dans le sens qui vous permette de l’obtenir de façon honnête et durable. Demandez de l’aide au gré de vos besoins mais ne tombez pas dans l’assistanat. Gardez les vrais amis et laissez faire les autres sans vous fâcher avec eux – on ne sait jamais.
Vivez VOTRE vie, vous n’en avez qu’une. Le fils de 22 ans d’un collègue de travail de mon mari se meurt d’un cancer de la peau découvert en novembre dernier – ses semaines sont comptées. Il voulait absolument faire barman à Montréal. Eh bien, il l’a fait en décembre, juste avant de tomber en déclin le mois dernier. Ils ont pris une tonne de photos à Noël et il a l’air si bien. Dans quelques semaines, on suivra son cercueil dans un cimetière.
Ce qui est troublant avec les jeunes de 22-25 ans de 2004 c’est qu’il y en a comme vous qui êtes capables de vous prendre en main, de vous intéresser à ce qui se passe dans le monde, à faire des choix. Et puis il y a les autres, et le niveau d’éducation n’a strictement rien à voir : ceux qui le laissent vivre, ne décident rien ou écoutent celui qui crie le dernier ou le plus fort, qui restent habiter chez leurs parents parce qu’ils ne veulent pas prendre leur vie en main avec les responsabilités matérielles que cela représente. Alors je vous tire mon chapeau, vous les jeunes spécialement. Bravo pour votre motivation, votre énergie, votre volonté. Le Canada vous attend. Merci pour votre courage défendre, affirmer et vivre vos rêves !
N’attendez pas. Jeunes ou pas jeunes d’ailleurs. Il n’est jamais trop tôt ni trop tard pour prendre sa vie en main. Ne laissez pas les autres décider pour vous. Si eux ont l’égoïsme de vouloir vous retenir dans leurs plans de vie, alors VOUS ayez donc l’égoïsme de dire non si ce n’est pas ce que vous voulez. L’âge n’attend pas. L’âge vient. Qu’on le veuille ou non. Et je dois avouer que lorsque l’on me demande qui c’est sur la photo dans le couloir chez moi, j’ai un peu mal parce que je pensais toujours avoir la même tête … et ce n’est pas le cas. Ni dehors ni dedans. On change, on prend de l’expérience, des traits tant de caractère que physiques s’affirment. Faites que vous puissiez regarder en arrière et vous dire : “Oui, c’est à peu près ça que je voulais” ou “Je suis content(e) de ce que j’ai vécu jusqu’ici”.
Ah non, trente-et-un ans ….
Monika
Leave a comment