Élections provinciales au Québec.
Première partie.
Comme dans tous les pays où il a été décidé de laisser la parole au peuple, le Québec connaît lui aussi cette petite frénésie pré-électorale qui fait vendre les journaux, parler les spécialistes et bailler les enfants. Nous voici donc au beau milieu d’une campagne électorale québécoise dont les enjeux sont importants et peuvent parfois même influencer la vie des immigrants et des futurs immigrants.
Hyper-actif dans le milieu politique français durant dix ans, calmé depuis mais ayant des prédispositions à faire des rechutes, je vais tenter de vous expliquer le plus clairement possible ces élections.
Déclenchement des élections
Oubliez les dates plus ou moins fixes où doivent avoir lieu les scrutins. Au Québec, à l’instar de la Grande-Bretagne, c’est le chef du gouvernement qui décide de tout, dont le choix de la date (il y a des limites tout de même, rassurez-vous !). Ainsi, Bernard Landry, le Premier ministre actuel du Québec, dans une déclaration presque anodine le 12 mars dernier, annonce que les élections provinciales auront lieues le 14 avril 2003.
Pas la peine de sortir de sciences politiques pour comprendre le fabuleux avantage dont dispose le parti au pouvoir en ce qui concerne ce dernier point. Avec de bons conseillers, une bonne connaissance de l’opinion et surtout de son évolution, l’avantage peut devenir déterminant pour le reste de la campagne. Encore faut-il conserver cet avantage.
Forces en présence
Il y a un certain nombre de partis officiels reconnus au Québec qui ont ainsi la possibilité de présenter des candidats devant les électeurs. Néanmoins, il y a deux « grands » partis, le Parti Québécois (PQ) et le Parti Libéral du Québec (PLQ), auxquels s’est ajouté récemment l’Action Démocratique du Québec (ADQ).
Le Parti Québécois, actuellement au pouvoir, souhaite l’indépendance du Québec. Ils se considèrent comme des sociaux-démocrates, mais leur courant idéologique est assez difficile à cerner précisément. En France par exemple, le PQ serait considéré comme au moins de centre-droit sur un certain nombre de positions. Leur chef et actuel Premier ministre : Bernard Landry. Leurs membres s’appellent les « péquistes ».
Le Parti Libéral du Québec, principale formation de l’opposition, est lié au Parti Libéral du Canada. Ils sont donc fédéralistes, même s’ils n’hésitent pas à prendre de front le gouvernement fédéral sur certaines questions. C’est d’ailleurs Robert Bourassa, un Premier ministre libéral Québécois, qui aura cette fameuse formule : « le Québec est une société distincte ». Presque une notion souverainiste ça ! Chef : Jean Charest, ancien membre du Parti Conservateur.
L’Action Démocratique du Québec, est un parti qui a déjà près de 10 ans d’existence et qui regroupe des anciens « déçus » du PQ et du PLQ. Hésitant entre idées populistes et positions conservatrices, l’ADQ pourrait jouer le trouble-fait dans ces élections. Chef : Mario Dumont. Leurs membres sont appelés les « adéquistes ».
Ensuite, viennent de petits, et même de très petits partis qui sont pour la plupart catégoriels, voire totalement décalés. Ils n’obtiennent guère plus de 2 ou 3% des suffrages dans le meilleur des cas. Le plus connu reste le « Bloc Pot » (pot signifie marijuana en québécois), qui ne souhaite qu’une chose : la légalisation du pot, rien de moins ! L’UFP, Union des forces progressistes, d’extrême gauche, rassemblant quelques groupuscules dont le Parti Communiste du Québec et qui ne pourra gêner les autres partis que dans une seule circonscription : Mercier, à Montréal.
Enjeux
Partons donc du principe que c’est l’un des trois principaux partis qui obtiendra la majorité des comtés aux prochaines élections. Une fois au pouvoir, la nouvelle assemblée dégagera, ou non, une majorité qui permettra à une seule et unique formation de gouverner.
Les enjeux sont très importants. Bien que le Québec soit une province du Canada, le gouvernement provincial dispose de grandes marges de manœuvres et gère lui-même des secteurs essentiels de la vie des Québécois. Ainsi, l’éducation, la santé, le travail, la justice, une grande partie de la sécurité, l’aménagement du territoire, les ressources naturelles, etc. sont directement administrés par le gouvernement du Québec. Il n’y a guère que la défense et les relations internationales qui sont du domaine fédéral.
Sur certains dossiers, l’autonomie du Québec est plus importante que les autres provinces canadiennes, surtout dans un domaine qui peu nous intéresser tous : l’immigration, ou plutôt la sélection des immigrants.
À l’instar de chaque scrutin, il y a toujours un sujet, ou une préoccupation qui sort du lot. Depuis quelque temps, les journaux font leur choux-gras des problèmes reliés au réseau de la santé. Objectivement, il y a bien un problème dû au fait que beaucoup de médecins quittent le Québec pour les Etats-Unis, mais aussi dû à un système qui n’a pas su s’adapter aux changements de mode de vie. Cela débouche sur des heures d’attente dans les salles d’urgences et donc des pertes de temps, d’énergie et de patience (quand ce n’est pas même des pertes de patients !). Le problème de la santé est donc LE sujet de cette élection.
Paradoxalement, c’est un signe de bonne santé ! Bonne santé pour le Québec en tout cas. Généralement, lorsque le pays va mal, la première des préoccupations demeure l’emploi et l’insertion sociale. Ici, la santé tient le haut du pavé, sous-entendu : pour le reste, ca ne se passe pas si mal. Et c’est vrai ! Nous en parlons souvent dans le forum, mais les chiffres de créations d’emplois et de la croissance sont très bons pour le Québec. D’ailleurs, même les partis d’opposition ont beaucoup de mal à trouver des prises pour attaquer le pouvoir sur ces sujets-là. D’où, les attaques constantes sur le sujet de la santé.
Les idées
Ne ménageant pas ma patience, j’ai lu les centaines de pages qui composent les différents programmes politiques. Difficile de faire une synthèse, mais je vais essayer d’être le plus clair possible.
ADQ
Pour l’emploi, l’ADQ propose que ca soit l’État qui évalue pour les entreprises le niveau des compétences de chaque personne. De même les adéquistes souhaitent créer un système de reconnaissance professionnelle, non pas sur le diplôme mais sur une réelle capacité à exercer une activité.
Pour les immigrants, l’ADQ souhaite en accueillir plus, en privilégiant les immigrants francophones. Ils souhaitent également réduire les « barrières d’entrée sur le marché du travail », en demandant aux ordres professionnels d’aider les nouveaux venus.
En gros, l’ADQ veut relancer l’industrie au Québec en choisissant d’exporter plus d’énergie et en favorisant les projets d’entreprises. Suivent, évidemment, les promesses de réductions de taxes, mais aussi de subventions. Le programme ne dit pas lesquelles, ni dans quelles proportions.
L’ADQ souhaite donner beaucoup plus de place aux régions en lançant un programme de décentralisation.
Enfin, en matière de santé, l’ADQ souhaite donner un rôle plus important aux cliniques privées afin de désengorger les structures publiques.
J’ai retenu deux affirmations assez drôles qui mettent en relief le côté « populiste » de l’ADQ. Je vous laisse juger : « Un gouvernement adéquiste consacrera la moitié de sa marge de manœuvre financière à des priorités procurant à la population un bien-être immédiat. », et la meilleure : « [L’ADQ va] gouverner en fonction de la majorité silencieuse ».
PLQ
Le Parti Libéral de Jean Charest justifie tout d’abord le déséquilibre fiscal entre le fédéral et les provinces, et montre que ce n’est pas dans une logique de confrontation systématique que le Québec obtiendra ce qu’elle souhaite.
En matière de santé, le PLQ souhaite recentrer et réorganiser en profondeur le système. Comme le souhaite Jean Charest, le PLQ veut résoudre définitivement les problèmes d’attente et d’accès aux soins dans l’ensemble du Québec. Pour cela, rendre les médecins et infirmières disponibles en tout temps en augmentant leur nombre et en réinvestissant dans le domaine. Cela passe aussi par un recrutement à l’étranger.
En matière d’immigration, le PLQ met l’accent sur une meilleure intégration qui commence par l’apprentissage du français à des frais modiques depuis le pays d’origine et la possibilité d’apprentissage de l’anglais, par la suite, également à des tarifs réduits. Lutter aussi contre les discriminations en favorisant, entre-autres, l’intégration des communautés culturelles dans le développement du pays.
Pour le volet économique et fiscal, le PLQ souhaite ramener le niveau de taxation des Québécois à la moyenne canadienne d’ici cinq ans. Abolir la taxe sur le capital et simplifier les programmes d’aide aux entreprises. Favoriser le mérite, l’effort et rehausser le niveau de vie des Québécois.
PQ
Pas de surprises, la première chose que l’on trouve en ouvrant le programme du Parti Québécois concerne la souveraineté. Il faut dire tout de même que le PQ a été créé, à l’origine, pour que le Québec accède à son indépendance.
Pour l’immigration, le PQ souhaite avoir la possibilité de déterminer les niveaux et les catégories d’immigrants. Je suppose en fonction des besoins. Ils souhaitent aussi que la priorité soit donnée aux immigrants francophones et qu’ils puissent être majoritaires parmis les nouveaux immigrants. Le PQ veut encourager le regroupement des familles d’origines étrangères. Tout comme le PLQ, le Parti Québécois veut développer des politiques d’intégration et d’apprentissage de la langue française.
En matière d’économie, le PQ parle du concept de capital social qui désigne tous les réseaux d’aide et les ressources sociales. Le PQ souhaite recourir au partage du temps de travail à un niveau plus important qu’actuellement. D’autre part, il veut favoriser et mieux encadrer les travailleurs autonomes. Cela passe, par exemple, par une meilleure protection et une clarification du cadre juridique du travailleur autonome.
Quel parti ne souhaite pas réduire le fardeau fiscal des particuliers ? Mais comme les autres partis, aucun chiffre n’est donné, ni même des échéanciers clairs.
Grand point du programme péquiste : la famille et le travail, ou comment réconcilier les deux mondes. En cela, le PQ veut reconnaître une sorte de statut social à la maternité et à la paternité. Offrir aux parents un choix de congés parentaux (40 ou 50 semaines). Allongement de la durée des vacances (3 semaines au-delà de deux ans, et 4 au-delà de cinq ans).
Déroulement de la campagne
Bien entendu, le conflit en Irak occulte en grande partie le message politique des candidats. Néanmoins, plusieurs événements sont à retenir.
La grande surprise concerne l’ADQ qui était, il y a peu, en tête des sondages et qui subit une chute vertigineuse depuis ces dernières semaines. Cette baisse est imputable directement aux revirements du parti. On a pu ainsi voir que des représentants adéquistes avaient des vues différentes sur un même sujet, que certains candidats avaient eu des problèmes avec la justice, ainsi que des revirements en fonction de l’opinion de la part de Mario Dumont. Évidemment, un chef qui n’arrive déjà pas à avoir une ligne cohérente dans son propre parti peut difficilement être crédible lorsqu’il parle de gérer un pays entier ! Mais rien n’est encore joué, néanmoins, la campagne de l ‘ADQ est à mon avis très mauvaise et sent le manque de préparation.
Jean Charest, malgré une popularité personnelle très moyenne, fait une bonne campagne. Il faut dire qu’il a l’habitude. On sent le professionnalisme de sa personne et de son équipe, mais cela n’évite pas les erreurs. Il s’est lui même piégé en ce qui concerne les défusions municipales, et il est évident qu’il ne prendra pas position de peur de mécontenter une partie de son électorat. Il devra d’ailleurs faire des efforts pour conquérir plus d’électeurs francophones s’il veut devenir le prochain Premier ministre.
Bernard Landry joue la carte de la notoriété. Le chef péquiste dispose d’une bonne popularité et va bénéficier de l’effet « guerre en Irak ». En effet, dans des périodes troublées, les électeurs favorisent toujours le sortant, la continuité, la stabilité quoi ! Attaqué sur la santé, Bernard Landry pointe du doigt Ottawa, qui ne redistribue pas suffisamment les impôts collectés auprès des Québécois. Au niveau des soutiens, grande surprise dans le fait que le chef des Cris (une des tribus indiennes du Québec), apporte son soutien au chef souverainiste en le comparant même à un « frère ». Important dans le fait que c’est une première historique. Sa prise de position aura t-elle une influence sur les autres tributs ? C’est une grande incertitude compte tenu, de plus, que la participation chez les amérindiens n’est jamais très importante.
Publicité
Dans ce monde gouverné par l’image, la publicité, qui plus est télévisuelle, revêt une importance capitale. Au Québec, contrairement à la France, la publicité politique est autorisée. Nous avons donc droit depuis quelques jours, à des rafales de publicités en faveur des trois principaux partis. Le message que l’on choisit de transmettre devra être étroitement associé au parti, ce qui lui confère une portée énorme. D’où l’impératif de ne pas se tromper.
En matière de mercatique politique, il y a des écueils qu’il faut donc absolument éviter. La première chose que l’on enseigne dans le domaine, c’est d’éviter, en campagne, de mettre les messages négatifs au premier plan. Erreur que semble manifestement avoir fait l’ADQ, puisque les quatre premières publicités sont toutes et exclusivement négatives. C’est un message type de parti d’opposition qui a sa place hors campagne, mais surtout pas en ce moment où il faut démontrer aux électeurs que nous sommes aptes à gouverner sereinement et avec conviction. C’est une stratégie de partis qui restent, en général, dans l’opposition, destinée à catalyser les déçus, sans amener à soi les enthousiasmes. Fond noir, logo très mal placé et sous-dimensionné. Franchement, les conseillers en communication de l’ADQ devraient retourner aux études ! Ce qui sauve, un peu, la mise de l’ADQ, c’est la réaction démesurée de Bernard Landry par rapport aux messages de cette dernière. En faisant la critique de la publicité de l’ADQ, Bernard Landry met en avant le parti de Mario Dumont. Comme quoi, il n’y a pas que les jeunes qui font des erreurs. L’ADQ semble avoir pris conscience de cette campagne contre-productive et vient de mettre en onde une nouvelle publicité bien meilleure que la précédente. Mieux vaut tard….
Le Parti Québécois choisi le chef, Bernard Landry, qui est omniprésent dans les messages publicitaires. L’idée de départ est bonne vu que le Premier ministre dispose d’une bonne popularité et que cela montre une forme de continuité qui pourra rassurer un bon nombre d’électeurs. Là où cela se gâte, c’est sur la forme. En effet, les publicités ont été filmées en noir et blanc, ce qui est contre-productif dans le sens que l’absence de couleur gomme le dynamisme souhaité du message et qui plus est, apporte de l’austérité ainsi qu’un coup de « vieux » au PQ.
Le Parti Libéral fait, à mon avis, la meilleure campagne télévisuelle. Sont mis en avant le désir des Québécois en mettant en scène des électeurs potentiels. On ne voit que Jean Charest qu’à la toute fin, vu sa popularité décevante inutile de s’attarder, dans une posture résolument décidée et efficace. Le logo du PLQ, récemment modernisé, figure en bonne place est ajoute du dynamisme et de la jeunesse.
Prochaine étape, le débat des chefs à la fin du mois.
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