Partie de pêche et petit cours d’histoire.
Oyez oyez chers lecteurs ! Me revoici, enfin !
Premièrement, je voudrais vous adresser mes plus plates excuses pour avoir raté mon tour de chronique le mois dernier… Et d’autres excuses aussi pour encore être en retard ce mois-ci. Mais « tout vient à point à qui sait attendre ! » dit-on.
Enfin il faut le dire vite quand même, car pour moi, ça n’a pas marché ben fort ces derniers temps, et je dois bien reconnaître que l’inspiration me manque depuis quelques semaines. Et au moment où mes doigts pitonnent sur le clavier, je ne sais d’ailleurs toujours pas de quoi je vais bien pouvoir vous parler.
Commençons donc par un brave « lieu commun », comme les appelle mon cher ami Claude. Vous savez ? Les « lieux communs » sont ces petites phrases de rien, qui semblent a priori inutiles et dénuées de sens, mais qui sont d’une importance vitale quand vous vivez dans un village de 3 000 âmes.
Je vais d’ailleurs vous donner un exemple : lorsque vous rencontrez votre voisin trois fois par jour au grés de vos déplacements professionnels ou personnels (poste, épicerie, bar local, aréna), vous vous devez de trouver le juste milieu entre l’indifférence totale (ça pourrait le vexer, même si au bout de la troisième rencontre, vous pourriez malgré tout y prétendre), et une conversation trop pointue, ce qui pourrait finir par vous faire perdre un temps précieux et qui ne servirait à rien car au bout de trois rencontres, il est déjà au fait de tous les potins locaux de toute façon.
Le juste milieu, ce sont donc ces fameux « lieux communs » du genre : « Y a plus de saisons », ou bien « ça pousse en tabarouette ! (le gazon du jardin) », ou encore « fait chaud hein ? ».
Ce qu’il y a de bien avec les lieux communs, c’est qu’ils s’adaptent naturellement à toutes les saisons. En hiver, il vous suffit de remplacez « fait chaud hein? » par « fait frette hein ? », et le tour est joué !
Faque ! Revenons à nos moutons, je vais donc commencer cette chronique par vous parler du temps qu’il fait. D’une part parce que je me rends compte que la météo est un sujet de conversation inépuisable ici, et d’autre part parce que cela va me permettre de faire d’une pierre deux coups et de répondre à la première question que tous les français me posent lors de nos conversations téléphoniques.
Donc bonnes gens sachez le, il fait CHAUD ! Même très chaud. Mais j’aurais écrit cette chronique la semaine dernière, mon discours aurait été tout autre. Du jour au lendemain, on est passé de la pluie avec une température extérieure n’excédant pas 1° à un soleil radieux avec 32°. Croyez-moi, ça surprend !!
Finalement, la chose importante que vous devez savoir, c’est que nous avons déjà ré-inauguré la piscine de la ferme. Début juin, c’est appréciable !
Et voilà. Déjà une demi page Word de remplie, et je ne vous ai encore rien raconté d’extraordinaire. C’est ça la magie des lieux communs !
Pendant que je vous écrivais ces quelques lignes, mon esprit s’est envolé vers mon ami Willi Heine et sa pourvoirie. L’homme est un phénomène, il faut donc que je vous en parle.
Willi est un allemand de 60 ans, qui a décidé de venir vivre sa retraite au Québec. Pour lui, pas de problème de visa’ Les autorités ont juste jeté un rapide coup d »il sur son compte en banque et on décidé de fermer les yeux sur le nombre de points qu’il a acquis lors de sa demande préliminaire d’immigration.
Willi a donc vendu sa prospère compagnie en Allemagne pour débarquer à Sainte-Anne-du-Lac, petit bled paumé au bout du bout du monde. Là, il a fait construire belle une maison en bois tout confort, avec spa, sauna, grand écran et 5 000 chaînes de télé du monde entier. Dans le garage attenant, le gros pick-up Ford côtoie ses quatre motoneiges, achetées pour des visiteurs occasionnels.
Passionné de chasse et de pêche, Willi a voyagé partout dans le monde et a rapporté une quantité de trophées impressionnante, qu’il a bien sûr importé d’Allemagne pour décorer sa « cabane au Canada ». Et comme il n’avait pas envie de s’ennuyer, tout seul au fond des bois, il a décidé d’acheter une pourvoirie ! D’un naturel enjoué, il s’est vite fait accepter par tous les employés grâce auxquels il tente (difficilement) d’apprendre quelques mots de français. L’anglais n’étant pas non plus son point fort, nous mixons allègrement les trois langues pour essayer de nous comprendre.
Mue par ma curiosité naturelle, et à l’occasion d’une petite visite de courtoisie, me voilà donc embarquée dans le pick-up pour une visite en règle du domaine. Mon Willi est aux anges, il a enfin trouvé son paradis. Il est d’ailleurs intarissable et il n’en finit pas de s’extasier sur la beauté des lieux. Il se plait à dire qu’il possède 14 lacs, 12 chalets, une rivière, et un jardin de 100 km… De quoi faire frémir ceux qui végètent dans leur petit appartement parisien.
Je plaisante en le surnommant « King Willi », ce qui ne manque pas de le faire rire, mais je sens qu’il gonfle sa poitrine comme un petit coq. Il en est fier de sa pourvoirie, et il a raison. Les lieux sont tout simplement enchanteurs. On se croirait au bout du monde, on entend absolument rien. Pas de bruit de voiture ou de camion, pas d’avion dans le ciel, pas de cacophonie de la ville. Des arbres, des lacs, des orignaux qui viennent boire sous notre nez et des oursons orphelins qui viennent nous faire un petit clin d’oeil.
A la fin de la journée, après la visite terminée, il me demande si je veux emmener du poisson pour mon souper. Je réponds que j’en serais ravie, et je le vois partir en trottinant pour aller préparer sa canne à pêche ! Moi qui croyait bêtement qu’il allait le sortir de son congélateur, je déchante rapidement. Combien de temps ça va prendre pour pêcher un repas ? Je me souviens vaguement d’une partie de pêche avec mon oncle quand j’avais 7 ou 8 ans, et je me rappelle que j’avais passé trois bonnes heures à attendre qu’un vilain poisson chat veuille bien mordre à mon hameçon’
Willi, lui, est confiant. Sur le lac qu’il a choisi, il n’y a pas de poisson chat, rien que des truites mouchetées affamées. Il lance sa ligne avec vigueur. Et au bout de deux coups, un premier poisson se retrouve dans le seau !
Ca a l’air facile, je m’intéresse de plus en plus. C’est à mon tour d’essayer. Je rechigne à accrocher le vers de terre à l’hameçon. Beurk. Je me fais traiter de « pêcheur du dimanche ». Qu’à cela ne tienne, je le revendique !
Je ferme le clapet de mon allemand lorsque mon premier lancer accroche un poisson frétillant. Mon ego s’émoustille ! Je tente de ferrer la bête, je m’emmêle, je tire trop, pas assez, le coup de poignet est raté’ Bref, le poisson s’échappe. Je grogne.
Au bout de trois autres lancers, j’ai attrapé deux autres poissons, qui ont encore réussi à s’échapper. Je prends des conseils avisés’ En allemand’ Et après ça, on s’étonne que je n’y arrive pas !
Finalement, ma patience sera récompensée. J’attrape mon premier poisson, pose pour la traditionnelle photo, et reçois les félicitations du maestro.
J’esquive discrètement le moment de tuer les pauvres bestiaux pour les vider et les nettoyer, et je repars finalement avec mon sac plastique contenant 3 belles truites mouchetées.
La préparation des truites est super facile. Un peu de sel, de poivre, et hop ! Dans la poêle. Mes amis. Un régal !
L’invitation suivante est déjà lancée, mais cette fois, on va prendre son temps. Le lac sera plus grand, on va y aller en chaloupe et avec une petite gagne d’amis, on va préparer la pitance sur le champ grâce à un bon feu de bois en admirant le coucher de soleil comme des vrais Robinson Crusoé. Ensuite, on dormira dans l’un des chalets et on se réveillera en même temps que le soleil pour aller prendre un bain et pêcher encore une fois notre petit-déjeuner. Des amateurs ??
Bon, trêve de plaisanterie, il est temps de parler de boulot maintenant. Car à m’entendre, on pourrait croire que je suis en vacances tout le temps !
Que nenni, la réalité est tout autre, et c’est bien difficile. Imaginez-vous ! Je dois me réveiller le matin vers 8 heures, pour commencer à bosser à 8h30. Ici, pas de métro, je dois donc marcher pendant au moins 5 minutes ! Un comble n’est-ce pas ?
Au bout d’une heure à peine, ma chef ose me proposer de quitter mon bureau climatisé pour aller battre la campagne pour une séance de photos car parait-il, la lumière est bonne aujourd’hui. Je renacle. J’ai horreur d’aller me promener au soleil pour aller poser quelques-uns des plus beaux paysages qui composent ma région et que je dois immortaliser pour vendre tout cela aux touristes. Et après, il parait que je vais devoir concevoir des présentations Powerpoint, rédiger des chroniques pour les faire paraître dans les journaux locaux, travailler sur une informatisation du bureau d’accueil touristique, repenser le site Internet de l’association, triturer des statistiques sur Excel, participer à la réflexion sur un plan de développement quinquennal pour la montagne du diable’ Bref, tout ce que je déteste ! A 16h30, la journée est ENFIN finie !
Et à 16h35, je suis à cheval.
Bref, vous l’aurez compris, j’adore mon nouveau métier’ Et ce qu’il y a de merveilleux dans le fait de travailler dans l’industrie touristique, c’est que je découvre des documents passionnants qui traînent ici et là dans mon bureau. Comme par exemple ce livre qui célèbre les 100 ans de mon village ! Historique complet, photos d’époque et j’en passe !
Imaginez. Bien avant l’arrivée des premiers colons, quelques familles amérindiennes avaient établi leur campement d’été au pied de la montagne du Diable pour y chasser. A l’approche de l’hiver, elles repartaient traditionnellement plus au sud pour y rejoindre d’autres familles. Leur survie était alors assurée par la mise en commun des produits de leurs chasses respectives.
Vient ensuite l’époque des coureurs des bois, qui partaient de chez eux durant de longs mois pour faire le plein de fourrures qu’ils revendaient aux postes de traite.
Au 19e siècle, les coureurs des bois cèdent leur place aux bûcherons, qui ont toujours convoité ce territoire riche en pin blanc et rouge. La multiplication des chantiers forestiers amène l’ouverture d’une importante ferme forestière : « la ferme de la montagne ». Elle servait de poste de ravitaillement pour les bûcherons.
La ferme est ensuite vendue à Cyrille Lafontaine, qui se charge d’y envoyer son fils, Léonard, alors âgé de 18 ans. Ce dernier devient donc le tout premier « résident permanent » de la place.
Six ans plus tard, Cyrille viendra rejoindre son fils et s’installera définitivement sur la ferme avec toute sa famille. Les « Lafontaine » sont donc considérés comme les fondateurs de ce qui prendra le nom de Ferme-Neuve en 1901.
En feuilletant mon nouveau trésor avec l’avidité d’une gamine, je tombe sur un « hommage aux aînés ». Tous nés avant 1911, ils étaient encore vivants en 2001 lorsque ce livre a été rédigé. Ils témoignent des temps anciens, de cette époque où ils ont tout quitté avec leur famille pour venir s’établir là où il n’y avait rien, ou encore si peu’ Ils ont connu la fondation du village, ces terres qu’il a fallu défricher à la main pour planter quelques pommes de terre, ces chevaux et ces b’ufs sans lesquels ils n’auraient pas pu survivre. Ils ont connu les hivers difficiles, sans eau courante ni électricité. Ils ont été les premiers bâtisseurs du village que l’ont connaît aujourd’hui.
A côté de leur photo, on peut lire un résumé de leur vie. Je m’amuse à épeler ces prénoms qui me sont étrangers, mais dont la consonance me plaît. « Rosina, Josaphat, Omer, Ovide, Aldéa, Aldège, Athanase, Donalda, Hermas… ». Je reste éberluée devant leur nombre d’enfants. En dessous de 10, cela reste rare. La palme revient à Rosina Aubin Piché, qui a élevé 22 enfants ! Elle a actuellement 93 petits-enfants, 195 arrières-petits-enfants, et 23 arrière-arrière-petits-enfants. Comment fait-elle pour se souvenir du prénom de tout le monde ?
Dans la vie, ils ont été majoritairement fermiers, parfois bûcherons ou commerçants. L’un d’eux est devenu chauffeur de l’un des premiers camions de l’époque, en 1928.
Je suis une nostalgique de cette époque que je n’ai pas connue. Celle des coureurs des bois, celle des premiers colons, celle des bâtisseurs. Arriver quelque part où il n’y a rien, et en faire quelque chose. Quelque chose de si bien, et si vite, que 100 ans plus tard, ce village n’a rien à envier à personne.
D’un autre côté, ils ont eu la délicatesse de laisser quelques petits lopins de terre encore vierges, pour des gens comme nous, ceux de ma génération. Et c’est ce qui fait mon bonheur ici, cette impression que tout est encore neuf, à l’état brut, que tout doit être peaufiné. L’impression aussi d’avoir à bouger pour les choses continuent d’avancer, d’être maître de son destin et qu’à mon niveau, je me sente capable de compter, d’exister, sans me sentir noyée dans une masse informe de citadins pressés et conditionnés.
PS : Pour Claude : Ici, on appelle les crapauds locaux des ouaouarons. Je suis sure que le mot va te plaire. Crois-tu qu’on peut les faire exploser même si on n’a pas de cathédrale ?
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