Moving Day
Je capote.
Ça fait trois semaines que je fais des boîtes. Si encore j’étais payé pour faire ça, ben non. Je fais des boîtes parce que je déménage le 1er juillet comme des milliers de québécois. Alors je mets ma vie dans des boîtes en carton. Au passage, je profite de l’occasion pour mettre aux vidanges des bouts de vie dont j’ai désormais jugé l’inutilité. C’est très présomptueux de s’arroger un droit de vie ou de mort. Mais c’est tellement jouissif d’être le dieu d’un royaume ; quand bien même que ce royaume peut tenir dans quelques boîtes de carton.
– fin du délire narcissique –
En tant qu’immigrants avertis, vous savez que le déménagement au Québec a un jour prévu rien que pour lui dans le calendrier. C’est le jour de la Fête de la Confédération Canadienne, le 1er juillet. Quel toupet dirons probablement les plus fédéralistes d’entre vous chers lecteurs. Consacrer ses efforts à une tâche aussi terre-à-terre alors qu’ils pourraient servir à une tâche aussi noble que de louanger les bienfaits du Canada. Je sais, c’est plate. Mais après réflexion, vous conviendrez ‘ autant que moi j’en suis certain ‘ de la pertinence éminemment technique et stratégique de déménager le 1er juillet.
Premièrement, déménager ça prend du temps. Consacrer une journée à cette tâche est donc un minimum et c’est un euphémisme que de dire cela. Ainsi, lorsqu’on travaille, il faudrait prendre une journée de congé pour son déménagement. Cependant, à raison de deux semaines annuelles de congés en moyenne, cela confère à chaque journée de congé un statut quasiment mythique. De cette conclusion d’une lucidité pénétrante, il est donc hors de question de dédier une précieuse journée de congé au déménagement.
On pourrait bien le faire durant une fin de semaine : ainsi, on ne serait pas obligé de prendre une journée de congé. Cependant, considérant le climat québécois, vous conviendrez votre Honneur qu’il est plus judicieux de procéder à une telle activité durant l’été, période pendant laquelle la température rend ladite activité beaucoup moins ardue. Et considérant par ailleurs – votre Honneur – que l’été québécois ne dure que quelques mois et qu’il se révèle souvent incertain, vous conclurez très certainement tout comme moi que cela confère aux fins de semaine le même statut qu’une journée de congé. Fa qu’on peux-tu s’entendre qu’on a bien mieux à faire la fin de semaine que de déménager ? Certains émettront très certainement l’objection suivante : le 1er juillet tombait un samedi cette année. Ce à quoi je répondrai que lorsqu’un jour férié tombe un jour de la fin de semaine, ledit jour férié est automatiquement reporté sur un jour de la semaine (donc, soit le vendredi 23 juin ou le lundi 26 juin).
Donc, si on ne peut pas durant une journée de congé ou durant la fin de semaine, qu’est-ce qu’il reste ? Les journées fériées bien entendu ! Votre Honneur se rappellera – je n’en doute pas une seconde – de la pertinence de déménager durant la saison estivale. Quels sont donc les jours fériés durant la saison estivale au Québec ? On a le lundi précédant le 25 mai, le 24 juin, le 1er juillet et le 1er lundi de septembre. Procédons :
– le lundi précédant le 25 mai, c’est la Fête de la Reine pour le reste du Canada. Au Québec, cela fût pendant longtemps la Fête de Dollard mais depuis 2001, l’Assemblée Nationale la rebaptisé Fête Nationale des Patriotes. Plus concrètement, le temps est encore très incertain à cette période de l’année, rendant un déménagement risqué
– le 24 juin, Fête Nationale du Québec. Considérant que la société québécoise est dans une dynamique de survivance linguistique, culturelle et identitaire, il serait malvenu de passer à côté de cette journée
– Le premier lundi de septembre, Fête du Travail. Et je serai censé déménager ce jour-là ?
Et le verdict tombe : il ne reste plus que le 1er juillet, Fête du Canada. Un candidat qui a tous les atouts pour satisfaire au poste de journée officielle du Moving Day : durant la saison estivale, étant un jour férié, pas besoin de prendre de journée de congé et il est automatiquement reporté s’il tombe en fin de semaine. Et en plus, les baux au Québec vont du 1er juillet au 30 juin de l’année suivante. Bref, comme on le dit au Québec : c’est ça qui est ça votre Honneur. Et il reste 24 millions de canadiens pour célébrer le Canada cette journée-là.
Revenons à mes petits moutons en carton. Maintenant que nous avons démontré avec rigueur que le 1er juillet était la journée idéale pour déménager, cela pose un petit problème. On sera une sacrée gang à le faire dans tout le Québec ! Et cela pose de petites contraintes logistiques qu’il est important de connaître pour éviter d’être mal pris si ou quand cela vous arrivera une fois ici. Rien de mieux qu’une discussion avec un ami – immigrant lui aussi, mais de fraîche date – pour illustrer mes propos :
(Discussion en mars dernier)
« Ami ‘ tu déménages ou tu restes là où tu es en ce moment ?
O’Hana ‘ non, je déménage. Tanné d’être dans les mêmes murs. D’ailleurs, j’aurai besoin d’un coup de main pour déménager, ça te tentes-tu de m’aider ?
Ami ‘ bien sûr, mais ça va te prendre un camion parce que tout ne rentrera pas dans ton auto ‘
O’Hana ‘ ha c’est fait : j’en ai réservé un pour le 1er juillet
Ami ‘ tu as déjà réservé un camion ? C’est parce qu’on est en mars seulement ‘
O’Hana ‘ ouais mais c’est le rush cette journée-là mon homme. D’ailleurs si tu pouvais être chez moi autour de 13 :00 le 1er juillet, ça serait le fun parce que j’aurai le camion qu’à ce moment-là
Ami ‘ Pourquoi 13 :00 ? On peut commencer le matin, non ?
O’Hana ‘ ben non, parce que je m’y suis pris un peu tard et j’aurai le camion seulement de 12 :30 à 18 :30 : c’est la seule plage horaire intéressante qui restait de disponible pour ce type de camion
Ami ‘ Parce qu’en plus tu as une plage horaire spécifique de prévu pour le camion ? On est seulement en mars !
O’Hana ‘ mais parce qu’on déménage tous le 1er juillet ! Fa que tout le monde se garroche sur les camions de location. Il y avait la plage horaire de 18 :30 à 00 :30 mais boarf, déménager en soirée, pas terrible
Ami ‘ j’hallucine ‘
O’Hana ‘ pis faut que j’appelle le locataire de l’appartement où je déménage pour voir à quelle heure il déménage le 1er juillet
Ami ‘ pourquoi ?
O’Hana ‘ ben s’il a son camion dans les mêmes heures que moi, je serai mal pris moi avec mes affaires dans mon camion que je ne peux pas sortir parce que lui, de son côté, il a pas encore sorti toutes ses affaires de l’appartement ! Faut qu’on s’accorde pour que je puisse entrer seulement quand lui sera sorti.
Ami ‘ ben ce n’est pas grave ça ‘ S’il n’a pas tout sorti, tu dors une nuit de plus dans ton ancien appartement et tu fais tout le reste le lendemain
O’Hana ‘ Ha ouais ? Je dors donc avec le locataire qui sera rentré dans mon ancien appartement le 1er juillet aussi ? Je suis sûre qu’il va trouver l’idée aussi exquise que moi.
Ami ‘ oups, c’est vrai ça ‘
Le déménagement au Québec, c’est un peu si comme des milliers de personnes se mettaient à jouer, durant un jour, au jeu de la chaise musicale. Chaque locataire cède sa place (qui est immédiatement prise par un autre) parce qu’il a trouvé une autre place (en espérant que celui qui l’occupait a déjà sorti ses affaires). C’est donc une question de logistique. Et qui exige beaucoup de civisme et de compréhension de la part des locataires sortants et entrants comme le demande la Régie du Logement sur son site internet. Il faut donc preuve d’organisation et d’efficacité car le temps est le grand inquisiteur de cette journée.
Toutefois, l’avantage d’avoir institutionnalisé une journée pour le déménagement est que cela facilite grandement les démarches administratives de changement d’adresse. Car les institutions (banques, gouvernement, employeur, etc) s’attendent à recevoir un volume important de modifications d’informations personnelles à cette période précise. À ce titre, je ne saurai trop vous suggérer le Service Québécois de changement d’adresse qui permet de le faire par internet, en une seule fois et qui sera transmis à tous les ministères que vous aurez préalablement sélectionnés. Mes prix citron reviendront cependant à deux institutions : le service fédéral de changement d’adresse qui propose une démarche compliquée à mon goût (il faut s’inscrire après avoir fourni tout un tas d’informations, recevoir ensuite un code par courriel) et l’Université de Sherbrooke qui ne propose même pas de case à cocher du style « changement d’adresse en vigueur à partir de ». La solution qu’on m’a suggérée ? Procéder à mon changement d’adresse quelques jours avant le 1er juillet pour être sûr que mon courrier postal se rendra bien à ma nouvelle adresse postale et m’assurer moi-même que la faculté où j’officie a bien reçu mon changement !
Et toute une économie s’est greffée autour de cette journée spécifiquement dédiée au déménagement québécois. Il y a bien entendu les agences de location de camions (où vous pouvez y louer également un diable ou des couvertures matelassées pour amortir les chocs lors du transport) mais aussi la restauration rapide (pizzas, St-Hubert, etc) et les dépanneurs (la bière). Sans parler de ces compagnies qui « doivent bien rire de nous autres aujourd’hui à chaque année » comme le dit un de mes chums au sujet de Bell Canada et de Vidéotron (qui chargent des frais lorsqu’il y a changement d’adresse). C’est assez fascinant de voir ces camions de ViaRoute, Hertz, Location Pelletier et compagnie envahir les rues ou de voir les trailers – les remorques – fleurir derrière les autos. Ce sont aussi de petites anecdotes croustillantes. Le technicien de Bell Expressvu a croisé celui de Vidéotron dans mon nouvel appartement pour effectuer les branchements respectifs. Quand le gars de Vidéotron n’essayait pas de me convaincre de prendre Illico (le concurrent de Bell Expressvu), le gars de Bell tentait de me convaincre de passer à Sympatico pour mon service internet. Et tous les deux de finir à discuter des avantages et inconvénients d’être soit salarié (le technicien de Vidéotron) soit travailleur autonome (le technicien de Bell) dans ma salle de séjour. C’était assez drôle. Ce qui l’est moins, c’est que je n’arrive toujours pas à faire fonctionner le petit réseau sans fil que je me suis monté dans l’appartement et le service technique de Vidéotron de me dire qu’il ne prend pas en charge les routeurs. Pfff.
Mais le meilleur de cette histoire, ce sont les chums. Ceux qui m’ont donné un sérieux coup de main à déménager mes affaires. Ceux qui ont accepté de m’aider parce qu’ils m’avaient dit que ça serait un bon moment de fun ensemble. Et c’est vrai que ce fût le cas. On en a arraché mais on a bien ri aussi. Résultat des courses : beaucoup de coupures ici et là, des dos et des jambes endoloris pour plusieurs jours, des litres d’huile de coude et un camion de location ramené à l’agence sept minutes avant l’heure de retour. Mais surtout quelques bières vidées à la fin en discutant autour d’une pizza. Ça permet d’oublier un peu les boîtes de carton. Mais pas trop quand même. C’est drôle car il y a sept ans, mes deux bras ont largement suffi pour transporter ma vie car elle tenait dans deux valises. Aujourd’hui, j’ai accumulé beaucoup de choses certes mais j’ai aussi et surtout gagné des amis ici. Bon été à tout le monde !
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