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À qui la chance ?

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« À LOUER : poste de Premier Ministre du Québec disponible à partir du 27 mars 2007. Bail d’une durée de 4 à 5 ans (date de fin à déterminer). Vue panoramique sur le Québec (et sur Ottawa en option). Tout inclus : vous serez chauffé (syndicats en colère), dans l’eau chaude pas à peu près
(santé, éducation, emploi, dette) et ambiance électrique (partition, accommodements raisonnables, communautés culturelles). Si intéressé, prière de contacter Marcel et Lise au 1-800-QUÉBEC au soir du 26 mars prochain. À qui la chance ?! »

C’est jour d’élection au Québec le 26 mars prochain. L’occasion de regarder l’enjeu de l’immigration durant cette campagne électorale. Surtout que les premiers chiffres du Recensement 2006 montrent que la population québécoise a crû (+ 4.3%) surtout grâce aux immigrants.

Trois affaires que je veux regarder ici : c’est quoi un candidat issu de l’immigrant (que j’appellerai un candidat culturel), la question de la représentativité des candidats culturels. Et toute une petite série de niaiseries que je n’ai pas le choix d’aborder.

Commençons d’ailleurs par ces niaiseries pour s’en débarrasser. Beaucoup pensait – dont moi – que la question des accommodements raisonnables serait un des thèmes majeurs de cette campagne après le YMCA, les cours prénataux au CLSC et l’affaire d’Hérouxville.
Mr Charest, en fin politicien, a su mettre la question sur la glace : nomination d’une commission en février qui fera rapport que dans un an. Une patate chaude en moins à gérer durant la campagne et on protège du même coup les votes des minorités. Bien sûr, ils ne le diront pas mais ça arrange aussi les autres partis.

même l’exclusion du terrain pour port de hijab d’une joueuse de soccer à Laval en février n’a pas fait plus de vagues qu’il en fallait. Tant mieux.

Début mars, c’est le candidat adéquiste Christian Raymond qui déclare « qu’il faut encourager la natalité, sinon les ethnies vont nous envahir. ». Merci Mr Dumont de lui avoir indiqué la sortie.

Le dernier exemple en date, je l’attribue à Mr Fo Niemi, directeur du
CRAAR, quand il a exigé que Mr Boisclair s’excuse après avoir parlé des yeux bridés de ses ex-condisciples d’Harvard. Le chef péquiste parlait d’eux en termes élogieux et s’adressait en français à des francophones. Apparemment, Mr Niemi n’a retenu que la traduction anglaise péjorative des médias anglophones (« slanting eyes »). Rien d’étonnant : pour eux, il a toujours existé un fond inaliénable de xénophobie chez les chefs québécois, quelque soit leur parti. Une petite phrase sortie de son contexte et on présuppose toujours le pire, souligne la politologue Josée Legault. On se rappellera Kay et son Quebecistan (National Post) et l’analyse de Wong sur la tuerie de Dawson
(Globe & Mail). De l’huile sur le feu. En passant, Mr Boisclair a refusé de s’excuser et il a bien fait.

Ces niaiseries, c’est comme la partie immergée d’un iceberg : c’est le sommet, c’est petit – au propre comme au figuré – c’est rien comparé à en dessous mais on ne voit et n’entend parler que de lui.

Parlons justement du dessous, ben plus intéressant.

Première des choses, c’est quoi un candidat culturel ? Pour le fun, j’ai posé la question à une couple de gens autour de moi. En gros, il en ressort que c’est une personne au nom exotique (exit donc les Tremblay, Fontaine, Ouellet, etc), à la physionomie typée (peau mate, cheveux crépus, etc) avec un accent non québécois. Vous savez, le genre immigrant arrivé au Québec depuis plusieurs années ou issu de la première génération née au Québec de parents venus d’outre-mer. Y’a un fond de vérité là-dedans et c’est d’ailleurs souvent comme ça qu’on s’image une personne issue des « communautés culturelles ».

Quand on regarde quelques candidats labellisés « issus de l’immigration », on retrouve effectivement ce profil. Quelques exemples :

Maro Akoury

(ADQ)

Sujata Dey

(QS)

Siou Fan Houang

(PQ)

Hamadou Abdel Kader Nikiema (PVQ)

Vahid Vidah-Fortin (PLQ)

Source : sites web des partis politiques

Sauf que dans d’autres cas, faut avoir une conception très large du candidat culturel. Ou plutôt, prendre vraiment la définition by the book : né au Québec de parents immigrants ou au Québec depuis ben des années. Même s’ils font moins exotiques. Les exemples ci-dessous sont aussi des candidats classés « issus de l’immigration » par leur parti:

Lawrence Bergman

(de confession juive)

Pierre Curzi

(né au Québec de parents italiens)

Marie Malavoy

(arrivée au Québec il y a 40 ans)

Source : sites web des partis politiques

Mais bon, c’est la game. Et comme le dit la candidate adéquiste Maro Akoury : « « Nous sommes tous issus de quelque part et c’est faux d’étiqueter les gens comme quoi ils appartiennent à une communauté ethnique. » Si ça se trouve, le seul vrâ candidat d’icitte, c’est Alexis Wawanoloath, candidat péquiste et autochtone (abénaki) ….Comment ça, c’est un autre débat, O’Hana ?

Maintenant qu’on a plus ou moins défini ce qu’est un candidat culturel, parlons de représentativité. On en a beaucoup parlé. Au niveau des chiffres, selon Radio-Canada, il faudrait qu’il y ait 68 candidats culturels sur les 680 au total pour que la représentativité des communautés culturelles soit respectée. Or, il y en a au mieux une quarantaine (et j’ai pas compté Alexis Wawanoloath !).

Mais ça à la limite, c’est pas le plus important. Le vrai scandale pour certains c’est que plusieurs candidats culturels se présentent dans des comtés où ils n’ont aucune chance de gagner. Une sorte de plafond de verre comme celui des femmes dans le monde du travail, i.e. genre de frontière invisible emp’chant l’immigration d’accéder à une réelle représentation politique.

Voyons ça plus en détails.

Tout d’abord, la majorité des candidats culturels se présentent sur l’île de Montréal. Normal : c’est le premier foyer québécois d’immigration. Logique donc de les concentrer là où se trouvent les plus grosses communautés culturelles. Et c’est sans compter les candidats dans des circonscriptions limitrophes : Maro Akoury (ADQ) dans Vachon, Roberto Régo (PLQ) dans Blainville ou encore Saloua Hassoun (PQ) dans Lapinière.

Pour l’instant, c’est sûr qu’on verrait mal un candidat maghrébin dans la Beauce ou d’Afrique noire en Abitibi. N’y voyez aucun racisme, c’est seulement une question de représentativité. On ne va pas aller vendre des costumes de bain au Nunavut.

Une stratégie montréalaise est donc normale et ne laisse guère le choix : hors de la couronne montréalaise, rares sont les candidats culturels. On peut noter le syrien Sam Hamad (PLQ) dans Louis-Hébert à Québec, le français Georges Mamelonet (PLQ) à Gaspé ou encore le suisse Sébastien Schneeberger (ADQ) à Drummond. Et encore, vous noterez que pour les deux derniers, ce n’est pas très exotique niveau physionomie :

Sam Hamad

Georges Mamelonet

Sébastien Schneeberger

Source : sites web des partis politiques

En outre, Montréal est reconnu pour ‘tre cristallisé en forteresses : un gain y est toujours exceptionnel pour un parti hors de ses fiefs où le PLQ est majoritaire d’ailleurs. Autrement dit, ce n’est pas à Montréal qu’on gagne de nouveaux sièges.

Facile dans ce cas, me direz-vous : qu’on mette les candidats culturels dans les forteresses. Ils auront ainsi de bonnes chances de gagner. Pas si facile que ça justement. Déjà, il faut trouver un comté qui se libère où le député sortant ne se représente pas. Et il y en a pas des tonnes. Et quand un est disponible, les partis ont tendance à le donner à une autre catégorie de candidats : le candidat vedette. Genre un journaliste (Bernard Drainville) ou un spécialiste du crime organisé (Guy Ouellet). Car le retour sur investissement est souvent plus intéressant avec lui qu’avec le candidat culturel. On appelle ça le calcul politique.

En plus, il faut cibler les comtés montréalais où la carte multiculturelle peut jouer à fond. Et là encore, aucune garantie de l’emporter en présentant un beau petit candidat culturel. La politique n’est pas une science exacte et si ça marchait à coup sûr, ça fait longtemps qu’on le saurait. Gouin par exemple : multiculturel mais aucun parti n’y présente de candidat culturel. Même chose pour Laurier-Dorion et c’est pourtant Elsie Lefebvre, une québécoise pure souche, qui en est la députée depuis 2004. J’aurai l’occasion de revenir sur ce comté très intéressant.

Alors beaucoup dénoncent ce sacrifice des candidats culturels qui se retrouvent dans des comtés impossibles à emporter. De la chair à canon électorale envoyée dans des fiefs adverses ou face à des poids lourds. Exemples :

Dans Jeanne-Mance Viger, Kamal El (PQ) et Ramon Villaruel (QS) vont batailler contre Michel Bissonnet (PLQ) qui y est réélu sans interruption depuis 1981. Pire encore : Zhao Xin (PQ) et Antonio Artuso (QS), deux inconnus qui feront face à Pierre Arcand, candidat vedette du PLQ dans Mont-Royal, un château fort libéral. Pareil pour le plus jeune candidat du PLQ, Vahid Vidah-Fortin, dans Hochelaga-Maisonneuve que représente depuis 1981 Louise Harel, un des ténors du PQ.

Mais attention, faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Il existe des candidats culturels qui sont devenus des valeurs sûres pour leur parti respectif : j’ai cité Sam Hamad tantôt mais il y a également dans Lapinière la libérale et maghrébine Fatima Houda-Pépin (une des deux députées à l’origine de la motion contre l’implantation des tribunaux islamiques au Québec et au Canada). Et au niveau fédéral, citons Maka Kotto du Bloc Québecois.

Alors que faudrait-il faire ? Bien sûr, l’Assemblée Nationale est censée ‘tre représentative de la réalité québécoise. Mais cela reste toujours le choix des électeurs : on ne peut passer une loi obligeant l’Assemblée de réserver 13 sièges rien que pour des députés culturels (10% des 125 sièges). Trop flyé pour que ça arrive ? Un kirpan à l’école ou des vitres givrées au YMCA, ça semblait trop flyé itou. Sérieusement : je doute que cela arrive. Mais que quelqu’un en fasse la demande un jour, chu pr’t à parier un 20 là-dessus.

Mais mettons que ça arrive. Déjà, il faudrait s’entendre sur la définition d’un candidat culturel. Ensuite, choisir les 13 circonscriptions où les partis n’y présenteraient qu’un candidat culturel. Bonne chance. Pis – si on arrive par un miracle absurde jusque là – il faudrait que les électeurs de ces circonscriptions acceptent cette décision. N’y voyez pas aucune discrimination : c’est juste une question de démocratie.

En tant qu’électeur, j’aimerai pas qu’on m’impose un type précis de candidat juste pour satisfaire une certaine question d’égalité. Qu’il soit immigrant, homosexuel, schtroumf ou martien. Bref, si ça arrivait un jour, la démocratie aurait raison de pleurer. Vous savez, la même démocratie qui a poussé beaucoup d’immigrants à venir vivre au Québec.

Pensez-y comme il faut. Une campagne électorale est toujours une course serrée, surtout cette année. Et il faudrait qu’un parti ait une telle avance sur les autres (i.e. assuré d’avoir la majorité absolue) pour qu’il puisse se payer le gros luxe de placer des candidats culturels uniquement dans des châteaux forts. Et même là, rien de mieux que de prendre l’électorat pour acquis pour que ce dernier vous tourne le dos.

Alors les partis y vont de manière stratégique en plaçant leurs candidats en fonction de l’importance de chaque comté. Et ils ont raison : vaut mieux élire le plus de députés possibles en disposant ensuite de moyens concrets à l’Assemblée plutôt que de se suicider politiquement au nom de beaux principes.

Pourtant, il existe des comtés où des candidats culturels ont des chances sérieuses de l’emporter. Pas beaucoup certes, mais c’est mieux que rien. En fait, j’en vois deux.

Il y a d’abord le comté de Viau à Montréal. Son profil socio-économique est révélateur : 50% de la population y parle une autre langue que celles officielles et 42% est d’origine immigrante, communautés italienne et haïtienne en tête. C’est d’ailleurs l’italo-québécois William Cusano qui en est le député libéral depuis 1981. Or, il ne se représentera pas. Le PLQ mise donc sur l’haïtien Emmanuel Dubourg, comptable agréé qui cumule distinctions et honneurs. Le combat sera difficile pour l’algéro-québécoise Naïma Mimoune (PQ) dans un comté où la question nationale n’a jamais eu beaucoup de succès. En fait, la souveraineté n’a jamais eu vraiment la côte auprès des communautés culturelles anyway.

Mais aujourd’hui, il semble qu’il faille relativiser le vote monolithique des immigrants envers les partis fédéralistes dit Carolle Simard de l’UQÀM. Toujours réfractaires aux partis symbolisant le conflit – comme le PQ – la perception de l’immigrant a cependant fortement évolué. Le scandale des commandites et les accommodements raisonnables y sont pour quelque chose, selon Samir Georges Moukal, spécialiste du comportement électoral des communautés ethnoculturelles de l’UQÀM.

Ainsi, quand – ô surprise – Elsie Lefebvre l’a emporté en 2004 dans Laurier-Dorion, on y a vu au PQ une avancée significative du souverainisme dans les communautés culturelles. En effet, plus de 50% de la population de ce comté n’a ni l’anglais ni le français pour langue maternelle et l’immigration y représente la première communauté. Grecs et indiens en tête. Christos Sirros, québécois d’origine grecque, en fût d’ailleurs le député libéral jusqu’en 2004. Elsie Lefebvre lui a ravit ensuite son siège mais avec 483 voix d’avance seulement. Mais pas grâce aux immigrants : plutôt à la portion francophone du comté (Villeray). Beaucoup la considèrent en sursis. C’est peut-‘tre pour ça que son parti l’a nommé porte-parole officielle en matière d’immigration et des communautés culturelles. Histoire de lui donner un coup de main j’imagine.

Et elle en aura bien besoin car elle aura en face la libanaise Ruba Ghazal (QS) et surtout le grec Gerry Sklavounos du PLQ. Jeune avocat criminaliste diplômé de Mc Gill, fortement impliqué dans la communauté hellénique, c’est un enfant de la loi 101. Charest a raison d’affirmer qu’il présente là deux candidats culturels aux chances très sérieuses. même l’ADQ y va de sa candidate culturelle (si l’on peut dire) en y présentant l’acadienne Louise Lévesque !

De gauche à droite : Gerry Sklavounos, Jean Charest et Emmanuel Dubourg. Source : Cyberpresse

Bref, je comprends le tollé sur la sous-représentativité des candidats culturels, mais je ne vois pas ce qui pourrait ‘tre fait de plus. L’immigration est un enjeu stratégique mais l’éducation, la santé et l’emploi aussi. Et les immigrants ne sont pas plus importants que les femmes, les décrocheurs, les autochtones, les gais et lesbiennes ou les travailleurs d’une industrie forestière en crise.

Et by the way, je répète qu’Elsie Lefebvre ne l’a pas eu facile dans Laurier-Dorion, un comté qui était acquis aux libéraux sur le papier. Si le PQ y avait présenté un candidat culturel à sa place, je suis certain qu’on aurait aussi crié à son sacrifice. Faut donc pousser mais pousser égal.

Pis en plus, c’est-tu en favorisant les candidats culturels qu’on envoie un bon message d’intégration dans la société québécoise ? Illogique : pour t’aider à ‘tre un québécois comme tout le monde, m’a t’accorder un traitement de faveur. Et les candidats vedettes me direz-vous. Pas pareil : avec eux, on est dans une logique purement politique non fondée sur l’ethnie, la langue ou la culture. En clair, faudrait que l’immigration soit un sujet plus payant en termes de votes pour espérer voir plus de candidats culturels. Mais en même temps, on évalue souvent l’ouverture d’un parti politique à la place qu’il accorde aux minorités parmi ses candidats (femmes, minorités visibles). C’est ce qu’on s’appelle être pris entre l’arbre et l’écorce.

Bien sûr, tout cela est sur le papier : le verdict tombera pour tout le monde le 26 mars au soir. Je vais y aller étrenner mon tout beau tout neuf droit de vote. Un beau cadeau pour mes huit ans ici. J’aime l’approche de Siou Fan Houang : « dans ma conception à moi, il n’y a ni comté gagnant, ni comté perdant. Tous les comtés sont prenables, il suffit de travailler très fort ». Parlez-en à l’haïtienne et bloquiste Vivian Barbot dans Papineau qui l’a arraché en 2006 au libéral Pierre Pettigrew. Alors, à qui la chance ?

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