Se tirer dans le pied? Le gel des seuils d’immigration - Immigrer.com
vendredi , 22 novembre 2024
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Se tirer dans le pied? Le gel des seuils d’immigration

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Une affiche électorale controversée de l’ADQ vient de relancer le débat sur les seuils d’immigration. Au-delà de l’approche simpliste que fait l’ADQ au travers de cette affiche, c’est toute la question de savoir si le Québec accueille trop ou pas assez d’immigrants. Sur le plan strictement démographique, la réponse est claire : il faut accueillir plus d’immigrants. Quelque soit le scénario retenu pour contrer le déclin démographique, l’immigrant fait partie de la batterie de solutions incontournables. C’est donc se tirer dans le pied que de geler les seuils d’immigration.

Mais un enjeu aussi complexe – l’avenir d’une société – ne peut pas être abordé sur un seul plan : si l’aspect démographique était la panacée, on ne se poserait pas autant de questions. C’est donc tout un ensemble de facteurs qu’il faut considérer. Analyse que je n’ai ni l’ambition ni la capacité de mener. Mais il est clair que derrière la décision d’élever ou non les seuils d’immigration, qu’on le veuille ou non, « on » y rattachera le degré d’ouverture des québécois face à l’Autre, l’immigrant.

Comme si la capacité d’ouverture d’une société pouvait se mesurer à l’aide d’un seul et unique indicateur. Car n’est-ce pas un peu ça qui se dégage derrière les critiques faites à la proposition adéquiste de geler les seuils d’immigration ?

Ainsi, même si le gel des seuils se défendait sur le plan scientifico-démographique, je suis certain qu’il y aurait ce même tollé pour l’interpréter comme un repli sur soi du Québec, un nationalisme réactionnaire, une méfiance moyenâgeuse envers la différence et la diversité et j’en passe. Pourquoi ? Il y a un tas de raisons dont certaines relevant du Québec. Mais aussi des décennies de multiculturalisme canadian – auquel d’ailleurs même le Québec s’est essayé – faisant passer la distinction culturelle québécoise pour, selon le cas, soit un combat pittoresque et folklorique soit une aberration anachronique en cette ère de mondialisation.

Résultat : dès qu’une main se lève au Québec pour simplement demander si on a pris les bonnes décisions quant à la gestion de notre immigration, ce n’est pas long pour qu’elle se fasse traiter de néo-nazi. Surtout si cette main appartient à un québécois de souche, qui a le malheur d’être blanc ou d’habiter dans un trou perdu loin de Montréal la civilisée. Et si, en plus, il milite au PQ ou vote conservateur, il sera définitivement étiqueté. C’est-à-dire de lui faire subir exactement ce qu’on lui reproche de faire subir aux immigrants.

Or, dans cette chronique, cette main levée, c’est la mienne. Qui n’est pas exactement de souche, ni exactement blanche. Qui ne limite ni au PQ ni à l’ADQ, ni ne vote conservateur. Mais qui avoue cependant vivre en région.

Parce qu’en effet, je me pose des questions parfois sur la pertinence de maintenir les seuils d’immigration élevés. Et qu’un gel temporaire ne serait donc pas une mauvaise idée, autant pour les québécois que pour les futurs québécois.

Parce qu’il se peut que parfois, il y ait pire que le repli sur soi (fondé ou pas) : c’est-à-dire la fuite en avant.

Car certains indices méritent réflexion selon moi. Exemples : le taux de chômage très élevé des immigrants d’origine maghrébine, le problème lancinant de la reconnaissance des diplômes, l’érosion du français à Montréal en particulier, le dossier des accommodements raisonnables.

Qu’on se comprenne bien : je ne dis pas que le gel des seuils d’immigration résoudrait ces problèmes complexes et ne rends pas l’immigrant coupable de ces problématiques. Bien au contraire, bien qu’il soit responsable de gérer sa propre immigration, il subit aussi lourdeurs, préjugés et obstacles. L’idée que je veux illustrer ici est que si le Québec était une maison, le néo-québécois n’en serait ni un visiteur, ni un locataire mais bel et bien un propriétaire en puissance. C’est-à-dire que quelque soient ses motivations, la durée de son séjour et ses aspirations futures, le principe reste le même pour tous : une fois résident permanent, il obtient le droit théorique de passer toute sa vie au Québec comme quiconque.

En ce sens, je pense que nous avons le devoir de lui assurer un environnement le plus accueillant possible. Et si un tel objectif représente à lui seul un vaste chantier (économique, politique, éducatif, social, culturel), les circonstances pourraient exiger que cela passe notamment par un gel des seuils. Pas fermer le robinet : maintenir le débit au lieu de l’ouvrir toujours plus grand.

Pourquoi ? Pour s’offrir les meilleurs conditions possibles comme société pour être capable d’offrir les meilleures conditions possibles à nos futurs co-propriétaires. Avec 35 000 immigrants par année, avions-nous les meilleures conditions possibles à offrir autant pour eux que pour nous-mêmes comme québécois ? Je n’en suis pas certain. Est-ce que 10 000 immigrants de plus par année est une bonne façon ou pas de s’offrir ces fameuses conditions ? 10 000 immigrants supplémentaires, ça ne semble pas énorme à première vue. Mais combien de fois faudra-t-il rappeler cette évidence que dans l’histoire qui se joue ici depuis 400 ans, l’îlot, c’est le Québec. On me répliquera qu’il y a d’autres petites nations dans le monde qui s’en sortent bien. Certes. Mais parmi elles, combien sont limitrophes à un géant mondial depuis plus de cinquante ans ?

On me rétorquera que les immigrants n’ont pas à payer pour l’incapacité des québécois à se créer de bonnes conditions. En effet. Ceci dit, l’immigration reste un privilège et non un dû. Deuxièmement, il ne faut pas perdre de vue que ces fameuses conditions, l’immigrant est invité à participer à les bonifier, une fois ici. Troisièmement, si geler les seuils permet de rassurer la majorité francophone du Québec, n’est-ce pas une façon de donner une suite favorable aux demandes fréquentes faites aux québécois de « se brancher » ? Enfin, si ce gel des seuils – insérée dans toute une série d’autres mesures comme par exemple, l’amélioration du français enseigné, revaloriser l’immigration en région, appliquer fermement la loi 101, légiférer sur la question des accommodements raisonnables – permet d’atténuer les tensions, tout le monde en sortira gagnant à terme.

Et bénéfice non négligeable : cela permettra aux discours populistes d’avoir beaucoup moins de prise auprès d’une population québécoise en mal de sécurité identitaire. Et comme je l’ai déjà écrit par ailleurs, ce sentiment d’insécurité ne repose pas sur une quelconque schizophrénie identitaire (théorie qui a l’avantage de permettre à l’immigrant de ne pas se sentir concerné – ou comment avoir le beurre et l’argent du beurre). Mais bien plus sur l’impression profonde de ne pas être totalement rassuré quant à l’avenir de sa propre culture. Approche qui, je l’admets, a le « fâcheux » inconvénient de demander à l’immigrant de s’impliquer dans l’espace public (on aura compris l’ironie).

En ce sens, et dans les conditions actuelles, j’appuie la proposition des adéquistes de geler les seuils d’immigration. L’appuyer ne signifie pas que j’approuve les arguments avancés par l’ADQ pour expliquer sa suggestion. Arriver à la même conclusion ne veut pas dire qu’on a utilisé le même chemin. En outre, cet appui ne veut pas dire non plus que je cautionne les solutions préconisées : bien au contraire, comme je l’écris plus haut, le gel des seuils d’immigration doit s’inscrire dans un vaste chantier faisant intervenir toutes les sphères de la société québécoise. À cet effet, Jean-François Lisée, par exemple, alimente bien le débat.

En fin de compte, cela donnerait le temps d’y voir un peu plus clair. Le temps de prendre mieux soin des néo-québécois déjà installés tout en accueillant un nombre raisonnable de nouveaux arrivants. Le temps de rassurer la société québécoise. Et peut-être que tout cela permettra d’avoir du monde un peu plus serein pour qu’on puisse élaborer et réaliser les profonds et nécessaires changements qui s’imposent.

Car pour l’instant, il y a un tel cirque médiatique autour de l’enjeu de l’immigration et le discours politique est tellement contaminé d’électoralisme à cause du contexte de gouvernement minoritaire qu’il est difficile d’y voir clair. Au contraire : dépendamment de ses convictions politiques, chacun réinterprète la réalité à son avantage (moi le premier).

Ainsi, quand le PLQ veut parler d’économie, il se fait taxer d’oublier les enjeux linguistique et culturel du Québec. Quand le PQ parle de citoyenneté québécoise, il se fait traiter de faire dans l’ethnique crasse. Et quand l’ADQ parle de gel des seuils d’immigration, on le qualifie de faire dans le populisme primaire. L’idée ici n’est pas de savoir qui a raison ou tort mais bien de voir que c’est une guerre de tranchées, avec une position bien précise et étiquetée pour chacun. Faisant en sorte qu’à la longue, chaque message lancé est d’abord analysé en fonction de qui est le messager, ceci venant donc dénaturer l’interprétation qui s’ensuit.

Ainsi, quand l’ADQ parle de geler les seuils, l’accueil fait à sa proposition n’est pas déterminé en fonction de son utilité sociale potentielle mais bien plus de la « réputation » dudit parti politique. Qui, évidemment, a eu droit aux réactions habituelles dans la presse : xénophobe, passéiste, raciste. En toute honnêteté, seriez-vous prêt à parier votre chemise qu’il y aurait eu le même accueil si cette suggestion avait été faite par le PLQ (parti fédéraliste, « parti des immigrants », parti plutôt centriste) ? Ou par QS (parti souverainiste mais se réclamant parti des oubliés, des laissés-pour-compte, des démunis) ?

Mais il est vrai qu’on ne peut jamais réellement dissocier le message du messager : quand le gouvernement conservateur veut élargir le pouvoir discrétionnaire de CIC, c’est « normal » qu’on soit un peu plus méfiant que si cela était venu du PLC ou mieux, du NPD. En fait, ce n’est ni normal ou anormal, c’est surtout une question de point de vue.

En fin de compte, mon souhait ici est le même que celui émis au sujet du projet de citoyenneté québécoise du PQ : au lieu de rejeter cette idée sans prendre le temps de la regarder comme il faut, initions plutôt un temps de réflexion. En vérité, je ne demande même pas d’accepter le gel des seuils d’immigration, juste d’en discuter. Plutôt que de crier au nationalisme populiste débile et foncer tête baissée dans le politiquement correct, les robinets de l’immigration ouverts en grand alors qu’on a déjà de la difficulté en ce moment !

Au contraire : augmenter les seuils d’immigration pour montrer qu’on est un peuple fin, une société ouverte, le tout drapé d’arguments démographiques, en se disant que tout va bien Madame la Marquise, c’est probablement se tirer dans le pied. Quand on sent qu’il y a un problème – fondé ou pas – le mieux n’est-il pas de s’arrêter pour regarder ce qu’il en est, pour espérer repartir du bon pied ?

Peut-être suis-je trop naïf d’espérer ce temps d’arrêt pour réfléchir et discuter. Je ne le suis pas moins que celui qui croit en la fuite en avant, avec ses œillères pour ne pas voir le malaise latent.

Quand je lis que Madame Boucher, présidente de l’Office de la Langue Française, n’a pas d’état d’âme sur l’état de la langue française au Québec, je la félicite pour sa franchise. Mais j’ai surtout l’impression d’être un actionnaire lors d’une assemblée générale d’une entreprise qui se fait dire par le PDG que finalement, perte ou profit, le sort de l’entreprise le laisse indifférent. Je vous laisse imaginer la réaction de la petite gang d’actionnaires, au fond de la salle, venue expressément d’Hérouxville. By the way, le rapport de la Commission Bouchard Taylor est attendu pour la deuxième quinzaine de mai.

Et l’argument démographique ? Je préfère de loin une petite société québécoise qui s’érode tranquillement mais qui a su réconcilier homogénéité identitaire et pluralisme culturel qu’une société québécoise en expansion démographique mais complètement diluée sur le plan identitaire, lourde de ses amertumes et aveuglée par ses clivages et préjugés.

À choisir, il vaut mieux parfois une belle mort rapide qu’une mauvaise vie très longue.

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