Et voilà, c’est fait !
Comme des milliers de personnes au travers le Canada, je suis allé voter pour les élections fédérales. Mais je pense que nous étions beaucoup moins pour qui c’était la première fois que nous utilisions notre droit de vote au niveau fédéral : pour moi en tant que canadien naturalisé mais aussi pour un de mes voisins en tant que jeune électeur d’à peine 18 ans.
Il a d’ailleurs hâte à ses premières élections provinciales. Pour moi, la boucle est bouclée car j’ai voté pour la première fois au niveau québécois l’an dernier, en 2007. Ces élections fédérales, je les attendais depuis longtemps : pour exercer mon droit de vote bien entendu en tant que membre de ma société d’adoption mais aussi pour regarder où j’en étais dans mon parcours d’immigrant. Parce qu’avoir le droit de voter, c’est – à mon avis – la responsabilité de l’utiliser avec le plus de discernement possible. Et j’étais impatient car j’étais curieux de savoir quels seraient les enjeux collectifs qui viendraient m’interpeller et sur lesquels j’allais évaluer les plateformes électorales. C’est une lapalissade que d’écrire cela mais une campagne électorale, ce n’est pas comme en temps normal : une campagne, c’est en quelque sorte un condensé des priorités d’une société. L’occasion est unique pour tout groupe social de saisir les politiciens pour augmenter la visibilité de leur cause grâce à l’exposition médiatique accrue. L’enjeu étant la prise de pouvoir pour les partis politiques, ces derniers se rappellent alors soudainement qu’ils sont élus et qu’il n’est donc pas si inutile que ça que de proposer des choses pour répondre aux préoccupations des gens. En résumé, une plateforme est donc l’interprétation idéologique que fait un parti politique des enjeux d’une société à un moment précis auxquels il propose ses solutions.
Concrètement, j’étais donc curieux de savoir qui en moi allait être interpellé : l’immigrant, le néo-québécois, le canadien, l’intervenant en relation d’aide, l’enseignant, le contribuable, le bénévole, le consommateur ? En partant, je savais qu’il était impossible que toutes ces « identités » puissent être satisfaites : à moins d’inventer l’arbre à faire pousser l’argent, je ne voyais pas en effet comment un gouvernement pouvait investir massivement en éducation, en santé et services sociaux et dans des services à l’immigration tout en faisant baisser mes impôts, préserver mon pouvoir d’achat et protéger l’environnement. Il me fallait donc établir ma liste d’épicerie et, fait intéressant, l’immigration n’apparaissait pas nécessairement dans mes trois premières priorités.
En avril 2007, lors des élections québécoises, les dés étaient pipés : le dossier des accommodements raisonnables dominait l’actualité et les trois principaux partis provinciaux avaient fait dans la surenchère identitaire. L’immigration avait donc pris beaucoup (trop) de place, ce qui, personnellement, ne m’avait pas nécessairement permis de me positionner clairement comme citoyen électeur sur d’autres enjeux tout aussi importants (éducation, santé, économie, environnement, etc). Les élections fédérales 2008 étaient donc l’occasion de me voir aller sur une question intéressante : comment se passe mon intégration ?
Car en fait, placer l’immigration comme un enjeu prioritaire dans le contexte actuel venait certes interpeller l’immigrant en moi mais pas nécessairement mes autres identités qui se sont développées au fur et à mesure ici. Le citoyen que je suis, installé depuis des années, avait donc à cœur de voir nos élus réagir sur des défis qui ont une influence directe sur mon quotidien : la santé, l’éducation, l’environnement et – évidemment – l’économie avec la crise financière actuelle. D’où le lien avec mon intégration : est-on intégré quand nos préoccupations quotidiennes deviennent similaires à celles de quiconque ici ; est-on intégré quand on souhaite voir nos politiciens proposer des solutions à des problématiques qu’on vit tous les jours au travail, aux études, dans nos loisirs ou encore dans notre implication sociale ?
Dire cela, ce n’est pas dire que le dossier de l’immigration au sens large (gestion des demandes d’immigration, services d’intégration, francisation, reconnaissance des diplômes, aide à l’employabilité) ne m’intéresse pas ou plus. Intégré ne veut pas dire renoncer à mon identité d’immigrant. Et d’ailleurs, ce dossier continue de m’intéresser de différentes façons : par le travail et par mes chroniques pour Immigrer.com par exemple. Non, dire cela c’est simplement se dire que l’adaptation faisant tranquillement son œuvre, mon quotidien est ici désormais. Rappeler sans cesse mon identité d’immigrant – autant à autrui qu’à moi-même – ne m’aide pas nécessairement dans mon intégration. Je ne nie pas cette identité : je veux seulement lui donner la juste place qu’elle mérite d’avoir là où je suis rendu dans ma vie ici. Ni plus, ni moins. Et sa juste place, après plusieurs années ici, est importante (et elle le restera toujours) mais certainement pas plus importante que la santé, l’éducation, l’environnement et l’économie.
Bien sûr, l’immigration a toujours constitué et constituera pendant encore longtemps une force majeure dans le développement des sociétés canadienne et québécoise. Inutile que je vous ressorte la rhétorique institutionnelle : CIC et MICC vous la servent copieusement. Mais à quoi cela sert-il de faire venir du monde qualifié si, par exemple, nos entreprises locales ne sont pas en mesure de les embaucher parce que l’économie fléchit ? À quoi cela sert-il de faire de faire venir des parents d’ailleurs si nos écoles ne sont pas en mesure d’offrir une éducation de qualité à leurs enfants ? Et si tant d’immigrants sont intéressés à venir vivre ici, c’est probablement parce que ce Canada est sécuritaire, prospère et propose un minimum de services publics : ce Canada-là, il a bien fallu le bâtir. Il ne s’est pas créé au moment où je suis arrivé !
Vous me direz que c’est un peu l’histoire de l’œuf et de la poule : pas de Canada, pas d’immigrants intéressés à venir mais sans immigrants dans le passé, pas sûr qu’on aurait eu ce Canada. Et vous auriez tout à fait raison de dire cela. Sauf que ça prend un peu plus qu’une main-d’œuvre pour bâtir un pays : ça prend aussi des idées, de l’argent, des structures, des lois, etc. Là où je veux en venir, c’est qu’il faudrait peut-être accorder à l’immigration au Canada la même place que chacun de nous comme immigrant installés ici nous devrions peut-être lui accorder : un enjeu important certes mais un enjeu parmi d’autres. Dans notre parcours, nous restons toujours des immigrants ne serait-ce que parce que nous aurons toujours deux chez-soi, même si nous avons décidé d’en privilégier un plus que l’autre. Mais notre costume d’immigrant doit évoluer si on souhaite s’intégrer : je ne peux pas rester continuellement en marge de ma société d’accueil en jouant les observateurs détachés ou pire, en ne m’intéressant pas aux enjeux qui la traversent. À un moment donné, je crois qu’il faut sauter dans le bain : aborder ces enjeux en tant que citoyen, c’est-à-dire avec le regard de la personne qui se sent aussi concernée par ce qui se passe au même titre que mon voisin, mon collègue de travail, mes amis. Sentir que mon destin se lie peu à peu à celui de ma société d’accueil.
Je l’avais déjà écrit dans une chronique précédente mais il m’apparaît trop facile, d’un côté, de ne pas sauter sur la glace avec tout le monde tout en continuant, de l’autre côté, de dire aux autres comment ils devraient patiner. La citoyenneté – et à plus forte raison l’intégration – ne se résume pas au droit de vote, au passeport et au paiement de ses impôts. On va me répondre : et alors ? J’ai bien le droit de faire ce que je veux. Je réponds : tout à fait. Mais à ce moment-là, il faut être cohérent : n’allons pas ensuite critiquer cette société à laquelle on refuse de s’intéresser. Vous voulez rester sur le banc et ne pas participer au jeu sur la patinoire ? Parfait : dans ce cas, restez assis et ne dites surtout plus rien. Je ne vous ferai pas l’insulte de vous rappeler la petite morale dans l’histoire du beurre et de l’argent du beurre.
Dans le même ordre d’idées, il y a un grief – que je trouve très justifié mais en partie seulement – que les immigrants adressent régulièrement aux québécois dans la distinction que ces derniers font entre les québécois de souche et les néo-québécois. Tout à fait vrai qu’il y a encore cette attitude à encore différencier ceux nés ici (comprenez ceux qui descendent de colons français, de type caucasien et d’héritage catholique) et les autres. Et je trouve que les immigrants qui tentent sincèrement de s’intégrer et qui subissent cette distinction ont raison de dénoncer cela. Mais il faut se rappeler que ceux qui se ghettoïsent contribuent aussi à entretenir cette distinction. Cela revient à vouloir faire partie de l’équipe sans vouloir aller sur la glace et lui reprocher en même temps de vous faire tenir à l’écart !
Bref, quelque soit le choix posé, il faut l’assumer. Et cela reste tout à fait possible à mon avis sans devoir renoncer à son identité d’origine. Mais la seule façon de le savoir, c’est de s’investir dans sa société d’accueil : car, en effet, comment savoir réellement ce qu’on risque de perdre si, justement, on ne se risque pas ? Et pour ceux qui sont convaincus qu’ils vont perdre quelque chose, pourquoi être venus alors ?
Bref, la responsabilité est partagée. Quand je suis allé voter, je me suis rappelé les mots d’une professeure spécialiste de l’interculturalité avec qui j’avais discuté il y a quelques semaines : « n’oublions surtout pas que les immigrants d’aujourd’hui sont les membres de notre société qui accueilleront demain ».
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