Jusqu’à il y a quelques jours, pour cette chronique, je voulais écrire sur l’intégration des enfants d’immigrants à la société québécoise et ce à partir de mon propre vécu mais une sortie en ce beau dimanche du mois de juin m’a fait changer d’avis. L’idée de cette escapade est venue de ma conjointe suite à la lecture d’un fil de discussion sur immigrer.com où elle apprend qu’une ferme de la région de Charlevoix commercialise du foie gras. Comme quoi, on peut parfois trouver des informations insoupçonnées sur le forum!
De toute façon, au Québec, quand il fait beau en fin de semaine ou durant les congés, il ne faut surtout pas rater l’occasion de sortir car même si c’est l’été, la pluie peut à tout moment s’en mêler pour nous gâcher nos jours de repos. Cette fois-ci, on a décidé de sortir sans les enfants. Il y a bien eu quelques résistances et hochements de la tête de la part des Petits… mais on a réussi à les convaincre de rester à la maison.
On charge notre ainée de faire la gardienne mais on insiste d’y aller en douceur pour rétablir l’ordre en cas de « rébellion », puis on prend notre bâton de pèlerins. Sur la route, on s’arrête à une vente de garage. De bonnes affaires : on achète cinq livres à l’état neuf – des romans comme notre gardienne du jour les aimes – trois tableaux de peinture et une chaise berceuse. Le tout à seulement 17 dollars. Notre ballade commence bien. Quelques minutes plus tard, on arrive à Baie-Saint-Paul, jolie petite ville de la région de Charlevoix. La Mecque des artistes-peintres! La Rue Saint-Jean-Baptiste, la principale artère, est longée, sur ses deux cotés, par de nombreuses galeries d’art où l’on expose et l’on vend des tableaux à des prix atteignant 7 mille dollars – voire plus- l’unité. Ça donne une certaine idée de la taille du portefeuille des touristes qui se rendent dans la région. Heureusement que les restaurants, bars et cafétérias aux belles terrasses, demeurent accessibles à des bourses bien plus modestes comme la mienne. Ma conjointe tenait tant à son Steak Frites et je la comprends. Faire 100km de route pour visiter cet arrière-pays québécois d’une beauté à couper le souffle, laisserait forcément un certain gout d’inachevé si on ne soupe pas sur place.
On s’informe auprès du bureau d’informations touristiques pour avoir l’adresse de la fameuse Ferme basque. Une sympathique hôtesse nous remet une carte de la région et nous explique que c’est seulement à un quart d’heure. On prend la 138 EST puis la 381 et au bout de quelques minutes, on arrive sur les lieux. Un vaste terrain et une bâtisse de campagne qui n’est pas sans me rappeler certaines habitations en Kabylie, collées les unes contre les autres. On aperçoit une dame en train d’arroser la pelouse. Elle remarque notre présence mais n’interrompt pas son travail. Il y a bien une entrée de quelque chose qui s’apparente à une boutique mais on n’avance pas en raison de la présence d’un chien qui se tient debout le regard vers nous comme pour nous interdire de nous approcher davantage. Lorsque la dame se rend compte que nous sommes restés immobilisés, elle nous aborde et nous invite à rentrer non sans nous rassurer qu’elle ne laisserait pas un chien agressif accueillir ses clients. Je ne fais pas attention à son accent. Elle nous présente Julen (prononcer Youlen en Basque) le vendeur puis vaque, de nouveau, à ses occupations à l’extérieur. On est d’abord invité à déguster plusieurs produits. Là, je me rends compte que Julen a un accent français. Je me dis qu’un Français dans une ferme retirée du Québec profond, ce n’est pas tous les jours qu’on en rencontre. Quand par politesse, je lui demande d’où est ce qu’il vient, il répond : Du pays basque. D’après lui, c’est ainsi que tous les Basques se présentent. Une façon de ne pas séparer les Basques français de leurs frères espagnols. Ceci étant, Julen se sent aussi Français. S’il n’oublie pas de mentionner qu’il vient du pays basque, c’est également pour informer les gens d’ici de « l’existence d’un peuple basque qui lutte pour son identité un peu comme le peuple québécois ».
Julen, qui vient d’obtenir sa nationalité canadienne, est arrivé dans la région il y a deux ans. Auparavant, il vivait dans l’Outaouais. À Charlevoix, il s’y plait beaucoup. Avec sa copine française qui travaille dans la santé, il vient d’acheter une maison. La région lui rappelle son pays basque qui lui manque quand même beaucoup. Julen travaille 9 mois sur 10 et s’inscrit au chômage durant l’hiver. Lorsqu’il ne travaille pas, il en profite pour pratiquer plusieurs activités récréatives comme le ski de fond, la raquette,… et se reposer. Durant la conversation, on apprend que ses patrons sont aussi basques, d’où le nom de « Ferme basque ». Ils sont installés dans la région depuis dix ans. Alors que la femme s’occupe de la ferme et des 3000 canards qu’ils élèvent, le mari travaille comme directeur général d’un établissement touristique local. Je m’aperçois que je l’avais en fait déjà rencontré durant un séminaire visant à attirer les immigrants pour combler les besoins en main d’œuvre dans les secteurs de l’hôtellerie, la restauration et de la santé. Le problème est que, dans le secteur du tourisme, les emplois sont saisonniers. Avant de s’installer dans la région, le couple avait vécu quelques années à Vancouver où le mari occupait un poste de cadre supérieur dans une importante chaine hôtelière. Le couple a troqué la vie en grande ville contre celle plus calme en plein campagne.
Le couple qui a deux filles, Izar (Étoile) et Alaia (Joie) semble bien intégré. Pourtant, de part les noms qu’ils ont donnés à leurs enfants mais aussi à travers les écriteaux en basque souhaitant la bienvenue à la clientèle, on sent un attachement aux racines. Selon Yulen, c’est le cas de tous les Basques. Même ceux arrivés, au Québec, il y a des siècles, auraient gardé des liens forts avec la culture basque. Izar et Alaia ne parlent pas le Basque mais savent d’où leurs parents viennent. À l’école, même si Izar « n’a pas l’habitude de se vanter », elle est la meilleure de sa classe et a plein d’amis. Elle est en quatrième année et Alaia en troisième mais elles étudient ensemble. En raison de la baisse de la clientèle, la direction de l’école a regroupé dans une même classe les élèves de 3ième et de 4ième année et fait de même avec les 5e 6e. C’est la solution trouvée par la direction pour éviter la fermeture de l’école comme il y en a eu dans d’autres régions. Il faut parfois d’importantes mobilisations populaires pour empêcher de telles fermetures comme cela s’est produit, il y a quelques années, dans un village près de Thetford Mines. Triste vécu des régions qui se vident de leur population en raison du déclin démographique et de l’exode vers les villes.
Notre sortie fut quand même intéressante à plus d’un titre. On a découvert et gouté à plusieurs produits dérivés du canard (foie gras, magrets, confits, terrines, …), redécouvert l’une des plus belles régions du Québec et on a fait connaissance avec d’autres immigrants. Et puis, avant ce dimanche, tout ce qu’on savait du foie gras, est que c’est un produit de luxe tout comme le Caviar. Je sais désormais que même si les prix sont élevés, il est à portée de tout le monde de satisfaire de temps en temps la petite envie de gouter à ce produit artisanal. Si l’envie vous prend vous aussi, vous savez qu’il y a des immigrants qui sont prêts à vous faire gouter quelques délices du terroir québécois. Merci d’avoir lu ce long récit de mon « égarement estival ».
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