Je viens de lire le billet de BeatriceMontreal qui parle des rassemblements qui ont eu lieu le jour et le lendemain de l’attentat qui a eu lieu à la rédaction de Charlie Hebdo. J’ai hésité plusieurs semaines à en parler moi aussi, pour différentes raisons. La première étant que je n’aime pas parler sous le coup de l’émotion, nos paroles dépassent souvent notre pensée dans ces cas-là, et si sur certains sujets c’est préférable, sur d’autres on doit au contraire essayer de faire preuve de modération.
Tout a été dit ou presque au sujet de cette attaque ignoble, les réactions ont fusé de tous bords, le débat entraînant amalgames, accusations, rapprochements. dans ce que la société a de meilleur et de pire. On a parlé de beaucoup de choses, de liberté d’expression, de récupération politique, de provocation, du Nigéria qui n’avait pas la même attention médiatique, des responsables politiques présents au grand rassemblement et de ceux qui en étaient absents. Bref, de tout et n’importe quoi.
Je n’entrerai pas dans les détails ou dans un débat de fond. J’appréciais la liberté de ton de Charlie mais leur mauvaise foi m’irritait tout autant, j’aimais leur irrévérence quand elle allait dans le sens de mes convictions tout en les blâmant quand elle semblait les heurter. J’ai croisé beaucoup de leurs auteurs dans des salons de BD, invité et animé des colloques avec Charb et Val sur la Palestine, collaboré avec eux quand je travaillais pour RasL’Front et comme beaucoup d’auteurs que je connais j’ai un peu coupé les ponts avec eux suite à des affaires internes sans intérêt aujourd’hui. Mais si une chose est certaine, c’est que d’imaginer des hommes armés faire un massacre dans cette salle de rédaction qui d’habitude raisonnait de rires, de débats enflammés a été pour moi un choc dont j’ai mis plusieurs jours à me remettre. Le rassemblement le soir-même devant le consulat à Québec a été émouvant, même si les paroles de la Marseillaise résonnent toujours étrangement dans un contexte où on souhaite un apaisement et non un appel à la vengeance.
On a beaucoup utilisé le terme « liberté d’expression » les jours qui ont suivi mais cela m’a forcé à me poser des questions sur ce qu’on entend par là. On dit toujours que notre liberté s’arrête là ou commence celle de notre voisin, et je le crois de plus en plus. Si on accepte tout au nom de l’humour, pourquoi est-ce qu’on se félicite aujourd’hui qu’un Gab Roy soit pris à son propre jeu ? Est-ce qu’un article haineux, raciste, discriminatoire peut être toléré au nom de la liberté d’expression ? Où s’arrête la satire et où commencent la provocation, la diffamation ? Ce qui me dérange quand on en appelle à la liberté d’expression systématiquement, c’est qu’en général on la tolère uniquement quand elle va dans le sens de ce qu’on croit être juste. Quand elle vient « punir », blesser ceux de l’autre camp, quel qu’il soit.
Pourtant, tout petit déjà on apprend dans la cour que cette liberté vient aussi avec des contraintes, des balises, un contexte. On ne va pas dire à un handicapé que sa présence nous dérange, on ne va pas dire à un obèse qu’il est bien trop gros, on ne va pas dire au costaud de la cour qu’on le trouve abruti. Pourquoi ? Pour ne pas blesser, stigmatiser, ou tout simplement se faire défoncer. La liberté d’expression, c’est de pouvoir dire calmement à un enseignant que selon nous sa méthode ne marche pas, que ses cours pourraient être améliorés, de lui proposer des solutions concrètes sans se faire punir. Ce n’est pas d’écrire des insultes sur lui dans les toilettes de l’établissement.
Et dans le fond, si ces principes s’appliquent dans une cour d’école, pourquoi en irait-il différemment sur un forum de discussion ?
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