De Isseo17
Mais que voulez-vous qu’on vous dise ?
Nous sommes encore là, donc à part si nous sommes complétement maso, c’est qu’on n’y est bien….
Maintenant, parler de réussite…? Qu’entendez-vous par là ?
Il y a 6 ans qu’on est là, et oui, nous avons atteint certains de nos objectifs :
Notre fils dispraxique a eu une formation qu’il n’aurait pas eu en France et a un métier dans les mains, grâce à un apprentissage. Il rêvait de grandes études intellectuelles et il est palefrenier. Malgrè ses difficultés, nous avons pu le maintenir dans le système scolaire jusqu’à ses 18 ans pour nous c’est une victoire…. Et pour vous ?
Nous avons , enfin une maison suffisament grande pour pouvoir y vivre à 7 sans nous marcher sur les pieds et sans avoir à ranger le petit dernier dans un tiroir quand les grands veulent recevoir. Pour nous c’est important…et pour vous ?
Nos ados sont sympas, ouverts, confiants…et râleurs comme il se doit. Nous vivons une belle cohésion familiale, pleine de conversations et de fous-rires, de confidences, de confiance et de petites chicanes. Nous nous estimons chanceux de vivre tout ça ensemble…Est-ce votre objectif ?
Nous avons aussi des objectifs que nous avons du mal à atteindre : Faut-il en parler ?
Nous venions checher la stabilité : coté adresse, c’est fait : 6 ans dans la même maison , ça ne nous était jamais arrivée. ( en fait c’est la maison qui a changée… )
Par contre coté boulot : mon homme en est à son troisième boulot et amorce un changement de cap complet, usé par une ambiance de travail syndicalisée à outrance. Comment savoir si ce sera une réussite ? Depuis 6 ans, les hauts et les bas financiers s’enchaînent à une telle vitesse que ça devient obsédant. La sécurité financière tant attendue sera pour demain….Et cela pèse de plus en plus lourd dans ma vie.Un échec ? Non, une déception.
Nous avons choisi une immersion totale, en nous installant dans un petit village. Nous en assumons les conséquences : bonnes ( nous avons très vite été dans le bain, les découvertes de notre environnement se sont faites à vitesse grand V, nous sommes connus par tous et connaissons tout le monde, nous avons un cadre de vie exceptionnel,un terrain immense et une maison à l’avenant, des écoles en zone prioritaires qui nous offrent des services qu’il n’y a pas forcément ailleurs…).
Et mauvaises : nos enfants se sont heurté sd’abord à un mur de curiosité, puis à celui du rejet plus ou moins ouvert comme tout enfant différent ( de part leur accent, leur leadership, leur envie de découverte…).Un rejet qui nous a conduit à opter pour une école privée pour nos deux filles.
Pas question pour nous de se retouver de temps en temps entre français pour se ressourcer, pour retrouver les relations faciles » à la françaises ». À nous de nous dépatouiller avec les non-dit et les feintes de non-recevoir lorsque nous mettions les pieds dans le plat. À nous de trouver les bons mots et les bonnes attitudes sous peine de réactions immédiates et épidermiques. Pas question non plus d’espèrer trouver des petits produits français qui nous manquaient tant, et que nos amis Montréalais vont dénicher à Jean Talon ou autre….Seuls français dans la place, nous nous sommes pris des portes sur les doigts et des coups innatendus….
Mais nous sommes là ! Dans notre routine. Les enfants partent tous les matins à l’école, et reviennent avec leurs histoires d’ados qui se bouffent le nez pour une couleur de pantalon ou de chums de l’une ou de l’autre, leur agacement face aux niaisages dont ils sont victimes dans les bus, leur larmes des mauvaises notes et leur sourire des bonnes, mais aussi avec de belles histoire d’amitié et de découvertes…
Mon homme est passé de l’usine à l’agence, mais part le matin et revient le soir avec ses découragements devant les clients récalcitrants, comme il revenait avec ses histoires d’ouvriers jaloux et de machines réfractaires à toutes réparations, mais aussi avec ses expèriences d’entraide et de réussites et la mise en valeur de nouvelles capacités.
Et moi, je continue à remplir et à vider le frigidaire bien régulièrement, à gérer les stress des uns et les joies débordantes des autres, à consoler et à congratuler, à écouter et à conseiller, à encourager et à redresser les bretelles…
Alors dans tout ce fatras quotidien, qu’y voyez vous ? Pensez-vous que c’est à tout cela qu’on peut juger de la réussite d’une immigration ? Qu’est-ce que cela vous dit des moments de cafard noir et de larmes que nous avons traverser pour arriver à cet équilibre ? Et qu’est ce que ça vous fait partager de nos joies toutes simples et de nos coups de coeur d’un instant ?
Oui, nous sommes là et bien là . Qu’allez-vous en tirer pour votre propre profit ?
Ma conclusion sera seulement que si vous venez chercher des choses toutes simples, il y a fort à parier que vous les trouverez. Peut-être tout simplement parce qu’elles sont déjà au fond de vos valises, mais c’est bien connu, on laisse toujours de vieilles choses enfouies dans les valises du grenier. Une immigration permet souvent de juste les redécouvrir.
Si vous venez chercher de l’extraordinaire : une vie plus facile, plus riche, plus plus plus….Vous risquez fort d’être déçus, et de trouver ici les mêmes difficultés que chez vous : difficultés à se faire comprendre et à se faire aimer, difficultés à travailler ensemble, difficultés à suporter les arcanes administratives des banques, des mairies, des écoles…, les impôts, les patrons, les profs, les collègues, les voisins, les copains…et j’en passe.
Je sais ce que ce bilan familiale peut avoir de décevant pour tout ceux qui sont dans l’excitation de la préparation, et qiui rêvent d’avenir en couleur. Mais voilà, c’est le mien : petit bilan ordinaire pour petite ( ) famille ordinaire.
Et ma vraie réussite à moi, c’est de savoir que où que l’on soit, quelques soit le pays ou le continent où nous vivons, au travers des chambardements que nous avons vécus,des peines, des joies,des déceptions, nous avons été capables de garder notre cohésion familiale et l’amour qui nous construit.
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