Dès le 1er février, une nouvelle mesure du gouvernement du Québec entrera en vigueur, rendant les travailleurs étrangers temporaires et leurs conjoints inéligibles aux services publics d’aide à l’emploi, à l’exception des étudiants étrangers titulaires d’un permis de travail post-diplôme. Cette décision suscite une vive inquiétude parmi les organismes spécialisés dans l’intégration professionnelle des immigrants.
Un accès restreint qui fragilise l’intégration des travailleurs étrangers
Jusqu’à présent, les services publics à l’emploi permettaient aux travailleurs étrangers temporaires et à leurs conjoints d’obtenir un accompagnement essentiel pour comprendre le marché du travail québécois, rédiger un CV conforme aux standards locaux, développer un réseau et interagir efficacement avec les employeurs. Pour de nombreux nouveaux arrivants, ces services constituaient un tremplin vers une intégration réussie.
« C’est comme un coffre à outils qu’on veut le plus complet possible pour leur permettre d’être autonomes dans leurs démarches et, surtout, de se trouver des emplois dans les meilleurs délais », explique Yann Hairaud, directeur général de Clef pour l’intégration au travail des immigrants (CITIM). La suppression de cet accès risque donc de compliquer considérablement l’intégration de ces travailleurs.
Des organismes pris de court et en difficulté
Les organismes spécialisés dans l’intégration professionnelle des immigrants ont été informés de cette décision seulement quelques jours avant sa mise en application. Cette annonce a provoqué un choc dans le secteur.
Émilie Bouchard, coordonnatrice du Réseau national des organismes spécialisés dans l’intégration à l’emploi des nouveaux immigrants (ROSINI), souligne l’impact direct de cette décision : « Ces personnes-là vont être laissées à elles-mêmes pour leurs démarches de recherche d’emploi dans un environnement qu’elles ne connaissent pas nécessairement. »
Cette mesure risque également d’avoir des conséquences financières pour les organismes, qui reçoivent des subventions en fonction du nombre de participants bénéficiant de leurs services. Une baisse du nombre d’usagers signifie donc une diminution du financement, mettant en péril leur fonctionnement et leur capacité à soutenir d’autres clientèles vulnérables.
Un changement justifié par la hausse du chômage ?
Le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MESS) justifie cette décision en expliquant que l’accès des travailleurs étrangers temporaires aux services d’aide à l’emploi avait été instauré en 2019 en raison d’une pénurie de main-d’œuvre. Or, selon le gouvernement Legault, la situation économique a évolué et la hausse du taux de chômage permet désormais aux employeurs de recruter localement.
Cependant, les chiffres avancés par le gouvernement sont contestés par les organismes sur le terrain. Le MESS affirme que les travailleurs étrangers temporaires et leurs conjoints ne représentaient qu’entre 0,2 % et 0,9 % des bénéficiaires des services d’aide à l’emploi depuis 2019. Une donnée qui fait sourciller Émilie Bouchard : « Nous, on le voit plus au niveau financier, que c’est un coût important pour le ministère. S’ils sont en compressions budgétaires, cela représente pour eux un gain d’argent. »
Des répercussions inquiétantes pour les employeurs et l’économie
Cette décision ne concerne pas uniquement les travailleurs étrangers temporaires. Elle pourrait également avoir un impact sur les employeurs québécois qui peinent à recruter. « Beaucoup d’entreprises n’ont pas de lien direct avec les communautés de personnes immigrantes et c’est souvent par notre intermédiaire qu’elles sont en mesure d’établir des ponts », explique Yann Hairaud.
Sans ces services, il y a un risque accru de désalignement entre l’offre et la demande d’emploi, ce qui pourrait nuire à la dynamique économique locale. Les employeurs pourraient avoir plus de difficulté à combler certains postes et les travailleurs étrangers temporaires pourraient se retrouver dans des situations de précarité accrue.
Vers un dialogue pour un retour en arrière ?
Face à ces enjeux, plusieurs acteurs du milieu demandent au gouvernement de reconsidérer cette décision ou, à tout le moins, de mettre en place des mesures alternatives pour accompagner ces travailleurs.
« C’est une sorte de claque au visage des organismes qui travaillent auprès de ces clientèles et pour qui cela représente une cible importante », déplore Nisrin Al Yahya, directrice générale du Réseau des services spécialisés de main-d’œuvre (RSSMO).
Pour éviter une rupture brutale, certains plaident pour un maintien partiel des services, notamment sous forme de programmes spécifiques financés différemment. En attendant, les travailleurs étrangers temporaires risquent de devoir naviguer seuls dans un marché du travail complexe, compromettant leur intégration et leur succès professionnel au Québec.
Source : Radio-Canada
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