De Doohan
Je réalise que je ne suis pas arrivé hier, mais en décembre 1997. Ça fait un bout. Les témoignages des postulants encore dans l’hexagone qui souhaitent venir vivre ici m’interpellent, et je me dis que peut être je peux donner un coup de pouce à ceux qui pourraient en avoir besoin.
Lorrain d’origine, enfant de prolo, études sup en Réigon Parisienne (ingénieur Génie Chmique, Doc Informatique; c’est loin, dans les années 80-90), entreprise à Montpellier avant mon départ. J’ai tout liquidé et suis venu avec les papiers en « bonne et due forme ». Ne suis jamais retourné en France depuis, sauf une fois vite fait en 98.
J’ai enseigné à Polytechnique, fait de la recherche avec Ste-Justine. J’ai ma compagnie, une maison sur la rive sud avec un grande piscine, je roule en SL500 l’été (c’est pas long; en septembre je remonte le toit), j’aide pas mal les autres, je vis en paix, ici c’est possible. Il est rare qu’un Québecois se pointe devant votre face pour vous pomper l’air ou vouloir vous amener à penser comme lui. Le Français chiale, mais c’est un mouton, bien plus docile que le Québecois (alors que le Québecois voit le Français comme un protestaire, un dur qui ne s’incline pas).
Que dire ?
Vous voulez émigrer ? Pourquoi pas, faites le. Aurez vous le mal de pays ? Sans doute, et parfois ce pourra être plus douloureux. Trouverez vous facilement un bon job ? Tout dépend de vos contacts. Si vous n’en avez pas, ce sera peut être difficile, mais rien n’est jamais sûr, pas plus le pire que le meilleur.
Ce qui m’a manqué le plus ? Les châtaignes (je parle des fruits), il en existe, les Québecois se demandent de quoi il s’agit. Les marbrés Vandamme et l’autre dont j’ai oublié le nom (si quelqu’un m’amène un vandamme [pas Jean-Claude !], il est le bien venu autour de ma piscine cet été). Les belles routes moto. Ici, on est en puissance libre. Ma CBR1100XX crache 164 CH au vilebrequin, mais faut savoir tracer la route vite lorsque la SQ pointe sa face. On peut encore le faire, because les radars automatiques, néant ici (quelques uns, faut les connaître).
Les légendes ? Tu a la citoyenneté canadienne, tu bosses quand tu veux aux États. Faux ! On est un touriste aux US. Des facilités pour des visas temporaires, mais ces visas ne peuvent pas être convertis en Green Card.
Les Québecoises ? Ma conjointe est québecoise pure laine, infirmière, c’est un ange. La québecoise « de base », si je puis me permettre d’être aussi terre à terre, est américaine par l’âme: son petit monde d’abord, ses intérêts, après on voit. Mais n’est ce pas finalement le cas pour tous, avec plus ou moins d’hypocrisie. La même québecoise qui cotise à son REER (sorte de retraite privée; tu épargnes pour ta face plus tard, because la retraite publique, tu peux compter dessus pour 2 pleins d’essence, après ça tu marches ou tu pédales, au choix) donnera facilement un billet de 5 (ce sont des dollars pas des Euros; j’en ai jamais vus d’ailleurs) au mec sympa qui vend le magasine « L’itinéraire » à la sortie du Pont Jacques Cartier.
Ce qui est frappant ici ? La paix. Impossible de voir un quêteux qui file un coup de pied dans ma Mercedes à une lumière. D’abord parce qu’avec mes 230 livres, ma gueule de gros ours et mes habitudes de prolo lorrain, je vais discrétement lui glisser un pain s’il n’y a pas de témoin, ensuite, s’il y a des témoins, les flics vont rappliquer en moins de 2, car ici, agresser physiquement quelqu’un ou son bien, c’est très grave. Évitez une sortie répétée du genre « Je vais te claquer la gueule » devant témoins, car si le gus porte plainte, crack, c’est l’arrestation vite fait. C’est à dire qu’on n’est pas à Argenteuil ou Cergy Pontoise, voyez ce que je veux dire. Tu veux la paix ? Tu l’as. Et ça, ça n’a pas de prix.
Typique d’ici: le quêteux me voit débouler, musique à fond dans ma SL500 avec mon cigare dans la tronche. Il paraît heureux pour moi, et s’il en a le temps, il me gueule un « Belle voiture, félicitations ! » Je lui réponds que je n’y suis pour rien (où est le mérite d’avoir du fric, même si on l’a gagné ??), je lui glisse une coupure de 20, il est content, ça fait sa journée. Moi aussi, because je me dis que c’est bien agréable de voir des gens qui ne soient pas envieux, amers, frustrés, alors même que le brave gars avait faim et aurait pu, peut être à juste titre, me demander des comptes (qu’ils n’auraient pas eus d’ailleurs, sans préjudice d’autres sanctions, dont la plus immédiate aurait été ma renonciation à lui filier 20 piastres [pourquoi filer du pognon à un gars qui fait la gueule, qu’il aille ch**r sti!]).
Mais ici comme partout, les banques sont reines, les fonctionnaires leurs larbins. Pour être indépendants, faut du cash. Mais même pauvres, l’air ici est plus léger. On étouffe moins. La main de Big Brother est plus légère sur le collet des lâches que tous nous sommes. La route est ici plus large pour l’homme de bonne volonté.
Mais encore ? Je ne sais pas moi. Demandez, vous serez répondus…
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