Jimmigre, tu immigres, on immigre…
par Petiboudange le 5/4
J’immigre, tu immigres, on immigre tous différemment et pourtant on vit tous la même chose !
Depuis quelques semaines fleurissent sur le forum les bilans des uns et des autres. A la lecture intéressée que je fais de chacun, je me rends ô combien compte que les théories sur l’immigration sont plus que réelles.
J’ai par deux fois connu un choc culturel important. Le deuxième m’a frappé durablement au Québec, et sans doute qu’à mon retour je le poursuivrai. Mais au moment où il a commencé, j’étudiais justement les effets de l’immigration sur les individus à l’université. Hasard de calendrier ou effet déclencheur, je ne sais pas. Ce que je sais aujourd’hui de façon sûre c’est que l’on reste ou que l’on reparte, vers ailleurs comme vers son pays d’origine, les différentes étapes qu’on traverse en immigrant sont nécessaires et obligées.
Voici ma Partition du blues de l’immigrant, ce n’est pas sérieux, c’est un canevas de mon vécu et de mes apprentissages, un joli patchwork de ce que nous avons vécu, nous vivons ou nous vivrons tous, exprimé avec mes propres mots. Vous vous y retrouverez ou peut-être pas, mais sachez que le fond est bien réel, étudié depuis des décennies et attesté par bien des générations d’immigrants avant nous.
Pour bien comprendre l’impact de l’immigration sur l’individu, il est intéressant de se demande ce que c’est concrètement.
Etymologiquement, ça donne :
Immigration : nom féminin du latin in- dans, sur ou contre et de migro, -are, -avi, -atum qui signifie :
1. aller ailleurs, partir, déménager
2. se transformer, changer, s’altérer.
L’immigration est donc autant un changement de lieu qu’une transformation. Jean-Claude Barreau parlerait d’un changement d’histoire.
Le langage commun définit l’immigration comme « l’action de s’établir temporairement ou durablement dans un pays autre que le pays d’origine ». C’est une action, c’est donc potentiellement volontaire et conscient (potentiellement car il existe le cas des réfugiés bien que je veuille ici surtout parler d’une immigration volontaire, durable ou non).
A toute action, on a une réaction, mais on a surtout une motivation, ce qu’on appelle simplement une raison.
Les motivations :
Les raisons du candidat à l’exil sont nombreuses :
– professionnelles
– pour les études
– économiques
– politiques
– familiale
– sentimentale (notamment se reconnaître dans les valeurs du pays)….
Elles sont toutes ou une à la fois, mais elles sont surtout légitimes uniquement aux yeux de celui qui veut partir. Difficile constat que celui de voir qu’on ne partage pas toujours notre motivation mais pire est celui de constater qu’on ne comprend pas cette motivation. Que ce soit votre mère, votre frère, votre meilleure amie ou votre patron, il y en aura toujours un pour vous demandez ce que vous allez trouver là-bas que vous n’avez pas ici.
On élude ou on argumente, mais on devrait surtout se poser cette question sérieusement. Trouver quels sont nos objectifs affectifs, sociaux, professionnels et culturels qui guident cette démarche. Les trouver, les noter et les conserver en mémoire, car c’est eux qui nous aideront à surmonter les prochaines épreuves de l’immigrant.
Personne d’autre que celui qui les formule ne peut les trouver objectives ou non, raisonnables ou bonnes. Mais celui qui avance ses motivations doit se demander pour lui-même si ces raisons sont réalistes et objectives.
Réalistes et objectives parce qu’une motivation idéalisante a peu de chance d’aboutir. Plus les attentes par rapport à l’immigration vont être hautes, plus les chutes feront mal, et vous allez voir que des chutes, on en fait !
7 ans, 4 étapes, une montagne russe complète d’immigration :
Car si la face la plus visible de l’immigration ce sont les démarches, il existe la foule d’étapes, personnelles, insidieuses qui interviennent ensuite.
Les théories en communication interculturelle que j’ai apprises se penchent d’ailleurs sur le cycle complet d’une immigration dite réussie.
On sait ainsi que le cycle complet d’une immigration prend en moyenne 7 ans pour s’achever, et durant cette période l’individu passe par plusieurs phases, à la manière des montagnes russes avec des grosses périodes de montée et de vertigineuses descentes, chaque montée et chaque descente n’étant pas une droite lisse mais un ensemble de creux et de vagues.
A chaque point culminant, on passe à une nouvelle étape : de l’euphorie à l’intégration, le parcours typique d’un immigrant :
Phase 1 (montée) : l’euphorie.
Vous venez de récupérer enfin le sésame pour l’entrée dans le pays de vos attentes. Déjà vous ne pensez plus qu’à votre départ. Vous en parliez depuis des mois autour de vous souvent, trop souvent mais là ça devient invivable pour votre entourage.
Vous arrivez enfin à destination, et tout est neuf, tout est surprenant, la folie de votre projet prend enfin son sens tellement vous êtes heureux d’arriver enfin.
Les comportements vous amusent, la culture vous intéresse, vous découvrez, vous êtes épanoui dans ce dépaysement. Et ça dure pendant quelques temps, des semaines, des mois, mais ce n’est qu’une question inéluctable de temps….
Phase 2 (descente) : le choc.
Il ne s’agit pas de choc des titans bien que les dégâts puissent être aussi forts.
On parle ici du choc culturel.
Vous avez découvert bien plus que vous n’auriez aimé. Aujourd’hui un rien vous rend irascibles, susceptibles. Vous comparez tout, vous critiquez tout et ce qui hier vous amusez vous horripile aujourd’hui. Vous rejetez la culture, les comportements vous paraissent aberrants et vous en voulez à tous ces gens de vous avoir menti. Vous êtes nostalgiques de votre pays. Vous avez l’impression de ne rien maîtriser, de ne pas comprendre les relations entre les gens, au travail, l’organisation spatiale, sociale, politique du pays et vous rejetez, vous vous énervez, vous détestez les gens, le pays.
Si vous vous reconnaissez même un tout petit peu, bienvenus en phase 2 !
Vous n’avez plus envie de vous battre, vous vous dites que de toute façon ça ne sert à rien, vous baissez les bras….ou vous passez en phase 3.
Phase 3 (montée) : l’acculturation.
Les objectifs initiaux qui étaient les vôtres réapparaissent. C’est le moment où les gens font leur bilan. Ce qu’ils cherchaient, ce qu’ils ont trouvé, ce qu’ils cherchent encore. C’est le temps de l’introspection, de la correction de la voilure pour atteindre les objectifs. C’est aussi le moment où on reformule nos objectifs initiaux, où on pose sur la société d’accueil un regard critique, mais qui ne devrait pas être accusateur, au contraire réaliste et positiviste.
L’individu apprend alors à ne plus se référer à son ancienne culture mais ouvre de grands yeux et de grandes oreilles pour découvrir ce qui l’entoure, à nouveau.
L’acculturation c’est aussi cet instant où notre culture d’origine, en permanente confrontation avec la culture d’accueil, s’effrite, évolue, disparaît pour laisser place à autre chose. C’est concrètement cet « ensemble de phénomènes qui résulte du contact direct et continu entre deux cultures et qui entraîne des modification dans les modèles culturels initiaux ». On passe généralement toujours à la phase 4.
Phase 4 (descente) : la culture d’origine versus la culture d’accueil.
Si on prend O pour la culture d’origine, et A pour celle d’accueil, les rapports possibles entre ces deux données sont alors les suivantes :
– O+A=Culture Personnelle. La forme dite « complète » de l’intégration d’un immigrant. Il a conservé de sa culture d’origine et pris de sa culture d’accueil ce qui fait aujourd’hui de lui un membre dynamique et à part entière de la société dans laquelle il s’est expatrié.
– O-A= Rejet. L’immigrant rejette la culture de la société d’accueil en bloc. Il conserve ardemment sa culture d’origine, n’apprend pas la langue nationale et exige plus qu’il ne donne de la société qui l’a accueilli. Le communautarisme extrême (les communautés repliées sur elles-mêmes, prosélytes et entièrement réfractaires à toutes formes d’accommodement réciproque) est une des représentation de ce rejet. Le retour au pays en est une autre.
– A-O= déculturation. Cette fois l’immigrant renie sa culture d’origine. Il provoque une amnésie culturelle et perd ainsi une partie de ses repères, une partie de ce qu’il a été et est encore.
– O A= Pertes des repères identitaire. La forme d’échec la plus complète. L’individu ne sait plus qui il est et se trouve en situation d’errance identitaire et souvent aussi de détresse humaine.
Il ne s’agit donc pas de perdre toute sa culture d’origine (la déculturation), ni de rejeter toute la culture d’accueil (qui est au même titre que la déculturation une forme d’échec de l’intégration)il s’agit avant tout de l’appropriation, de rendre personnelle la culture d’accueil.
C’est dans cette phase que l’accommodation raisonnable (sauce québécoise liant les immigrants à leurs homologues québécois) doit intervenir.
Les théoriciens de l’acculturation rappelle qu’il ne s’agit pas de mouler l’individu à la société prééminente (le modèle de l’assimilation française) ni d’ailleurs d’accepter in extenso et sans compromis toutes les traditions ethniques, les valeurs sociales et culturelles des communautés immigrantes (modèle du communautarisme). La gestion de l’intégration par accommodation doit se baser sur la recherche d’un consensus entre les cultures accueillies et la culture accueillante. Et on passe avec ce consensus réciproque à la phase ultime.
Phase 5 (montée et ?) : l’adaptation et l’intégration.
Les individus qui passent outre les accommodements culturels ont généralement autant pris qu’ils n’ont donné à la culture d’accueil. Car l’acculturation est nécessairement réciproque pour fonctionner. Une société qui prétend reste identique n’intègre pas ses immigrants, elle les noie dans la masse. De même, les immigrants qui ne prennent rien de la culture d’accueil et veulent trop lui donner, jusqu’à l’étouffement presque, ne s’intègreront jamais.
L’intégration est vécue comme un combat long et épuisant. Usant mais enrichissant. Il est intéressant de discuter avec les immigrants d’hier aujourd’hui de parfaits citoyens du pays. Ils en savent parfois plus que vous sur votre propre pays, parce que pour en faire partie, ils ont du en apprendre toutes les facettes, en maîtriser toutes les faces cachées, dans un temps bien restreint comparativement au vôtre.
Souvent, les immigrants qui sont parvenus au bout de ce parcours ne quitteront plus ce pays. Pas par peur de tout recommencer.
Certains d’ailleurs repartiront pour se prouver à nouveau qu’ils sont capables de s’adapter.
Si ces immigrants ne quitteront pour rien au monde ce pays c’est parce qu’il est enfin devenu leur pays et ils sont devenus pour ce pays un membre complet et entier de sa population.
Cet immigrant, désormais aussi national que les autres nationaux, sera parvenu à changer son histoire, sera parvenu au tournant de sa nouvelle épreuve personnelle. Et un pays entier aura mûri avec lui.
La suite c’est votre chemin de vie, sans doute encore des montées et des descentes, mais ça dépendra encore et toujours uniquement de vous, de vos envies, de vos objectifs à atteindre encore (car qui dit fin du cycle d’intégration ne dit pas nécessairement que vous avez atteint tous vos objectifs personnels), de vos freins personnels et surtout de là où vous repartirez. Une nouvelle période de questions, une nouvelle étape de vie. Et vous alors, que ferez-vous ?
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