In the mood for Vancouver…
par Looleepop le 3/3
In the mood for Vancouver
Vancouver et moi, ce ne fut pas le coup de foudre, loin de là… Alors pourquoi ai-je continué à y revenir encore et encore ? Pourquoi ma bibliothèque compte-t-elle une bonne dizaine de volumes relatifs à cette ville ? Pourquoi, suis-je si sûre que c’est le parfait point de départ pour mon aventure canadienne ? Et pourquoi, enfin, ai-je à chaque fois que je foule son sol, l’étonnante sensation d’être de retour chez moi ?
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Flashback : juin 2004, je pars pour mon premier voyage de prospection. Enfin, prospection est un bien grand mot pour ce qui n’est après tout qu’une longue balade en train au fil des grandes villes canadiennes. Je fonctionne principalement au feeling et je veux juste prendre la température avant de me lancer.
En fait, j’ai déjà commencé à remplir ma demande de résidence, déjà décidé que je m’installerai en anglophonie et déjà choisi de poser mes valises à Vancouver. Si le choix du ROC a donné lieu à une vraie réflexion de ma part, le choix de Vancouver se base sur des critères beaucoup plus fantaisistes, que je ne vous énumèrerai pas ici tant certains peuvent paraître futiles avec le recul. Mais pour les curieux (surtout Joey), disons qu’ils incluent en vrac : un micro-climat, Greenpeace, Douglas Coupland, William Gibson, Robert Leon, un conte haïda, Callum Keith Rennie, quelques blogueuses cinglées, Kroston, Le Marquis et un raton laveur sympa….
Bref, me voilà partie pour mon long périple d’est en ouest au pays des caribous. Premier arrêt à Montréal et là le choc : j’adore la ville. J’en avais certes gardé une bonne impression d’un voyage lointain, mais l’expérience m’ayant appris à me méfier des souvenirs anciens, je n’y avais pas prêté plus d’attention que cela. Et si je m’étais trompée ? Si mon avenir canadien était plutôt ici que dans l’Ouest ? C’est donc troublée que je poursuis mon voyage, en me promettant de revenir à Montréal prochainement.
Le reste du trajet s’effectue paisiblement, ponctué de belles rencontres. Je m’attarde à Québec, Ottawa, Toronto et Victoria; je passe à Winnipeg, Jasper et Edmonton, mais pas d’autre coup de cur à l’horizon.
Enfin, un matin vers 7h, le Canadien de Via Rail me dépose à Pacific Central Station au cur de Vancouver. J’entame mon séjour ici, l’air chiffonnée, les yeux à peine ouverts et positivement crevée. Je m’installe sur un banc dans le parc qui fait face à la gare et je comprends vite que je ne vais pas devoir m’attarder. Oh, je ne suis pas dans le pire quartier de la ville, mais je ne suis pas non plus dans le meilleur. La faune qui y gravite à cette heure n’a rien à envier à celle qu’on peut croiser dans le métro parisien à 5h du matin. Je sais qu’il est beaucoup trop tôt pour espérer pourvoir m’enregistrer à l’hôtel, mais je vais quand même m’y rendre, histoire de déposer un sac à dos qui commence à peser des tonnes. C’est comme ça que j’arrive finalement au Pacific Palisade, établissement chic et mode, situé dans les beaux quartiers. Il ne m’aura pas fallu une heure pour constater qu’à Vancouver ce n’est pas un fossé social qui sépare les différentes populations, mais carrément un précipice. Le reste du séjour sera à l’avenant de ce premier contact : en demi-teinte. A tel point, que de retour à Paris, lorsque j’envoie finalement mon dossier, si je laisse Vancouver comme destination finale, c’est plus par paresse, qu’autre chose, sachant très bien qu’une fois mon visa en poche, je pourrai m’installer où bon me semble.
Mais il s’est quand même passé un petit quelque chose, puisqu’en octobre de la même année, je divise à parts égales mon nouveau séjour entre Vancouver et Montréal. J’ai bien fait, car je me rends compte très vite que mon intérêt pour Montréal était avant tout lié à l’ambiance qui est la sienne l’été. Je fais le tour de tout ce que je n’ai pas eu le temps de voir en juin et finalement c’est sans regrets que je m’envole vers l’Ouest. Quand je reviendrais au Québec par la suite, ce sera avant tout pour faire un coucou aux copains.
Petit à petit je découvre Vancouver et j’apprécie. Aujourd’hui, je peux carrément dire que cette ville, je l’ai dans la peau, même si je suis bien incapable de vous expliquer exactement pourquoi. J’imagine que les raisons sont multiples et pas forcément très rationnelles.
Peut-être que j’aime Vancouver pour son environnement
Vancouver, cette ville que miraculeusement tous les buildings du monde n’arrivent pas à défigurer. Cette ville où, au pire, la mer et la montagne sont à un ticket de bus de distance. Cette ville où on trouve des mouettes énormes, des ratons laveurs rigolards, des canards de Pékin, des coyotes mangeurs de chats et tout un tas d’autres bestioles exotiques. Cette ville, dont en bonne descendante de bretons, je ne crains pas la pluie abondante ; pluie qui façonne le paysage, en nourrissant la flore et en dessinant des ciels aux couleurs sublimes ; pluie, qui c’est bien connu de toute façon, ne tombe que sur les cons.
Peut-être que j’aime Vancouver pour sa façon de ne pas se prendre au sérieux
Vancouver, cette ville dont le centre officiel n’est pas une cathédrale ou un Tabernacle, mais bien un ancien troquet, le Globe Saloon de « Gassy » Jack Deighton. Cette ville, dont l’attraction la plus connue, l’horloge à vapeur, ne crache sa fumée à heure fixe que par la seule grâce de la fée électricité. Cette ville dont on élie un maire, pas forcément sur ce qu’il est vraiment, mais plutôt sur l’image que renvoie de lui une série locale.
Peut-être que j’aime Vancouver pour ses paradoxes
Vancouver, cette ville aux plages superbes dont l’horizon est entaché de monstrueux pétroliers. Cette ville où partout l’art des Premières Nations s’affiche fièrement, tandis que les hommes et femmes qui composent ces communautés doivent encore se battre pour être simplement traités équitablement par les autorités. Cette ville où les médias communautaires sont nombreux et actifs, alors que les médias plus officiels sont détenus en grande majorité par le même groupe (CanWest Global), nourrissant par là même le débat sur la liberté de la presse au Canada. Cette ville sans cesse tiraillée entre écologie et urbanisation galopante.
Peut-être que j’aime Vancouver pour ses militants fervents
Vancouver, cette ville berceau de Greenpeace. Cette ville pionnière en Amérique du Nord dans l’ouverture des centres d’injections pour les drogués. Cette ville où les affiches de la campagne contre le SIDA « Think again » peuvent s’afficher sur les abribus malgré les réactions de parents un peu dépassés par les questions de leurs enfants. Cette ville où chaque jour le Carnegie Community Center, s’emploie à faire savoir que le Downtown Eastside ce n’est pas uniquement la drogue et la prostitution, mais surtout une communauté touchée par la pauvreté, qui lutte au jour le jour pour sa survie, pour ses droits et pour une certaine reconnaissance.
Sans doute que j’aime Vancouver pour tous ces anonymes croisés un jour ou l’autre au détour d’une promenade
Vancouver, cette ville de flâneurs en tous genres, qui ne semblent jamais travailler. Ce chauffeur qui lors de ma première visite m’explique sans que j’aie à le lui demander, comment fonctionnent les bus dans le coin. Ce retraité soignant ses artères en devisant avec moi sur le Seaside de Stanley Park. Ces rêveurs, joueurs d’échecs, dessinateurs et sculpteurs, posés sur les marches de la Art Gallery et qui engagent la conversation juste pour le plaisir de l’échange. Ce sans-abri à qui je rends son sourire et qui plutôt que de me demander de l’argent me déclare « A loonie for a smile, a toonie for a grin. You made my day, thank you! ». Cet autre marginal, croisé dans un bus sur Hasting qui me dit en pointant son sac à dos d’un air de conspirateur: « It’s not what you think it is! » « And what do you think I think it is? », « Heu, I don’t know what I think you think it is…. » Ce musicien de Granville Island à qui j’achète un CD nommé « Souvenirs de Paris ». Tous ces autres artistes de rue qui m’épatent et me font rêver. Ces inventeurs un peu dingues, qui sauvent mon 4h d’un écrasement cruel grâce au Banana Guard. Ces personnes qui font l’effort de me parler français, juste comme ça, pour le plaisir. Et bien sûr la gang (qui n’en est pas une) de francophones, qu’on croise à tous les coins de rues….
Maintenant, en y réfléchissant plus sérieusement (merci Joey), je crois que Vancouver correspond assez bien à la flâneuse que je suis, à la gamine nourrie au sirop de la rue, qui n’aime rien tant que de perdre son temps à se balader et observer les gens. Vous me direz que ça, je peux le faire partout et surtout à Paris. C’est vrai. Simplement Vancouver m’offre une chose que Paris ne peut plus me donner qu’assez rarement : le plaisir de vraiment rencontrer des gens et discuter avec eux, sans craintes ni arrières pensées.
Finalement, si j’aime tellement Vancouver, c’est sans doute parce qu’elle me ressemble beaucoup, cette ville qui ne sait pas ce qu’elle veut être quand elle sera grande (Shawn Blore – Vancouver, secrets of the city).
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Retour au présent. J’ai bien fait de laisser Vancouver sur ma demande de résidence puisque j’ai obtenu mon visa beaucoup plus rapidement que prévu. Je ne sais pas si la province et la ville choisies y sont pour grand-chose, mais j’aime à le penser. Je le prends comme un de ses petits signes qui me disent que j’ai fait le bon choix.
Oh, je vous entends déjà : « Elle rêve, elle est encore dans sa bulle de touriste gâtée…. La chute sera brutale. » Peut-être bien que oui, peut-être bien que non. Je vous accorde que je suis une rêveuse, oui, mais une rêveuse pragmatique. J’ai déjà prévu les cours pour dépoussiérer mon anglais et un coussin financier important pour tenir le choc les premiers temps. Je travaille mon réseau et collecte des infos depuis deux ans déjà, avec l’idée à moyen terme de me mettre à mon compte. Et si cela ne marche pas ? Et bien j’irai voir ailleurs, mais sans regrets.
Je m’estime chanceuse, car j’ai eu les moyens de me faire une idée très précise de la ville où j’ai choisis de poser mes bagages. J’ai pu profiter de ses bons côtés sans contraintes et j’ai aussi pu découvrir sa face la plus sombre.
Alors, Vancouver et moi, ce ne fût pas le coup de foudre, loin de là…. Mais qui a dit que toutes les histoires d’amour devaient commencer par un coup de foudre ?
Laurence (call me Larry) / looleepop
Issy-les-Moulineaux, France, le 25 février 2006
A 3 jours de la validation du visa et 4 mois de l’installation
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