Lettre ouverte aux nouveaux Québécois
Guinness
19-10-2007 à 19:00
Lettre ouverte aux nouveaux Québécois
Quand vous arrivez au Québec, si vous vous identifiez au Canada anglais, vous êtes perçus comme une menace pour nous
Paul-Émile Roy
Tribune libre de Vigile
vendredi 19 octobre 2007
Dans le débat qui se produit ces temps-ci au Québec autour des « accommodements raisonnables », je comprends que la situation des néo-Québécois nest pas toujours très confortable, mais je souhaiterais quils essaient de comprendre que celle des Canadiens français du Québec, soit celle de la majorité des Québécois, ne lest pas elle non plus, et quils doivent intervenir dans cette affaire avec beaucoup de prudence et de discernement. Je dirais même : attendez donc avant de prendre parti, avant de vous prononcer. Commencez par regarder ce qui se passe. Essayez de comprendre le contexte historique dans lequel se situe le Québec actuel, quelles sont les forces en présence, quel est le malaise qui habite les Québécois.
Vous ne le savez sans doute pas, vous qui venez darriver, mais les Québécois nont jamais accepté le rapatriement unilatéral de la Constitution de 1982, un acte politique qui a été rejeté par lAssemblée nationale du Québec à lunanimité. Vous ne savez sans doute pas non plus quen 1995, un référendum a été tenu sur la question de lindépendance du Québec et que ce référendum a été volé, ou du moins cest ce que croient beaucoup de Québécois, et même sil savérait quils se trompent, il faudrait tenir compte du malaise que leur scepticisme affiche, mais personne na jusquici réfuté les arguments de ceux qui soutiennent que le référendum a été volé. Et il y en a eu un premier en 1980. Et là non plus les résultats nétaient pas tout à fait patents. Et il y a eu laffaire du Lac Meech. Vous ne savez pas de quoi il sagit. Instruisez-vous et vous verrez que les Québécois là encore ont été bafoués par le reste du Canada et par le Premier ministre du Québec lui-même qui avait promis que si le Canada nacceptait pas les recommandations de Meech, il tiendrait un référendum sur notre lien au Canada, ce quil sest empressé doublier.
Ce que vous devez comprendre, cest que la relation du Québec avec le Canada se vit dans un malaise qui dure depuis deux siècles et demi. Vous vous dites, cest du passé, il faut oublier. Pour vous, cela relève de lhistoire, pour nous, cela fait partie de notre être. Vous ne le savez pas, mais le Canada a combattu le français partout, au Manitoba, en Ontario, au Nouveau-Brunswick, au Québec même. Savez-vous ce que la Cour Suprême du Canada a fait de la Loi 101 qui a été promulguée par lAssemblée nationale du Québec ? Vous devez comprendre ceci : Quand vous arrivez au Québec, si vous vous identifiez au Canada anglais, vous êtes perçus comme une menace pour nous. Ne soyez pas surpris si la majorité des Québécois ne sont pas très contents.
Jajoute que vous ne devez pas prendre à la légère lhéritage historique des Canadiens français. Vous ne pouvez pas prendre à la légère les blessures que lhistoire a infligées à la majorité des Québécois, car cela fait partie de leur être, de leur identité. Les Québécois qui sont ici depuis quatre siècles, se rappellent confusément, mais fermement, - cela fait partie de leur être -, quils ont été exclus des affaires publiques pendant une décennie, au début de loccupation anglaise, à cause de leur identité religieuse, ce qui a permis aux envahisseurs doccuper les places dont il ne serait pas facile de les déloger par la suite. Ils se rappellent confusément que lorsquils ont combattu pour le respect des règles démocratiques, dans la première moitié du XIXe siècle, ils ont été réprimés violemment, de façon barbare, par larmée du conquérant et quon a exécuté plusieur Patriotes dont le seul crime était de défendre les libertés démocratiques. Ils se rappellent quon leur a imposé dans le mépris le plus ignoble lUnion des deux Canadas en 1840, quon les a intégrés à la Confédération canadienne en 1967 sans les consulter parce quon savait très bien quils nauraient pas accepté le statut quon leur imposait. Ne nous dites pas que tout cela est du passé. Ce sont ces actes dhier qui commandent la réalité daujourdhui, et tout cela crée un malaise dont les Québécois ne pourront se débarrasser que si un jour ils réussissent à se prendre en main.
Tous des immigrants ?
Je naime pas non plus entendre dire par des néo-Québécois que nous sommes tous des immigrants. Encore une fois, de telles allégations constituent une négation de lhistoire, de lidentité du peuple québécois. Une insulte à lendroit de deux qui ont construit ce pays. Je dis aux nouveaux arrivants : nous ne sommes pas arrivés au pays hier. Mes parents sont au pays depuis quatre siècles. Et on ne peut même pas dire quils étaient des immigrants. Ils étaient au début des colons. Ils sinstallaient dans des régions à peu près inoccupées, - les auteurs de lépoque parlent de « désert ». Puis certains sadonnèrent au commerce dans tout lintérieur du continent et dautres devinrent des « habitants » . Cest ainsi quils construisirent un pays nouveau parmi les Premières Nations qui étaient dispersées dans ce qui sappelle maintenant lAmérique. Quand vous affirmez légèrement, comme cela, quaprès tout, nous sommes tous des immigrants, je rage intérieurement, jy vois du mépris pour les miens et tous ceux qui ont fait ce pays que nous habitons. Vous ne le savez pas, mais ces vastes plaines qui longent le Saint-Laurent étaient autrefois des forêts. Ce sont mes ancêtres qui les ont défrichées, cultivées au prix defforts incroyables et innombrables. Ils nétaient pas des immigrants mais des constructeurs.
Souvrir aux autres ?
Mais puisque je suis parti à exprimer le malaise des Québécois et le mien en particulier, je vous dirais encore ceci : je me hérisse quand jentends dire que les Québécois doivent souvrir aux autres, quils doivent cesser de se replier sur eux-mêmes, comme sils avaient été confinés à leurs terres et à leurs paroisses. Je sais que beaucoup de Québécois entérinent ces jugements car ils sont habitués à subir leur sort, à encaisser tout ce qui se dit à leur sujet, mais je rappelle que les Canadiens français et leurs ancêtres les Français ont été les découvreurs de lintérieur de lAmérique du Nord. Ce sont eux qui ont exploré le continent de Québec à la Nouvelle-Orléans, des Grands Lacs aux Rocheuses. Et un peu plus tard, jusquà tout récemment, ce sont eux qui ont envoyé des missionnaires partout dans le monde, pour prêcher lÉvangile, certes, pour rencontrer dautres peuples et les aider. Cest ainsi que les Canadiens français ont construit des écoles, des collèges et même des universités, et des dispensaires dans tous les pays du monde. Et on nous présente les Québécois comme des êtres antisociaux et repliés sur eux-mêmes. Sil y a en Amérique un peuple chauvin et replié sur lui-même qui ignore tout de ce qui se passe dans le monde, cest bien notre voisin du sud…
Beaucoup de Québécois en ont assez
Je serais donc heureux si les immigrants essayaient de comprendre les Québécois. Je sais dailleurs que certains le font, mais malheureusement, ceux qui parlent le plus fort, ce ne sont pas nécessairement ceux qui comprennent et aiment le Québec. Et il se trouve chez nous des intellectuels frustrés qui prétendent quil faut oublier qui nous sommes, qui recommandent de « brûler les souches ». Tout cela explique que la relation des Québécois avec les arrivants est parfois pénible, comme lont laissé entendre certains intervenants au cours des sessions de la Commission Bouchard-Taylor.
Beaucoup de Québécois en ont assez de toutes les vexations quils ont subies depuis deux siècles et demi. Ils ne sont pas du tout contents quand, par exemple, à la veille dun référendum portant sur lavenir du pays, des milliers dimmigrants qui viennent darriver obtiennent en toute hâte la citoyenneté « canadienne » et se prononcent sur lavenir du pays quils ne connaissent pas encore. Cest ma conviction que les arrivants devraient attendre quelques décennies avant de prendre parti dans les querelles politiques entre le Québec et le Canada. Ils devraient sintégrer lentement à la société québécoise, regarder, apprendre lhistoire, prendre conscience du problème politique qui alimente un profond malaise chez les Québécois. Sils ne saisissent pas que les Québécois forment un peuple, quils ne sont pas une minorité mais un peuple dans ce qui devrait être une fédération, sils prennent parti pour le Canada, ils nient la nation québécoise et ils contribuent à empoisonner le climat politique.
Quand le pays sera un pays indépendant, la situation des immigrants sera beaucoup plus facile, beaucoup plus claire, mais en attendant, sils veulent se faire accepter, ils doivent éviter de contrecarrer la volonté politique de la majorité des Québécois.
http://www.vigile.net/Lettre-ouverte-aux-nouveaux
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