Être Noir à Québec
par Angela le 5/3/2008
Vous avez peut-être entendu parler du mois de l’Histoire des Noirs? Le mois de février. Il y a des conférences, des galas, des reportages, etc. pour parler de la situation des Noirs. Un mois pendant lequel on se pète les bretelles à qui mieux mieux. Ceux que ça intéresse, bien entendu. Coudon! le taux de chômage des Noirs, le décrochage scolaire, les gangs de rues, l’emprisonnement, ç’a pas de bon sens! On fait le plein de bonnes intentions, hein! Tout ce beau monde carbure à la bonne volonté d’améliorer la situation des Noirs d’ici. Je ne veux donc pas vous entretenir de ces événements, loin de là. Cette chronique part de l’idée qu’il y a quelque part des candidats pour immigrer au Québec qui sont Noirs. Ils sont en Afrique, dans les Caraïbes, en Europe ou ailleurs. Ils espèrent que le Québec améliorera leurs conditions de vie et se demandent à quoi s’attendre. Il y a aussi vous tous, de la communauté d’immigrer.com, Noirs ou non, immigrants ou non, qui nous accordez une petite place dans votre vie, dans votre quotidien, nous aimez, nous détestez, pour toutes sortes de raisons, bonnes ou mauvaises, fondées ou non. Je vous entretiens donc, sans prétention aucune, de mon expérience de Noire au Québec. Vous prendrez cette tranche de vie pour ce qu’elle vaut.
J’ai vécu dans deux villes: d’abord à Québec, puis à Montréal, et enfin retour à Québec. Si vous pensez qu’être Noir à Montréal et à Québec, c’est la même chose, vous vous trompez. Tenez: la première fois que j’ai pris conscience que je suis Noire, et alors vraiment Noire, c’est à l’Université Laval. À Québec. Quand on vient ici, on s’attend à être visible, être différent. Mais le premier choc, c’est quand on se rend compte qu’on est surtout visible … pour les autres Noirs. Qu’ils soient Africains, Haïtiens ou Guadeloupéens, qu’ils se rencontrent à la bibliothèque ou à la cafétéria, ou même dans les couloirs souterrains, ils se saluent, ou à tout le moins ils se sourient. Plus tard, j’ai remarqué que ça se passe comme ça aussi en dehors, qu’on se rencontre à l’hôpital ou chez Zellers, c’est pareil. On se remarque, on se salue, on se sourit. Un instinct grégaire tenace. Une sorte de solidarité tacite. Contre qui, contre quoi? Je ne sais pas. Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette solidarité n’existe pas à Montréal. Là-bas, on est une nuance de couleur parmi tant d’autres, dans cette ville mosaïque.
Être Noir dans la ville de Québec, c’est avoir à répondre à la curiosité, souvent bienveillante, je dirais même plus souvent qu’autrement, des Québécois de souche. Notre quotidien est parsemé de conversations qui prêtent à sourire. Voici quelques échantillons:
Un monsieur, la soixantaine, rencontré au Provigo:
· Tu viens d’où?
· Du Cameroun. En Afrique. (J’évite de dire « du Rwanda ». Je suis tannée de la phrase qui vient immanquablement après : « Ah! J’ai vu « Hôtel Rwanda »).
· C’est proche du Maroc? La cousine de ma femme a marié un Marocain.
· Non, c’est plus au sud.
Ah! Les Québécois, ces ennemis jurés de la géographie, je vous jure!
Une jeune femme, conseillère dans une caisse:
· Est-ce que tu parles l’Africain?
· Oui. Je parle trois langues d’Afrique.
· Ah! Je croyais que vous parliez tous la même langue!
· Ayoye!
Une question, qui revient souvent:
· Tu viens d’Haïti? ».
· Non, d’Afrique.
· Ah! Est-ce que tu parles créole? Est-ce que vos pratiquez le vaudou?
Va donc leur dire que ce sont les Haïtiens qui viennent d’Afrique et non l’inverse!
Une parfaite inconnue, au Méga Park des Galeries de la Capitale, qui s’étonnait de voir mes enfants patiner. « Est-ce que vous patinez, là-bas, en Afrique? » Ben, oui, chère madame, même qu’il y a plein de neige naturelle et de glace partout! Une autre dame, aux fêtes d’Halloween: « Ah! Des Africains qui fêtent Halloween! » Le tout accompagné des yeux gros comme des soucoupes…
Un voisin de table, au MacDo, un type gentil comme tout: « Est-ce qu’il y a des MacDo en Afrique? ». Ma première réaction: Que Dieu nous garde! Comment expliquer que ce qui est considéré comme un fastfood de m**** ici constitue un luxe inouï, là-bas?
Ma collègue, qui a reçu il y a quelques jours un méchant coup au hockey, arbore un gros bleu à l’œil. Tout le monde rit de sa mésaventure. Puis elle me choisit: « vous autres Noirs, quand vous vous blessez, est-ce que vous avez des bleus? » Non, ma chérie. Notre peau est assez foncée comme ça, merci! Puis tu auras remarqué que je ne rougis pas non plus, hein, ma belle!
Être Noir, c’est aussi accepter de vivre avec la naïveté sinon l’ignorance totale de notre réalité. Par exemple, mon médecin, un homme d’expérience pourtant, qui me décrit les effets secondaires d’un médicament en ces termes: « il se peut que vous ayez des rougeurs sur les bras! » Quoi? Mes bras rougir? On éclate de rire tous les deux. Il y a encore cette prof de mon fils qui lui a demandé, en pleine classe: « est-ce que là-bas, vous habitiez dans une case? » Merci Vision Mondiale, tu as créé une excellente image de l’Afrique ici!
Être Noir au Québec, c’est aussi faire face à des préjugés. Quelquefois ça arrive comme ça, sans la moindre intention de choquer ou de blesser. Je me rappelle ma voisine, quand j’ai déménagé à Québec. Une dame au cœur d’or, en passant. Elle me demandait où je travaillais. Je lui répondis où. Et elle d’enchaîner: « Ah! Tu es leur nouvelle femme de ménage? » Ou encore cette autre dame, à laquelle j’expliquais que je devais partir pour l’école, qui me dit: « Ah! Tu vas au secondaire des adultes? »
Certains préjugés sont cependant pernicieux. Comme cette dame qui, au cours de notre dernière épluchette de blé d’Inde, m’a assommé pendant au moins dix minutes en m’expliquant combien on était privilégiés, « nous aut’ les réfugiés », avec toute sortes d’aides du gouvernement. Elle ne me croyait tout simplement pas quand je lui disais que je n’ai jamais touché une cenne de BS et que je n’en toucherai probablement jamais … Le monsieur d’auto-école qui me préparait pour mon permis: « Tsé, j’ai connu un bon nombre d’apprentis-conducteurs Noirs. Tous avaient des problèmes avec le volant ». Ben oui! Sinon pourquoi te donneraient-ils leur argent s’ils savaient déjà conduire? Pareil pour les Blancs, non? Et ce collègue dans un cours à l’ÉNAP. Il y a quelques jours, qui m’expliquait que j’avais raison de suivre des cours et que j’avais toutes les chances de décrocher une job au gouvernement, puisque je suis immigrante et Noire … Tiens, rien que ça! Quand on est femme et Noire, pas besoin d’être compétente, n’est-ce pas? Et vous ne devinerez jamais, ce monsieur est Noir …
Des fois, je me marre franchement. Comme mes collègues, au cours d’un cinq à sept: « Dis, est-ce vrai que les Noirs sont … heuuu … humm … particulièrement outillés, là là … Désolés de vous décevoir, mes chers, je ne sais pas. Je vis avec le même gars depuis 16 ans. Par contre, dans ma courte carrière de préposée aux bénéficiaires, j’en ai vu des « outils ». Il y en a de toutes les tailles chez tout le monde … Ce qui n’empêche pas qu’un jeune Noir a plus de chances pour trouver une blonde que pour décrocher une job …
Il faut dire que les Québécois ont horreur de se faire traiter de racistes. Du moins, ils ont horreur d’être pris en flagrant délit. C’est vraiment étonnant. Aussi, je vois parfois des policiers qui ferment les yeux sur des conneries de Noirs pour ne pas se retrouver en comité de déontologie. Je me souviens aussi du jour où l’enseignante de ma fille a failli s’étouffer. La pauvre, elle ne savait pas comment me dire que ma fille avait commis une grosse bêtise (c’est la seule Noire de sa classe). Jusqu’à ce que je lui dise: « Écoute. Je la connais bien ma fille. Elle va vous donner des cheveux blancs avant que trouviez les mots pour me dire ce qu’elle a fait. Alors allez-y, dites-moi ce qu’elle a fait. Ce n’est pas parce qu’elle est Noire, c’est juste qu’elle est passé maître dans l’art de semer le trouble autour d’elle. »
Vivre en tant que Noir, ici à Québec, ça prend un apprentissage forcé pour s’accommoder de l’état de minorité visible et, il ne faut pas le nier, de la discrimination. On développe des mécanismes d’adaptation. Il n’y a pas moyen d’en sortir sans se remettre en question. Et puis quoi? Sincèrement, qui peut croire qu’on peut être 1% de la population et s’en sortir sans quelques bobos? Les êtres humains sont des animaux intelligents dotés d’un cerveau reptilien, alors … Je constate malheureusement que certains Noirs restent braqués dans leur différence et la brandissent à tout bout de champ. Personnellement ça me fatigue les gens qui expliquent toutes leurs misères par le soi-disant racisme dont ils seraient victimes. Puis, pour lutter contre l’absurdité, un peu d’humilité ne ferait pas de mal. Un peu d’autodérision aussi. On me refuse une job, alors que je crois être la candidate idéale? Est-ce parce que je suis Noire? Est-ce parce que je porte un nom à coucher dehors? Est-ce parce que l’Université de Tombouctou, ça ne dit strictement rien à un recruteur Québécois? Ou encore parce que les autres candidats travaillent au Québec depuis qu’ils ont 12 ans et comptent un réseau gros comme tous les Tremblay du Saguenay? Pourquoi ne pas se dire aussi: Tiens! Vous me refusez une job? Tant pis si ça vous tente de passer à côté de la perle des employées que je suis! Et d’ailleurs, je le sais: c’est qu’il y a trop de Blancs au Québec.
Comme dans tous les pays, il y a des racistes, des vrais de vrais. Genre redneck. Mais en ce qui me concerne, j’en ai rarement vu en face. J’ai surtout lu des histoires de profilage racial de la part des policiers, cette attachée politique qui a traité le député Maka Kotto de nègre. Je vois des commentaires racistes sur certains blogues et forums. Le jour où j’ai été véritablement en face d’un tel individu, c’était l’été dernier. On passait devant un bar. Sans aucune raison, un type un peu éméché nous a lancé des « sales nègres! Retournez à Haïti! ». La sale négresse en question l’a regardé dans le blanc des yeux et lui a dit qu’elle peut traduire « Sale Blanc » dans les cinq langues qu’elle parle …
Il serait faux de croire qu’être Noir, c’est un défi à vivre au quotidien. Du moins dans mon cas. Je vais peut-être vous surprendre, mais quand je me réveille le matin, je ne me dis pas: « Zut! Je suis encore Noire, quelle misère! ». Étant d’ailleurs la seule à travailler dans un environnement entièrement Blanc, je me rappelle rarement la couleur de ma peau. Peut-être parce que je suis foncièrement optimiste et positive. Peut-être aussi que je sais que l’attitude des autres à mon égard dépend en grande partie de la mienne. Peut-être aussi parce que je n’ai jamais souffert d’un complexe d’infériorité face à qui que ce soit. Je suis convaincue de ma valeur en tant que personne et ça n’a strictement rien à voir avec la couleur de ma peau. C’est cela que je veux donner à mes enfants. Puis je leur dis que les misères qu’on a avec sa couleur, s’ils étaient ailleurs, ils en auraient d’autres, pour d’autres raisons…
Vivre en tant que Noire, c’est aussi s’interroger sur l’avenir des Noirs de ce pays. Aujourd’hui, je suis heureuse ici, j’ai un travail intéressant, un avenir, des enfants heureux qui font une scolarité exemplaire. Mais que leur réserve l’avenir? Comment se peut-il que dans la société la pluuuuussssse égalitaire et démocratique du monde, la scolarisation des jeunes Noirs soit rendue à un niveau aussi alarmant qu’à Toronto, on envisage de répondre à l’absurde par l’absurde en créant une école pour Noirs? Comment, hein? Alors, pour le mois de l’Histoire des Noirs, je n’ai rien contre. Sauf que pour l’année prochaine, on ferait peut-être mieux de s’occuper du présent des Noirs, et non du passé …
Leave a comment