J’aurais aimé pouvoir dire tout ça à la moi d’il y a sept ans
Tsé, 7 ans et demi c’est un moment étrange pour faire un bilan. C’est même pas une date anniversaire. C’est juste qu’en enfilant mes bottes, j’ai réalisé que c’est la huitième fois que je vis cette entrée dans l’hiver québécois, celui-là même qui agite les forums et déchaîne les passions. Et wow, c’est fou le chemin parcouru.
Déjà, j’écris « wow ».
Et « tsé ».
Et puis après des années d’absence ici, j’ai eu envie de sacrifier au rituel du bilan, de faire un point. De redonner au suivant, peut-être.
Bref, en 2012, j’ai débarqué pas assez préparée. Sans argent, avec 23 kilos de bagages, avec zéro connaissance du système universitaire dans lequel je m’embarquais. L’année que j’ai passée a été celle qui a le plus testé ma détermination de ma vie. Préparez-vous un peu, on ne le dira jamais assez.
En 2019, je suis toujours aux études, mais aussi insérée dans un milieu professionnel universitaire. La demande de RP est envoyée. Je regarde du côté de l’achat immobilier.
Pas mal installée, quoi.
Et puis, cette sensation permanente de grand écart.
Au Québec, je suis la Française, celle qui parle avec son accent pointu, qui râle un peu trop et qui ne comprend pas certains aspects du système québécois auxquels elle ne s’est jamais confrontée. Celle qui ne prend ses vacances annuelles que pour partir en France parce que c’est Noël. Celle qui boit du vin, tant pis pour les prix de la SAQ. Celle qui s’émerveille encore devant les partys de l’Halloween ou qui ne comprend pas pourquoi toutes ces grosses voitures. Celle qui haï l’hiver. Mais vraiment.
En France, je suis devenue la Québécoise, celle qui parle avec un accent « de là-bas », qui ne connaît plus personne aux Unes des journaux. Celle qui ne comprend plus vraiment le concept du CDD versus le CDI, qui s’émerveille devant le prix du vin, et qui propose de passer au supermarché sur la route du retour, le dimanche soir à 20 heures. Celle qui dit que « ça va, l’hiver, on y survit hein », et qui passe ses samedis matins à passer d’étal en étal au marché avec des cris de joie.
Je suis mélangée. Pétrie de deux cultures. Ni d’ici ni de là-bas, mais à la fois de là-bas et d’ici. Quitter le pays dans lequel j’ai grandi m’a permis de m’en détacher et de l’aimer un peu plus. De réaliser que la France, c’est incroyablement beau, avec ses vieilles pierres et ses paysages variés, son odeur des pins au bord de la mer et ses terrasses mignonnes. J’apprécie maintenant y séjourner, avec ce qu’il faut de recul pour ne pas m’enflammer dans des luttes qui ne sont plus les miennes et qui pourtant m’importent tant. Mon regard est moins acerbe, plus compréhensif. Je n’ai pas quitté la France par désamour, mais elle me semblait acquise, dévoilée, brute. Elle m’apparaît maintenant dans ses nuances, ses ombres, ses pétillements, et j’ai découvert que je l’aimais.
À l’inverse, je suis arrivée acquise au Québec. Toute cette nouveauté, c’était magique. La neige ? Tellement belle ! Les grosses voitures ? Tellement dépaysantes ! La poutine ? Tellement goûteuse ! Les québécois ? Tellement gentils ! Et puis, l’isolement, les difficultés, l’éloignement, le mois d’avril qui n’en finit pas. Être perçue comme l’étrangère, toujours. J’ai appris à voir aussi les nuances de ce pays d’accueil, à en accepter les failles, à en découvrir le fonctionnement et à en apprécier les délices. J’ai pris et j’ai laissé, j’ai pilé sur moi, et j’ai fini par m’acclimater, doucement. Pas juste parce que je sais ce que veut dire « pogner un flat ». Mais parce que je fonctionne sans gros heurts dans la société qui m’entoure.
Et puis, les douleurs que les expats connaissent. Cette nuit dans l’avion pris en urgence, sans contact avec le sol, à ne pas savoir si l’être cher sera toujours en vie à l’arrivée pour qu’on lui dise au revoir. Les Noël sur Skype, à trinquer avec son chat parce qu’on n’a pas osé accepter l’invitation de ses amis dans leur famille, pour ne pas déranger. Ces questionnements sur l’avenir : ici, là-bas ? Ailleurs ? Ces gens aimés qui se marient, qui ont des enfants, et toi qui n’es toujours pas sur les photos du grand jour. Celles et ceux qui s’éloignent aussi, ou qui croient que tu es en perpétuelles vacances et qui repartent frustrés que tu aies dû travailler pendant leur séjour chez toi.
Sauf que. Il y a le retour des beaux jours, le Saint-Laurent majestueux et l’incroyable lumière des couchers de soleil d’ici. Il y a le plein emploi, le salaire valorisant, les possibilités professionnelles. Il y a le jour où tu te surprends à échanger avec tes collègues sur le fait que quand même, y en a beaucoup des français icitte, pff, on n’entend que ça dans la rue ! L’habitude que tu as prise de passer chercher ton (grand) café en allant travailler ou de souper pendant ton cours (d’ailleurs, tu dis « souper »), ton avis sur la politique qui s’affine, ton inscription au compost communautaire de ton quartier et au panier bio du maraîcher. Tu te rends compte que tu cherches du sucre d’érable chez Carrefour… mais aussi que tu cherches ta pâte feuilletée bio chez IGA.
Aujourd’hui, au bout de 7 ans et demi, j’ai l’impression de porter en moi une double culture, un heureux mélange, une complexité qui me rend fière. L’immigration n’est plus un sujet cantonné au journal télévisé, je bondis quand j’entends des discours expliquant que les immigrants veulent transformer le pays d’accueil ou profiter des aides sociales. C’est plus compliqué que ça, l’immigration. C’est un défi à relever, qui nous apprend beaucoup, à commencer par nos propres contradictions. Ça ne se prend pas à la légère, mais ce n’est pas la fin du monde non plus, surtout quand on a un passeport qui nous permet de faire machine arrière. L’immigration aujourd’hui fait partie de mon identité, identité multiple, complexe, joyeuse. Je suis un peu française, mais plus vraiment ; un peu québécoise, mais pas complètement.
J’aurais aimé pouvoir dire tout ça à la moi d’il y a sept ans, qui n’avait pas mesuré les défis qu’allait poser la première année. « Ne t’inquiète pas, l’aventure est belle ».
D’après le texte de Chachawa écrit sur le forum de discussions
Très bonne québec immigration qu on reste en canada
Bonjour….De La Réunion
Merci pour l’honnêteté….de tes propos.
Beau témoignage, en lisant certains témoignages on a peur, on hésite. Le doute , et plein d’autres….merci et ca me donne le courage.
très beau témoignage,rafraîchissant et qui donne à penser que quoi qu’il en soit, le jeu e vaut la chandelle
Depuis 6 ans au Québec et je me reconnais entièrement dans ce que tu décris, cette dualité de culture qui fait qu’on se sent québécois et français, un peu un étranger dans les deux pays mais tellement chez nous également. Mon avantage est que ma blonde est québécoise (oui je dis ma blonde 🙂 ) donc je passe Noël en famille ici aussi. Et moi j’aime l’hiver hi hi (toi tu l’haïs comme une vraie québécoise au lieu de le détester comme une française 😉 )
Bravo, tu as décrit ce que nous ressentons tous ici mais c’est bien dit et nous nous y retrouvons, même après 11 ans au Québec.
Très bel article, tout est dit, il n’y a rien à jeter ! A partir du moment où on est bien avec soi, on est bien partout ! bonne continuation !
3eme année au Québec et je me reconnais vraiment. Très beau témoignage, merci
Merci pour ce témoignage, je suis au Québec depuis plus de 2 ans mais je me reconnais déjà dans tes écris!
Complètement en adéquation avec mon expérience ! Ça fait maintenant 12 ans que je suis au Québec et fierement canadien depuis peu, je compte rentrer au pays cette année ! As tu des conseils pour un retour réussit ?
Oui: reste au Québec sinon ça risque d être violent… constat d un nomade néo québécois depuis 2007 aussi…sinon bon courage t en auras besoin l ami, la société hexagonale est devenue bien fuckée , surtout les villes qui ressemblent à de vrais asiles de fous à ciel ouvert… à moins de vivre dans la nature la plupart du temps c est la sinistrose aiguë assurée!!!-)
Je confirme… le chemin n’est pas facile, mais il en vaut la peine !!! Arrivée ici il y a bientôt 16 ans, je n’ai plus aucun regret ! Je suis heureuse de retourner dans mon pays a l’occasion, ce pays qui restera mes racines a jamais, mais dans lequel je ne me sens plus chez moi lorsque j’y suis et tellement heureuse quand je reviens ici… mon pays d’adoption !!! La France est un pays magnifique, riche en culture en histoire, mais qui n’offre tellement plus la qualité de vie qu’on vécu nos aïeux… ici, on sent un vent de liberté ! Les hivers sont rudes, mais on s’y fait… Le marché de l’emploi nous offre de multiples possibilités et il est tellement plus facile d’évoluer ici ou de monter son entreprise… ici, tout reste possible ! Ici, je me sens libre… ici, je revis !
Vision il me semble très juste . Je connais bien les deux pays.
Merci pour ce texte dans lequel je pense nous serons plusieurs à nous retrouver. Personnellement je ne suis pas au Québec depuis longtemps, pas même encore 2 ans, mais je comprends déjà la dualité qui s’installe en nous, les peurs, les faiblesses, les joies, les espérances…tout un tas de sentiments qui se mélangent en nous et que parfois on a dû mal à dissocier..puis parfois on a du mal à prendre du recul pour savoir comment on se sent ici ou là bas…Mais finalement malgré les obstacles ou les réussites, l’important c’est ce que cela nous met dans le coeur…l’ouverture d’esprit qui résulte de notre choix de sauter le pas, avec plus ou moins de succès certes mais toujours au finale avec un résultat positif…apprendre de soi et apprendre des autres.
Très bel article… on se retrouve tellement dans ce texte… l’ambiguité constante de 2 cultures mais cela reste magique !
Merci pour ton écriture et tes nuances toutes en douceur. On est au Québec depuis 2 mois seulement et tout ce que tu écris ici nous parle même si nous sommes loin d’avoir vécu ce que tu évoques. Bonne continuation à toi et à bientôt à Québec Cité peut-être ! 🙂
Génial cet article ! Merci beaucoup ! Avec ma compagne, nous allons à Québec dans 2 mois, et nous sommes plein d’appréhensions. Nous nous préparons évidemment, mais nous voyons tellement de témoignages de mauvaises expérience, que l’appréhension persiste. Et votre article fait du bien, et nous transmet le message « Ça va pas être facile, vous allez galerer, mais ça vaut le coup. »
Encore merci pour ce texte.
Jérémy
Jeremy,
Foncez! Ce n’est qu’en vivant votre expérience que vous le saurez! Tout le.monde est différent donc tout le monde a une expérience différente. Moi, expérience de quasi 3 ans et elle est positive. Avec des hauts et des bas par moments mais c’est normal! Vivez! Profitez! ?
tellement vrai…il faut être préparer quoi qu’il arrive à devenir un étranger où qu’on soit après une immigration, qu’on reste au Canada ou qu’on retourne en France, on sera toujours une personne d’ailleurs…
Waouh je me retrouve tellement dans tout ça, j’en ai des frissons et la larme à l’œil
Un grand merci pour ce très beau témoignage qui pour une fois est nuancé. On a souvent tendance à lire que c est le paradis vu la France ou au contraire qu’il n y a rien de bien (immigrés déçus et frustres d avoir « raté « leur immigration.
Nous sommes en plein dans les démarches, départ espéré été 2020 avec mon conjoint, notre fils et notre chienne.
Merci beaucoup pour vos mots, ils me confirment mon souhait de tenter l aventure.
Bravo et merci pour ce regard sur l’immigration. Je suis d’origine indienne. Née à Madagascar. J’ai immigré en France à 20 ans. J’en ai 43 et me prépare à immigrer au Québec avec ma famille. Les démarches sont laborieuses mais je le fais par amour pour ce pays que je connais et pour l’ouverture que je vais offrir à mes enfants.
Encore merci
Vive le Quebec et vive la France
Quel beau retour d’expérience! Ca fait 3 ans que je suis au QC avec ma famille et je me retrouve tout à fait dans votre description du ressenti d’expatrié. Bonne continuation!