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mercredi , 30 octobre 2024
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Adil au Québec – Les doutes

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Après toutes les démarches faites par Adil et Najat pour bien poser leurs valises à Québec, l’hiver arrive à grands pas et avec lui les premières épreuves auxquelles font habituellement face les nouveaux arrivants, le choc culturel et les premiers doutes! Le couple savait que l’hiver québécois était rude et long. Ils ignoraient que leur premier allait enregistrer de nouveaux records de consommation d’électricité en raison d’une importante vague de froid. Ce n’est pas l’idéal comme contexte pour faire connaissance avec une société, s’apprivoiser avec ceux parmi ses membres qui s’interrogent sur les conséquences de la politique de l’immigration.

La nouvelle du recrutement de Adil s’est vite répandue dans son service et même au delà. Tout le monde apprend qu’un « Musulman » vient d’être recruté. Peu d’employés savent qu’il s’agit d’un Tunisien, quelques-uns pensent qu’il est Algérien alors qu’un autre croit qu’il est Libanais. Adil est content de ses premiers pas professionnels au Québec. Ce qu’il fait comme travail est semblable à ses tâches en Tunisie. Techniquement, il est même très à l’aise comparativement à ses collègues, plutôt habitués avec l’environnement Windows. Sur le plan relationnel, il se pose des questions sur ce qu’il doit faire et ne doit pas faire pour s’intégrer au groupe. Il est cependant loin de douter que ses valeurs modernistes n’étaient pas un gage de réussite de son intégration. Il constate des différences des codes culturels locaux avec ceux des Tunisiens voire des Méditerranéens. Il s’interroge ainsi sur les raisons qui fait que tel ou tel autre collègue, avec qui il a discuté de façon courtoise la veille d’un tas de choses, ne le salue pas le lendemain quand il le croise dans un couloir alors que des inconnus lui lancent presque systématiquement des sourires. Par contre, il est agréablement surpris de voir, à l’heure de pause, un cadre supérieur venir chercher un employé de soutien pour sortir ensemble fumer une cigarette, en discutant de tout et de rien. À une échelle plus générale, il ne comprend pas la frénésie qui gagne toutes les couches de la population, à plus d’un mois des fêtes de fin d’année, ni leur engouement, qu’il juge excessif, pour la surconsommation. Il se demande si tout le monde a vraiment les moyens des dépenses engagées et fait le parallèle avec ce qui se fait dans son pays durant le mois de Ramadhan – mois de d’abstinence-, où l’on voit les familles de faible revenu s’endetter lourdement pour garnir leur table au moment de la rupture du jeûne.

Parmi ses collègues de travail, Stéphane, comptable et sympathique gars au contact facile qui n’hésite pas à approcher Adil, dès son arrivée. Il lui demande quel genre de diplômes il détient. Adil l’informe qu’il était ingénieur en Tunisie mais qu’au Québec il ne peut revendiquer ce titre, à moins de passer les examens de l’ordre professionnel, ce qui n’est pas indispensable pour les informaticiens puisque ceux-ci peuvent travailler quand même. Stéphane l’informe que lui aussi avait suivi quelques cours d’informatique avant d’aller faire des études en comptabilité. Ils discutent de la Tunisie, des Musulmans et des raisons qui ont fait qu’Adil et sa famille ont quitté leur pays pour aller vivre à des milliers de kilomètres. Stéphane se dit admiratif des gens qui prennent de tels risques en ajoutant qu’il serait impensable qu’il fasse la même chose. Adil apprécie l’échange.

Stéphane a la réputation d’être taquin: un grand gaillard qui a, tout le temps, le sourire aux lèvres. Un matin, il se présente dans le cubicule de Adil avec un calendrier d’Air Canada sur lequel on peut voir une photo d’un Boeing de la compagnie aérienne canadienne. « Tu voudrais le piloter Adil? » lui demande-t-il en poussant un fou rire qu’on pouvait entendre dans tout l’étage. Surpris mais comprenant vite que Stéphane plaisantait, Adil répond qu’il voudrait bien mais qu’il est plutôt en train de chercher une école de pilotage et demande à Stéphane s’il en connaissait une. Ce dernier répond qu’il va se renseigner à condition qu’Adil ne choisisse pas « d’atterrir » sur une ville québécoise. Adil le lui promet et ajoute qu’il cherchait encore des gens pour son équipage et que si Stéphane était intéressé, il pourrait se joindre à lui en lui miroitant les fameuses 70 vierges du paradis et en l’assurant que sa famille serait définitivement à l’abri du besoin. Tout le monde autour rit à gorge déployée et Adil pense alors qu’il vient de gagner la sympathie de ses collègues et de tordre le coup aux préjugés qu’ils pouvaient avoir sur les immigrants musulmans. Pourtant au cours des jours suivants, Stéphane rejoue le même numéro et Adil finit par le trouver moins drôle. Il est très mal à l’aise et le fait savoir. Stéphane le comprend et se retire du bureau d’Adil, sur la pointe des pieds. Adil en parle à Najat et n’apprécie pas qu’on fasse un rapprochement, même en blaguant, entre lui et le barbu le plus célèbre au monde. Elle lui conseille de ne pas s’en faire pour ça et surtout de ne pas en vouloir à Stéphane qui semble être un chic type. Pour changer de sujet, elle l’informe ensuite qu’elle va s’occuper des démarches pour son propre avenir professionnel.

Najat se rend à la faculté de médecine pour s’enquérir des conditions d’exercice comme médecin au Québec en pensant que la clé est de s’inscrire à l’université pour refaire un certain nombre de cours et obtenir une reconnaissance de ses compétences. Ce qu’elle trouve d’ailleurs tout à fait compréhensible dans le cas des médecins ayant étudié dans un autre pays qui a ses propres règles et exigences. Au bout d’un entretien d’une dizaine de minutes, elle quitte le service des étudiants étrangers qui l’oriente vers le Collège des Médecins du Québec(CMQ). On lui signifie en effet que c’est le CMQ qui détient le pouvoir d’évaluer les titres des candidats diplômés de l’étranger. Il doit s’assurer que « leurs compétences correspondent à celles requises des diplômés du Québec pour fournir des services médicaux de qualité à la population québécoise » lit-elle aussi sur le site Internet de cet ordre professionnel. Elle joint le CMQ par téléphone et on l’informe de la marche à suivre et on l’avertit que la procédure est longue et qu’il est même possible qu’elle n’aboutisse pas. Elle apprend qu’elle doit passer deux examens, qui coûtent plusieurs milliers de dollars: l’un sur la législation québécoise en matière d’exercice de la profession de médecin et l’autre dit d’évaluation du Conseil médical canadien et qui est relatif aux compétences elles-mêmes. Une fois ces examens réussis, ce qui est loin d’être une sinécure, elle devra faire une demande de résidanat dans l’une des facultés de médecine du Québec. Elle apprend que c’est cette étape qui constitue le principal obstacle et que malgré des dizaines de places de résidanat disponibles dans les hôpitaux universitaires, très peu de médecins diplômés de l’étranger sont acceptés. Elle a vent du cas de cette néphrologue algérienne qui a plus de vingt ans d’expérience dans son pays, en France et dans un grand centre hospitalier en Arabie saoudite et qui s’est vue refuser plusieurs demandes par les facultés de médecine bien que le CMQ l’ait jugée apte à exercer.

Najat est désemparée. Elle ne comprend pas pourquoi on ferme ainsi les portes à des médecins alors qu’on dit au même temps qu’il en manque beaucoup au Québec. « C’est comme si les universités disaient aux Québécois, qui ont du mal à accéder à un médecin qu’il vaut mieux ne pas avoir un médecin que d’en avoir un qui est diplômé de l’étranger » lui dit un membre d’un collectif de médecins diplômés hors-Québec qui ne désespère pas de convaincre les autorités de la nécessité de corriger la situation qui ne sert ni les intérêts du gouvernement, ni ceux des immigrants concernés ni ceux de la population. Najat s’interroge sur ce qui s’apparente à un gâchis. Alors que la formation d’un médecin coûterait jusqu’à 160 000 dollars au contribuable québécois, on refuse de faire travailler ceux qui ne lui ont pas couté un rond. Elle pense à son pays, la Tunisie, qui l’a formée et se questionne sur son exil et se demande si en quittant son pays elle ne faisait pas preuve d’égoïsme et d’un manque de reconnaissance envers sa patrie. Elle fait le parallèle avec les médecins formés au Québec et qui quittent la province pour aller exercer aux USA ou dans les autres provinces pour des motifs matériels. Elle est pour le moins amère mais elle espère que le printemps finira par pointer le nez après la grisaille.

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Écrit par
Rayan

C’est à l’âge de 42 ans que Rabah alias Rayan arrive au Québec en octobre 2006 en provenance d’Algérie. Il s’installe avec sa famille dans la ville de Québec puis par la suite à Laval, au nord de Montréal. Rayan travaille dans l’enseignement et écrit depuis 2008 sur le site immigrer.com.

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