La fusillade du 29 janvier dernier, qui a coûté la vie à six citoyens québécois de confession musulmane, a provoqué une véritable onde de choc au Québec et au Canada. Au sentiment de colère et de révolte qui a gagné les Québécois et Québécoises de confession musulmane ont rapidement succédé une grande dignité dans la douleur et le souci de rassembler toute la grande communauté québécoise au-delà des origines et des croyances pour soutenir les familles des victimes et faire face à la montée de l’islamophobie dans la société.
Les vigiles tenues à Québec, à Montréal mais aussi dans d’autres villes du Québec et du Canada en hommage aux victimes ont montré à quel point les citoyennes et citoyens partagent la douleur des familles des victimes et des communautés musulmanes.
Plusieurs personnalités ont appelé les responsables politiques, les commentateurs des médias et les leaders d’opinion à un examen de conscience pour situer les responsabilités des uns et des autres dans la stigmatisation des citoyens musulmans ou l’instrumentalisation des questions de l’islam et de l’islamophobie à des fins électorales ou commerciales.
Les partis politiques ont vite montré leur disposition à changer de ton et à privilégier la modération et la recherche de consensus sur la question du vivre ensemble et de la laïcité.
C’est donc tout naturellement que les victimes ont eu droit à des cérémonies funéraires organisées selon le rite musulman, en présence d’un grand nombre de nos concitoyennes et concitoyens, de toutes origines et de toutes croyances.
Les quelques mots religieux musulmans prononcés par le premier ministre Philipe Couillard sont une autre illustration de cette compassion envers les musulmans du Québec, sans que cela constitue une quelconque entorse au principe de séparation de la politique et de la religion. La majorité des cérémonies funéraires ont en effet un caractère religieux, celles des musulmans ne faisant pas exception.
Or, à lire certains commentateurs, c’est à croire que les Trudeau, Couillard, Coderre ont déjà été convertis à l’islam, à la suite de ces cérémonies funéraires.
C’est dans ce contexte que le philosophe Charles Taylor – à qui le gouvernement du Québec avait confié en 2007 la mission de diriger, en compagnie du sociologue Gérard Bouchard, la commission sur les pratiques d’accommodements – choisit de faire marche arrière et de changer d’avis sur les recommandations de cette même commission qui sont pourtant un compromis acceptable dont la mise en œuvre pourrait apaiser les débats et les esprits au Québec.
Ce reniement est malheureusement une balle que le premier ministre Philippe Couillard allait saisir au bond pour annoncer la mort du rapport de cette commission que les libéraux avaient eux-mêmes mise en place au prix de près de 4 millions de dollars et de dizaines d’audiences publiques marquées certes par d’intéressantes propositions sur la gestion des accommodements religieux mais aussi par plusieurs propos xénophobes et islamophobes.
Il n’en fallait pas plus pour qu’à peine les corps des victimes mis sous terre la polarisation du débat sur le vivre ensemble et la laïcité reprenne ses droits et que les deux camps qui polluent les relations interculturelles au Québec depuis maintenant plus de dix ans poursuivent les hostilités. Les uns proclamant presque que la société québécoise est raciste dans son ensemble et oublient l’esprit de solidarité envers leurs concitoyens musulmans exprimé par des milliers de Québécoises et de Québécois tandis que les autres partent à la chasse de l’islam (radical ou pas) comme si le Québec était assiégé par l’islamisme et qu’il allait bientôt se transformer en république théocratique.
Aujourd’hui, en lisant les journaux ou en écoutant les émissions de télévision et de radio, tout se passe comme si le terrible drame du 29 janvier n’a jamais eu lieu. Tout se déroule comme si dans une ville aussi paisible que Québec, des citoyens n’ont pas été arrachés à jamais à leurs familles et empêchés de voir leurs enfants grandir, parce qu’ils ont eu le malheur de se trouver dans un lieu de prière le jour où un jeune au visage angélique a décidé de commettre un acte horrible et irréparable.
Or, malheureusement ce n’était pas un mauvais rêve, le drame a eu lieu et d’autres événements tragiques ne sont pas à écarter.
Il est donc plus que jamais urgent de briser cette polarisation et de faire cesser les surenchères des deux côtés.
La nation québécoise traverse une période difficile et il est primordial de considérer la question du vivre ensemble comme un enjeu national autour duquel les partis politiques, les organisations de la société civile mais aussi nous toutes et tous, citoyennes et citoyens du Québec, devons nous unir pour neutraliser les discours haineux présents et contribuer, main dans la main, à construire une société prospère, belle et fière de sa diversité et sa mixité.
Rayan (Rabah Moulla)
Leave a comment