C’était un 26 avril 2008… 3 hivers et toujours là… ça se fête ! - Immigrer.com
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C’était un 26 avril 2008… 3 hivers et toujours là… ça se fête !

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De laureenfr

Arrivée un 26 avril 2008. Il y a des dates comme cela qu’on n’oublie pas, qui sont gravées dans nos mémoires. Des dates si importantes que lorsqu’il faut se souvenir, on se dit : « ah ! Ça fait plus de 3 ans que ça s’est passé parce que j’étais encore en France ». Comme un point de repère.

Il faisait beau cette journée là, même très chaud. Pourtant il y avait encore de la neige partout, c’était la fin de ce fameux hiver 2008 qui a battu tous les records. Le weekend a été magnifique à se balader dans Montréal, ma coloc’, jouant les guides, m’a expliqué en deux jours top chrono comment me débrouiller seule par la suite. 10 jours après, début mai, il neigeait, l’immigration m’avait mis des réunions d’immigrants durant des jours et j’avais déjà commencé les cours à HEC. Ça commençait fort je trouvais, je n’avais pas eu le temps de souffler !

Après trois ans ici, on me demande encore pourquoi je suis venue au Canada. Pourquoi le Québec alors que la France est si jolie, est si agréable. C’est vrai après tout pourquoi je suis venue ? Un roumain, un algérien ou un haïtien par exemple, on lui demande quasiment jamais pourquoi il est venu, ça coule de sens (misère, guerre, pauvreté, dictature, ect…) mais une française, c’est étrange tout de même. Et partir si jeune et toute seule ! C’est pas normal ! (j’avais 23 ans quand je suis arrivée avec mes 2 valises et à part ma coloc’ je ne connaissais personne).

Si au départ, je savais pourquoi je partais (je me le suis écrit quelque part pour ne pas oublier dans mes moments de « blues de l’immigrant » comme je les appelle), aujourd’hui, ma mémoire ne sait plus très bien pourquoi je suis partie exactement. Pour un meilleur emploi, une vie plus agréable, un raz le bol de la France. Certainement, mais ma vie de jeune française entrant sur le marché du travail n’était pas si mal finalement et j’étais bien loin des grandes villes pour me tracasser des problèmes d’insécurité, d’embouteillage ou autres. Pour changer d’air, partir à l’aventure, découvrir le monde. Certainement aussi, mais l’aventure des débuts à vite laisser place au quotidien et à la routine. Alors pourquoi suis-je partie finalement ? Tout cela en valait-il la peine ? Était-il nécessaire de partir à 6000km loin de mon pays, de mes racines, de ma famille, de mes amis, de mes habitudes, pour arriver dans un pays que je ne connaissais finalement pas, sans repère, sans famille, sans amis (enfin si une amie tout de même), à reprendre des études, à se faire une place, à recommencer, à être complètement seule finalement face à son destin.

Pourtant, quand je rentre en France, en visite chez la famille, je me rends vite compte (au bout de 3 jours généralement) que ce pays n’est pas le mien. Que j’ai beau l’apprécier, que j’ai beau le défendre dans ses idées et dans ses valeurs, que j’ai beau crier haut et fort : « je suis française et alors ? Ça te gène ! ». Pourtant ce pays a un je-ne-sais-quoi qui m’a toujours dérangée et qui m’a fait dire très jeune qu’il faudrait que je le quitte un jour pour certainement mieux l’apprécier.

Aujourd’hui, je suis au Canada, au Québec devrais-je dire pour le meilleur et pour le pire. J’ai, comme un mariage, signé quelque part sur un bout de papier (mon visa de résident permanent) que je m’installais ici.

La vie au Canada est comme une vie de couple. Au début, tout est beau, tout est rose, tout est merveilleux. On découvre, on s’émouvoit (oui je fais une faute grossière, mais je préfère cette conjugaison, ça me parle plus), on apprend sur l’autre, on rit, on est content de notre choix et rien ni personne nous fera changer d’avis. On est tellement heureux (ou aveugle) que le froid n’est qu’une broutille passagère (qui dure 6 mois quand même !), que la neige vous rappelle un gâteau sur plusieurs couches (ma coloc’ me l’a rappelé y’a peu mes commentaires du premier hiver, mon dieu comme je devais être euphorique durant la première année), on s’attendrit devant les écureuils à porter de main et on dit haut et fort que la ville de Montréal est d’une propreté incroyable et tellement sécuritaire ! L’accent québécois vous ravie et les particularités de la langue québécoise vous amuse. C’est généralement la première année d’arrivée. L’année bisounours si on peut dire : lunette rose et sourire plein la bouche.

La deuxième année, les défauts commencent à apparaitre les uns après les autres et notre vie d’avant commence sérieusement à nous manquer. On se demande souvent qu’est-ce qu’on fout ici, pourquoi il faut reprendre des études (je ne suis pas devenue plus stupide en traversant un océan que je sache ?), pourquoi on est obligé de prendre des jobs sous-qualifiés, de prendre des claques dans la figure de refus perpétuels d’offre d’emploi, d’incompréhension perpétuelle face à ce pays et à ces coutumes. On découvre un système de santé merdique où la règle d’or est de ne jamais tomber malade et de ne surtout pas aller aux urgences. On apprend par nos amis immigrants venus d’Europe de l’Est, qu’ici c’est parfois pire que chez eux sur bien des aspects. On regarde avec terreur les infrastructures de Montréal qui tombent en lambeau (l’état des routes, le pont Champlain, les bâtiments à se demander comment ça tient encore debout). On s’aperçoit que les équivalences de diplômes, les séances d’immigration, les recherches de jobs, bref l’arrivée d’immigrants en elle-même n’est qu’une grosse machine à fric et d’exploitation de main d’œuvre pas cher et très qualifiée qu’on met sous le coup du renouvellement de la population en leur disant haut et fort venez ici c’est le paradis. Pourtant, quand on arrive, on est face à un véritable choc culturel et un cauchemar de recherches d’emploi. On s’attendait à tout sauf à s’en prendre plein la figure. On traite les écureuils de rats en les faisant déguerpir et l’automne a son charme, c’est bien vrai, mais putain quand est-ce qu’ils vont ramasser les feuilles parce que ça fait déjà trois fois que je glisse dessus ! L’hiver est interminable et on se demande encore comment c’est possible d’en apprécier la beauté quand il fait -40°C (sans le facteur vent), comment ses habitants peuvent-ils encore jouer dans la neige alors que moi j’ai les pieds gelés, le nez congelé et les larmes qui forment des glaçons sur mes joues. On prie fort pour que le réchauffement climatique arrive plus vite que prévu et que les cocotiers apparaissent enfin à Montréal. On est dégouté de tout ce qui nous entoure. On en vient à penser que les québécois sont tous des cons, des incompétents souvent illettrés et individualistes, qui prétendent défendre le français alors qu’ils le souillent et le malmènent. Bref, comme dans une vie de couple, les défauts des débuts qui étaient si charmants deviennent de véritables cauchemars, on insulte le pays qui nous a accueilli et ses habitants, on a envi de vomir par tous les ports ce Ô Canada et en plus cette situation c’est nous qui l’avons choisie. Bravo, quel choix !!!
Ça c’était ma deuxième année. Pas très belle, je dois l’avouer. Les coups de blues ont été nombreux et je me suis souvent dit que j’allais rentrer, ça franchement pas été facile. Mais non, je suis assez têtue et j’avais prévu le coup que cela n’allait pas être facile, qu’il allait falloir s’accrocher. Souvenez-vous de mon petit papier « pourquoi je suis partie au Canada », ça m’a drôlement aidé dans les moments de doutes.

Et puis, alors que tous ces moments de blues viennent les uns après les autres, que les échecs sont de plus en plus nombreux, il y a quand même à coté des petites victoires. Des amis qui sont là, qu’on a découvert dans ce pays par hasard (comme toutes les bonnes rencontres) et comme ils disent « si tu n’étais pas venue, jamais on se serait rencontré ». On se rend compte que le froid canadien n’est qu’une façade parmi tant d’autres et on se rappelle ce dicton : « mains froides, cœur chaud » qui est à l’image du Canada et de ses habitants : il faut arriver à aller plus loin que la froideur des gens d’ici pour se rendre compte qu’à l’intérieur, se sont de vrais cœurs sur pattes. Y’a des gens vraiment bien ici, aussi bien les québécois que les immigrants qui arrivent. Des grandes joies lorsqu’enfin une entreprise québécoise vous offre une chance, qu’une DRH se penche enfin sur votre CV et que même si elle vous dit : « vous n’avez pas d’expérience canadienne, votre salaire sera moins élevé », vous vous en foutez complètement parce que vous savez qu’une fois rentrée dans le cercle « des gens qui ont de l’expérience ici », plus rien ne pourra vous arrêtez.

The sky is the limit. C’est la première chose qu’on m’ait dite lorsque je suis arrivée. C’était dans une séance d’immigration. Cette phrase, je l’ai toujours gardée dans un coin de ma tête, comme un leitmotiv. Car nous voilà dans la troisième année.

J’ai un job, mais pas encore dans ce que j’avais en partant, mais je sais que ça s’en vient. Par contre, j’ai toujours trouvé dans ma profession (la comptabilité) et ça c’est déjà pas mal. Les études que j’ai commencées au tout début touchent bientôt à leur fin (plus que deux mois). Les amis, les rencontres ont été nombreuses et des vraies, celles sur qui on peut compter. J’ai des amis québécois mais aussi de tout horizon. Des collègues de travail charmants qui me taquinent souvent en me traitant de « petite française ». Rien de méchant, bien au contraire : qui aime bien, châtie bien. On en vient à dire que mon accent français n’est pas si français que ça finalement et même à me dire que j’ai des intonations québécoises (bâ lâ !). Les québécois que je rencontre oublient même que je suis immigrante et se mettent à parler leur langue québécoise sans aucun complexe, celui où faut tendre un peu l’oreille sous peine de rien comprendre pendant 15-20 minutes. Ils parlent de l’immigration et des immigrants, de l’indépendance du Québec et de ses vraies valeurs et je suis obligée de leur dire « hey oh, je suis là » pour qu’ils se rappellent que je fais partie des 54,000 immigrants qui arrivent chaque année au Québec. Je me suis réconciliée avec une partie de moi-même, le Canada m’aura appris au moins cela : à apprécier le chemin parcouru, ce que l’on a dans la vie. Peut être pour cela que j’étais partie après tout, pour apprendre à me connaitre, pour grandir, pour m’enlever ce blues et ce mécontentement constant qui collent aux français ?

Après trois ans au Québec, on commence à défendre quelques idées, à défendre ses habitants et à lutter contre les clichés qu’a la famille en France. Fini le temps où on était jeune immigrant fraichement arrivé qui ne dit rien parce qu’il n’ose pas car il n’est pas tout à fait chez lui encore, un peu comme un invité. L’esprit gueulard français qui est en moi à retrouver son énergie, je veux même importer les grèves, ça fera du bien une petite révolution et ça calmera quelques employeurs trop surs d’eux. Je paye des impôts ici, je demande ma nationalité dans 4 mois, pourquoi je ne pourrais pas dire ce que j’ai envi de dire ! Non mais oh !!! Après trois ans ici, l’acharnement des québécois à défendre la langue française devient aussi mon combat même si je suis plus réservée sur le coté « anglais = méchant envahisseur ». J’ai d’ailleurs appris la langue anglaise (que je ne maitrise pas encore complètement) pour ne pas faire mon hypocrite face au marché du travail montréalais. On s’intéresse à la question de l’indépendance du Québec car leurs idées intriguent. Pauline Marois ne dit pas que des bêtises après tout. La politique commence à m’intéresser : Harper est un idiot avec un sourire simplet, et Gérald Tremblay un escroc avec lui aussi un sourire simplet. Mais il y a d’autres partis. Et les 3 élections en 3 ans ici m’ont aidé à comprendre qui est qui. On commence à connaitre les célébrités d’ici et à rire devant le festival Juste pour Rire, on en comprend les subtilités des comiques québécois. C’est un bon signe d’intégration je trouve, quand on commence à rire aux mêmes choses que les habitants. Le mode de vie relax et cool des québécois, devient très agréable et même si je regrette mes 5 semaines de congés payés et l’Europe à portée de pas (l’avion est extrêmement cher ici et tout est loin), je m’arrange pour partir plus souvent mais moins longtemps (et les congés sans soldes sont faciles à prendre) et je découvre le ROC et les USA. Pays différent, habitudes différentes.

Au bout de trois ans donc, je commence à me faire une place ici. Le chemin n’a pas été facile et il n’est pas fini loin de là. Les claques je ne me les prends plus, je les esquive ou je rebondis dessus. Les larmes de désespoir ont laissé la place à un formidable esprit combatif et à une rage d’y arriver. Après trois ans ici, on se dit qu’on ne va pas lâcher l’affaire maintenant, trop de temps d’engager pour baisser les bras si vite. Je conseille les nouveaux arrivants pour leur éviter les erreurs que j’ai commises, mais je ne leur dit pas tout, à eux de se faire leur propre expérience aussi.

Je sais que la 4ème année va bien aller. Je vais bientôt avoir mon titre de comptable agréé. Rien que cela, va m’ouvrir de nombreuses portes sur le marché du travail avec les perspectives qui vont avec. J’envisage de quitter ce quartier d’immigrants qui est Cote-des-Neiges, plus pour moi, j’aspire à meilleur (Westmount, Outremont, Ville de Mont-Royal ? Trop cher encore, mais the sky is the limit, on n’oublie pas). L’hiver canadien vous oblige à vous surpasser en termes d’objectif personnel : une maison en Floride fait rêver et partir 6 mois de l’année au chaud est à porter de main, ce qui implique d’en arracher pas mal au travail (quoique le prix des maisons aux USA est en chute libre).

Comme dans un mariage, la 4ème année arrive avec des projets pleins la tête. Je pense sérieusement à acheter une maison (ou à déménager dans un quartier tranquille pour l’instant), une voiture, à développer la petite entreprise aussi (je fais les impôts en période fiscale). D’un point de vue moins matériel à me trouver quelqu’un ici qui partagera ma vie pour être à 100% bien. Comme dirait ma mère et ses clichés sur le Canada : « c’est quand que tu nous ramènes un bucheron canadien » ‘. Donc je lance une annonce pour faire plaisir à ma mère : jeune française cherche jeune bucheron canadien, pour longue soirée d’hiver mais aussi pour soirée après l’hiver et plus si affinité (voila, ça c’est fait, j’aurais essayé). Je me rappelle mes souvenirs de jeune immigrant en souriant et les mauvais souvenirs sont vite oubliés, ils nous ont simplement rendu plus fort. Je regarde avec tendresse les nouveaux arrivants avec des espoirs pleins les yeux, avec leur lunette rose et leur sourire plein la bouche mais aussi avec un peu de tristesse en se demandant combien vont restés, combien vont tenir et est-ce qu’ils se sont assez préparés. Je sais par quoi ils vont devoir passer pour la plupart d’entre eux, je veux les prévenir, mais je sais que la première année, ils n’écoutent rien de nos avertissements, ce sont les nouveaux bisounours.

Pourtant malgré ces projets plein la tête, après trois ans ici, je suis aujourd’hui plus ou moins convaincue que le Canada n’est pas la dernière terre que je foulerais, que ce n’est pas mon Saint Graal et Montréal encore moins. Comme en France, il y a un je-ne-sais-quoi qui me fait dire que non, ce n’est pas là encore que je vais poser mes valises. L’avenir me le dira si je change encore ou non de pays (on sait jamais si je trouve mon bucheron canadien), on verra ça pour le prochain bilan, mais revenir en France, ne fait pas parti du programme non plus.

Une chose est sure, si aujourd’hui vous me demandez « pourquoi je suis partie », je vous répondrais « et pourquoi pas ? ». Après tout qu’est-ce qui empêchait une jeune fille de 23 ans de partir à la découverte du monde, de traverser la grande flaque pour juste voir ce qui s’y passe de l’autre coté ? Je ne l’aurais pas fait, je l’aurais certainement regretté. Et c’est bien cela le bilan de ces 3 années : je ne regrette absolument rien dans cette décision, les bons comme les mauvais moments, tout est à garder, rien n’est à jeter, même les mouchoirs de tristesse du « blues de l’immigrant ». Et dans 5-10 ans, si je décide de partir du Canada et que vous me demandez encore « pourquoi tu pars ? » ma réponse restera la même : « et pourquoi pas ? ».

Je sais dans tout ça que si je n’étais pas partie, je me serais toujours demandée : « et si j’étais partie au Canada, ça aurait changé quoi ? ». Frank Sinatra disait dans sa chanson My way : « regrets, I’ve had a few, but then again, too few too mention ». C’est en parti ce qui avait motivé à l’époque ma décision : je peux vivre avec des remords si je me suis trompée, mais en aucun cas, je n’aurais supporté les regrets de ne pas avoir essayé. Et en plus, je n’ai aucun remord dans ma décision. À la bonne heure !!!

Si je n’étais pas partie par contre, je sais que je ne serais pas en train de faire mon bilan de trois ans de vie au Canada depuis plus de deux heures et je ne crierais pas à plein poumon « hey oh jeune bucheron où es-tu ? ».

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