Jamais un mot trop haut, un geste déplacé ou encore une engueulade. J’ai toujours trouvé les Canadiens, et les Québécois, très agréables. Pour manifester, les enseignants se rassemblent joyeusement le long des routes en brandissant des pancartes, sans aucunement gêner la circulation. Les policiers, eux, expriment leur mécontentement en changeant de pantalon de service. C’est fascinant cette absence apparente de rapports conflictuels.
La diplomatie au quotidien
Puis on plonge plus profond dans la culture locale. On devient plus attentif aux subtilités. On acquiert progressivement cette indéfinissable « Expérience Québécoise ». Il m’aura ainsi fallu un certain temps avant de m’apercevoir qu’entre un compliment et une bonne nouvelle, mon propriétaire glissait discrètement des choses moins agréables. Hop hop hop ! Ni vu ni connu. Et en bon adepte de la technique des compliments sandwich, il ne perdait jamais sa bonne humeur.
Il aurait pu nous aviser franchement que nos voisins se plaignaient du bruit, que c’est inacceptable, que nous donnons une mauvaise éducation à nos enfants, etc. Au contraire, il est passé nous voir et a trouvé formidable que nos enfants s’adaptent aussi facilement à leur nouveau cadre. Mieux, puisqu’ils débordent d’énergie, il nous a suggéré de nombreuses activités dans la région : camps de jour, cours de musique, clubs sportifs… Nous avons tellement apprécié cette discussion que ce n’est qu’après coup que nous avons réalisé ce qui avait sans doute motivé sa visite. Fin diplomate. Chapeau.
Et que dire lorsqu’il est venu s’assurer que nous étions confortablement installés ? Il a fait le tour du logement pour identifier tous les travaux à faire. Charmante attention. Isolation des fenêtres, poignées d’armoires, peinture qui s’écaille, nettoyage de la cheminée… Tout a été vérifié. Minutieusement. Il s’est inquiété de savoir si niveau emploi nous avions trouvé nos marques, si nous comptions rester dans la région ou pas, etc. Nous lui avons partagé nos projets. Il nous a partagé son avis et nous a encouragés. Excellent échange. Comme d’habitude. Que demander de plus ? Un propriétaire au petit soin de ses locataires. Super. C’est quand nous avons reçu son courrier la semaine suivante que nous avons mis son intérêt en perspective. Nous avions soudain l’impression qu’il était venu s’assurer que nous n’avions absolument aucune intention ni aucune raison de quitter cet appartement alors que le loyer allait augmenter de 10%. Tranquille, le bonhomme. On n’avait rien vu venir.
Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le Renard s’en saisit, et dit : « Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute :
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. »
Le Corbeau, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.
(extrait « Le Corbeau et le Renard », Jean de la Fontaine)
Aujourd’hui quand quelqu’un me complimente, j’ai le sourcil interrogateur qui se lève. Un réflexe. Derrière ses flatteries, je sais que Maître Renard s’en vient avec quelque chose que je vais possiblement ne pas apprécier. Alors surtout ne pas lâcher le camembert !
Des compliments qui parfois n’en sont pas vraiment
Dans ma compagnie, on distribue beaucoup de compliments : pouces levés, coups de chapeau, nomination pour l’employé du mois, trophée pour l’employé du trimestre… Dans le même temps, on n’hésite pas à remercier sur l’heure des salariés. Histoire sans doute de maintenir l’équilibre de l’Univers. Mais un compliment ne protège de rien. Maître Corbeau peut en témoigner. Ce n’est pas exceptionnel qu’une personne reçoive des compliments et soit invitée à faire ses cartons juste après.
Il n’y a pas si longtemps, mon boss s’était déplacé spécialement pour me voir. Pendant que je l’écoutais, une lumière orange clignotait dans ma tête. Mille questions se bousculaient. Des félicitations ? Vraiment ? Pourquoi à ce moment précis ? Est-ce que j’ai vraiment réalisé quelque chose d’exceptionnel ? C’est positif pour ma prochaine évaluation ou est-ce qu’il y a un loup caché quelque part ?
Je me souviens mes premiers mois de travail au Québec. J’étais sur mon petit nuage. Je recevais beaucoup d’éloges. En fait, je ne recevais que ça. Je réclamais des remarques constructives, mais j’étais incapable de les saisir. Je m’attendais à ce qu’ici aussi, si quelqu’un voulait me faire une critique, il fronce les sourcils et parle avec un ton grave. Aussi, ça m’a pas mal surpris lors de ma première revue de performance quand mon bosse sorte une longue liste de points à améliorer. L’atterrissage a été rude. Un choc culturel. Mais la leçon a été apprise.
Quand un entrepreneur me fait des compliments, je check son travail plusieurs fois. Quand la dame de la garderie me raconte que ma fille a été formidable, je comprends tout de suite qu’elle a regardé la Reine des Neiges en boucle toute la journée au lieu d’avoir des activités pédagogiques. Quand mon banquier me félicite, je prends tout mon temps pour bien relire chaque ligne de ses documents. J’en ai mangé des compliments sandwich. Suffisamment pour savoir que certains peuvent avoir un arrière-goût nauséeux .
Un dernier sandwich pour la route ?
Les années ont passées. Hier, je menais un point d’évaluation avec un collègue, nouvel arrivant au Canada. Je tenais vraiment l’occasion d’une bonne engueulade pour bien mettre les poings sur les i. Et puis j’ai repensé à mon ancien propriétaire et à sa façon de se faire apprécier, même quand il t’annonce avec un grand sourire la pire nouvelle pour toi. Et j’ai joué ma game comme il me l’a appris. Toute en finesse. Pour limiter les réactions violentes.
Ce qui a été dit |
Ce qui aurait pu se dire ailleurs |
Il me semble que ton intégration se déroule très bien, correct ? |
Ça fait déjà un moment que tu es avec nous. Tu es toujours en phase d’intégration quand un stagiaire est complètement autonome après 2 semaines. C’est pas possible ! |
Est-ce que tout le monde dans l’entreprise te consacre suffisant de support ? |
Pourquoi est-ce qu’il faut encore te tenir la main ? |
Ton approche analytique et systématique est très innovante. |
Tu saoules tout le monde à remettre toujours tout en question ! |
C’est intéressant, mais je pense qu’on n’est encore très loin d’être rendu à ce niveau ici. Qu’en penses-tu ? |
Mais quand vas-tu enfin arrêter de jaser et faire ta job ? |
Et sinon, comment vois-tu ta contribution dans l’équipe ? |
As-tu la même impression que nous autres: que tu n’apporte rien ? |
De ce que je vois, je pense que ton projet risque d’entrer dans une phase délicate. |
Bon. Malheureusement, j’ai une mauvaise nouvelle pour toi… |
J’imagine qu’on devra sans doute procéder à quelques ajustements. |
Une grosse cible est dessinée dans ton dos |
Il risque d’y avoir pas mal de pression prochainement. |
Dès que tu franchiras la porte, un snipper t’attend |
Mais c’est normal dans la vie d’un projet |
Allez, si tu veux chialer, ne te gêne pas. La boîte de kleenex est là pour ça. |
Et une fois qu’on aura traversé ces turbulences, ça ira beaucoup mieux, tu verras. |
Ta remplaçante est plus mignonne que toi, moins chère et prête à bosser beaucoup plus dur. Ca ne peut être que mieux. |
Ça sera super fun. |
Tout le monde a hâte de travailler avec elle |
Tu es partant ? |
Voilà, tu peux aller vider ton cubicule maintenant. |
A bien y réfléchir, la société québécoise est autant, sinon plus violente que les autres.
Mais avec ses spécificités culturelles, un grand sourire, et quelques compliments pour enrober le tout, les choses passent souvent mieux.
Enfin… ça dépend pour qui.
Hé hé oui ça me rappelle la phase où je commençais à réaliser ça et à me demander pourquoi une collègue m’avait lancé un bonjour. Pas très agréable comme impression. Bon courage!
Intéressant comme point de vue, même si après 10 ans ici je n’ai pas la même lecture. Les gens ne sont pas hypocrites, ils ont simplement une approche plus joviale et positive des choses. Mais au contraire de tes impressions, je trouve qu’au contraire de l’Europe, quand ils ont quelque chose à dire c’est plus direct et concret. Le seul point, peut être, est qu’au premier abord il ne faut pas prendre les paroles positives comme étant forcément quelque chose de positif. A contrario, en Europe, il ne fait pas prendre les paroles négatives comme étant quelque chose de négatif, car peut importe le sujet, les approches sont plus souvent négatives…