Chronique de filles
L’été est là, saison des sujets légers et, pour perpétuer le cliché, qui dit sujets superficiels dit…. chronique de filles. Ceux qui me connaissent savent que je fais ici usage d’ironie, ne pensant pas un mot de ce stéréotype pourtant répandu. Au moment d’écrire ces lignes, à ma défense, je dois vous dire que je regarde également le débat des chefs (puisque nous sommes en campagne électorale ici au Canada), qui se déroule à quelques kilomètres de chez moi, au Centre national des arts d’Ottawa (nous, Canadiens, avons parfois une conception comique de ce qui se qualifie d’ « arts »). Cela prouve bien qu’été, ineptie et gente féminine ne font pas qu’un. Ouf. Néanmoins, j’éprouve un besoin irrépressible de vous parler chiffons en entendant Paul Martin me dire qu’il veut que les femmes puissent avoir accès à des garderies subventionnées pour leurs enfants. Et leurs maris, à ces femmes ? Ils n’en cherchent pas, de places en garderie, eux ? Paul Martin est un de ces hommes qui croient que les femmes s’occupent de leurs enfants, alors que les hommes, eux, ne font que du « babysitting » de temps en temps. Soupir. Sérieusement, je préfère vous parler de sujets futiles comme…. la mode.
Je l’ai annoncé dans le passé, je suis une grande magasineuse. Plus précisément, j’aime consommer. J’aime faire de bonnes affaires. J’aime bien avoir douze pantalons et dix-sept « hauts » dans ma garde-robe. Je suis assez classique (voire plate) et ils restent en général dans les mêmes tonalités : noirs, kakis, et j’ose parfois un beige au printemps. Mais j’aime la quantité, le vaste choix. J’aime aussi la qualité. Je suis également une grande consommatrice de maquillage et de parfums. Vous tomberiez si vous voyiez mon tiroir à rouges à lèvres. Je n’exagère pas quand je parle de « tiroir », mes 56 bâtons de rouge ne tenant pas dans une mini-pochette. Je n’aborde même pas mes parfums sagement alignés dans ma lingerie. Je me sens obligée de vous préciser que je suis très féminine, car les gens tombent en général de leur chaise quand je leur dis que Oui ! Je me maquille ! Et oui, J’adore les fringues !
Car en France, je passais pour un modèle de je-m’en-foutisme vestimentaire. Toujours trop crevée, mon uniforme consistait la plupart du temps en jeans, t-shirt et pull informe à force d’avoir été porté. Face aux canons français de la beauté, j’ai capitulé, je l’avoue.
Je revis en Amérique du Nord. Il faut dire que mes goûts vestimentaires sont servis ici.
À Paris, je travaillais dans les beaux quartiers. Le XVIè, un passage plus sombre à Bercy, et, pour finir, la quintessence du chic parisien : Opéra. J’habitais de plus une commune hyper BCBG du 92. Je préfère vous le préciser, car je suis consciente qu’il s’agit d’une réalité particulière. Le dimanche, les gentes dames allaient se balader au Jardin d’Acclimatation, parfaitement maquillées par Christian Dior lui-même, aurait-on dit, petit tailleur Chanel – ou robe Caroll pour les pauvresses, escarpins à bout pointu (…. et clope au bec car ça fait chic et ça donne une contenance). Je ne parle pas là des fameuses dames du Bois-de-Boulogne, mais bien de Madame de la Truc-Muche, de Garches, avec sa progéniture généralement nommée Gontran et Anne-Sophie. J’ai passé six ans à vainement admirer l’élégance de ces dames. J’y aurais mis tous mes efforts, je n’aurais été qu’un ridicule pastiche de ces femmes vraiment très raffinées. J’étais condamnée au malheur perpétuel (prenant la forme d’un sac de papier kraft sur la tête, dixit Julie Snyder interviewant Catherine Deneuve). Dans le milieu où je vivais et travaillais (et j’ai tendance à croire que c’est partout pareil à Paris), seule l’élégance très féminine a le droit d’existence.
Et moi qui irais en thérapie pour me guérir de l’envie d’acheter toute la collection des Hush Puppies, ça en dit long sur mon malheur et mon mal-être. Pour les néophytes, Hush Puppies est une marque américaine de chaussures extrêmement confortables – voilà, le mot honni est dit, « confortables ». La mode, en Amérique du Nord, c’est la culture du confort.
Pourtant, je ne crois vraiment pas être une tarée en matière d’élégance. Mes goûts sont différents, c’est tout. J’aime les marques. J’aime surtout les payer lorsqu’elles sont à « 50 % off ». Mon idée du bonheur est d’entrer chez Ogilvy’s, en plein mois de juillet, lorsque les vraies soldes commencent à être sérieuses, et doucement m’emparer de tout le rayon Ralph Lauren. Je suis d’un genre, pratiquement inconnu en France, qu’on appelle ici « Sport Chic ». J’ai cette image d’une résidente de Nantucket, Cape Cod, que j’avais vue passer la tondeuse vêtue ainsi. Un genre de Martha Stewart quand elle va faire le ménage de son garage. Voilà, c’est moi, du moins, c’est ce que j’aspire à devenir. Et je dois avouer que me retrouver en Amérique du Nord relève, dans cet aspect, du bonheur enfin retrouvé. Le samedi matin, je savoure le moment où j’enfile mon bermuda kaki Jones de New York. Douceur, liberté de mouvement, pragmatisme (les poches de mon bermuda style cargo me permettant d’héberger : sucette du bébé, clés, cartes bancaires, avion-jouet du plus grand, lunettes solaires du mari, mouchoir, sans oublier…. mon rouge à lèvres).
Bien sûr, en France, je n’aurais jamais osé arborer le bermuda ainsi. D’abord, c’est une pièce de vêtement qui attire, là-bas, les fous-rires. Bermudas = Gros Nord-Américain Quétaine. Et puis mes jambes n’ayant rien de celles d’Adriana-la-femme-du-joueur-de-foot, je n’aurais jamais osé porter autre chose qu’un tchador noir sur les dites jambes.
Dans mon entourage en France, j’avais deux adolescentes. Magnifiques et filiformes. Pendant la canicule d’août 2003, elles n’ont pas quitté leur jeans et leurs pulls en acrylique. Par complexe (convaincues d’avoir des jambes immondes alors que ce n’était vraiment pas le cas) et par crainte d’être harcelées si elles osaient montrer un bout de chair. Bah, j’y crois moyennement puisque l’une d’elles arbore quand même le string qui dépasse du jean taille basse…. mais enfin – elle compense avec le col roulé marron par 36°C en juillet. On suggère un saut à la piscine ? Elle adore mais refuse – Oh non, quelle horreur, ses jambes sont trop moches. Euh ? Ne veux-tu pas porter un short dans le jardin au moins ? Un short ??? Elle n’en possède même pas.
J’ai eu l’impression, pendant mon séjour en France, que 1) l’élégance n’appartenait qu’à une certaine classe de la société et que 2) le confort était à bannir à tout jamais. Combien de fois ai-je vu des regards entendus révéler des pensées évidentes, quand ce n’était pas les commentaires à haute voix : « Non mais tu l’as vue ? Elle devrait « faire régiiiiiime » avant de porter un short aussi court » ou, au passage, d’une fille superbe alors qu’il fait 45° : « Qu’elle ne s’étonne pas de se faire violer avec un short si court ». Paris a beau être une grande ville internationale, je n’ai jamais vu autant les gens s’y toiser de la tête aux pieds, s’évaluer, se critiquer, se moquer. Je ne m’aventure pas sur la sociologie vestimentaire en province, je ne connais pas suffisamment pour risquer une théorie. J’ai une amie, épouse d’un médecin de campagne, qui s’attirait, il y a quelques années, des regards scandalisés lorsqu’elle mettait son blouson Levi’s. Paraît-il que les mentalités commencent à changer.
Ici, RIEN à cirer, des chaussures vernies pointues. Parce que le roi, ici, c’est le confort. L’idée, c’est de ne pas avoir l’air ridicule le samedi après-midi chez Réno-Dépôt, et pour ça, le bermuda est le tsar du vêtement. Vous vous dites « Non…. moi…. jamais ». Et pourtant, je parie que vous le ferez. Vous succomberez au confort. Vous prendrez un malin plaisir à coordonner votre petit polo Gap rose avec vos Converses de la même tonalité. Vous irez faire vos courses en survêtement de jogging bleu ciel avec une chtite ligne bleu marin sur les côtés…. (alors que bien sûr, vous n’avez plus couru depuis que vous avez 11 ans et demi). Et personne ne chuchotera dans votre dos « Qu’est-ce qu’elle est mal attriquée…. ». Parce qu’ici, tout le monde fait pareil, et la féminité et l’élégance n’ont rien à voir avec d’éventuels talons aiguilles, n’ont rien à voir avec les diktats d’une mode rétrograde, qui a décidé que l’élégance s’arrêtait à la taille 36 chez Zara. Ici, le sens du style et la féminité sont élevés en démocratie. Tout le monde y a droit. Ça n’empêche pas certains de devenir des « fashion victims ». Fréquemment, j’ai vu des personnes aux abdominaux moins que parfaits arborer des petits « tank tops » révélant quelques bourrelets. Faute de goût ? Mon Français de mari me rétorque « So what ? Elles font ce qu’elles veulent et c’est tant mieux ». En voilà un dont l’Intégration et l’Acceptation de l’Autre démarrent bien.
L’équipe américaine de mon ancienne boîte parisienne m’avait un jour parlé d’un poste de coordonnatrice, une promotion inespérée. J’avais montré beaucoup de débrouillardise, d’initiative et de dévouement dans un projet innovateur, et on me pressentait pour en faire la coordination dans le futur. D’abord, personne d’autre n’était disponible, ensuite j’avais toutes les qualifications pour y réussir. Puis, est arrivée…. S. S avait été embauchée pour un poste à la vente. En six mois, elle n’en a pas fait une. Mais S était bien mignonne ; petites jupes courtes, coupe au carré bien sage, grands yeux noirs, beaux gestes élégants en aspirant son attrape-cancer, pardon, sa cigarette. S ne savait strictement rien faire d’un point de vue technique. C’est S qui m’avait appelée d’un ton rageur, un jour, me disant que son ordinateur était nul parce qu’il n’y avait plus de son. Enceinte de six mois, je m’étais penchée sous son bureau pour rebrancher ses hauts-parleurs. S gagnait, tenez-vous bien, 10 000 francs de plus que moi – par mois. Au bout de son CDD complètement inefficace, S a obtenu le poste de coordonnatrice qu’on m’avait proposé. Aux multiples cocktails et pots divers de la boîte, les patrons vantaient le côté si glamour de S. Bien sûr, on pourra toujours dire que je ne raconte que mon côté de la médaille. Mais je l’avais, ce poste. Deux personnes-clés du projet m’avaient confirmé que j’étais LA personne idéale. Mais est arrivé S avec son petit côté glamour, ses petites jupes féminines et ses petites moues d’ingénue. Et OUT j’étais. C’est vraiment à ce moment que j’ai commencé à douter du bien-fondé de l’élégance à la française.
Je mentirais si je disais que nous ne sommes pas exempts, en Amérique du Nord, de ce genre d’attitude des patrons. Un matin, dans l’autobus me menant au centre-ville d’Ottawa, j’écoutais deux recruteurs de la fonction publique rigoler en disant qu’à compétences plus ou moins égales, ils choisissaient toujours la fille la plus jolie…. et le gars le plus moche. C’est le genre de conversation où je me dis que je devrais vraiment m’acheter un enregistreur de poche. Et là, je le brandirais triomphalement pendant un débat des chefs, en demandant à l’ancien ministre des Finances s’il reconnaît là les propos des fonctionnaires dont il est responsable. Et il me répondrait qu’un comité étudie sérieusement la question – « to get to the bottom of this », dirait-il, d’un air convaincu qui laisse penser que nous sommes au théâtre des Variétés plutôt qu’au Centre national des arts d’Ottawa…
Leave a comment