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Chronique du Grand Nord – juin 2009

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1er juin 2009

Ouf! Il ne neige pas aujourd’hui! J’ai été vraiment traumatisée de voir mon terrain tapissé de neige hier matin. Un 31 mai!

Il faut dire qu’il ne fait pas tellement chaud non plus à Montréal…

La semaine passée je suis allée à Chibougamau et j’ai réalisé mon phantasme de faire du kayak sur le plus grand lac au Québec : le lac Mistassini. 120 km de long. Une vraie mer intérieure.

Les Cris ont construit le village de Mistissini sur le bord du lac, à environ une heure de Chibougamau.

J’avais communiqué préalablement avec un type de Chibougamau pour louer un kayak de mer. Le type, qui s’appelle Sylvain, m’a dit qu’il pourrait emmener deux kayaks de mer et me servir de guide. Nous nous sommes donc donnés rendez-vous à Mistissini, au Band Office, où nous faisons la cour itinérante.

La veille j’avais dormi au Mistissini Lodge, sur le bord du lac. Sylvain m’avait demandé de l’appeler, pour lui confirmer que le lac était bel et bien dégelé. Quelques jours auparavant, il y flottait encore quelques plaques de glace.

Nous avions donc rendez-vous à 15h, le lendemain. Quand je me suis levée le matin, j’ai été très déçue de constater que le ciel était totalement couvert. Il y a même eu quelques gouttes de pluie. 12 degrés celcius.

Au fur et à mesure que la journée avançait, je commençais à avoir peur de ne pas pouvoir finir ma journée à temps. Une fois que le sort de mes clients détenus a été réglé et mes procès terminés, j’ai commencé à mieux respirer. Au pire, je pouvais reporter les autres dossiers au lendemain.

Tous mes collègues étaient informés de mes plans, même la juge se montrait compréhensive. C’est qu’il n’y a pas grand chose pour m’arrêter quand j’ai une idée en tête!

Vers 14h, le soleil est sorti, miraculeusement!

Vers 15h15, j’ai vu un Blanc assis au fond de la salle. J’étais sûre que c’était Sylvain. Les gens qui font du plein air dégagent tous un peu la même chose, un mélange de paix intérieure, d’ouverture et de détermination.

J’ai trouvé un peu comique qu’il me voit en tailleur et en talons hauts, en train de plaider. Heureusement, il ne s’est pas sauvé en courant.

Une fois que j’ai reçu mon congé de la juge, je suis allée lui serrer la main. Nous n’avions pas beaucoup de temps. Nous en sommes venus droit au but. Il m’a montré les kayaks de mer sur le toit de son camion. La même marque que mon kayak de rivière.

Il a cinquante ans. Il a fait du kayak de rivière toute sa vie. Il a également milité contre l’harnachement de la rivière Rupert, avec les Cris, parmi lesquels il s’est fait des amis. Mais les Cris ne sont pas faciles à approcher. Plusieurs fois alors qu’il faisait du plein air dans les environs de Chibougamau, où il est né, il s’est fait rabroué par des Amérindiens, se faisant reprocher d’être sur leurs terres et se faisant sommer de retourner en Europe!

Quand on pense que nos ancêtres sont arrivés ici en 1600 quelque chose, c’est assez hallucinant de se faire traiter d’Européens!

Mon ancêtre, Robert Gagnon, né en 1628 à Tourouvre, dans le Perche, à moins de 150 km de Paris, en France, est arrivé en Nouvelle-France en 1658. Il est venu rejoindre ses trois cousins Gagnon et s’est installé avec eux sur l’Ile d’Orléans, près de la ville de Québec.

A quatre, ils ont peuplé la Nouvelle-France de petits Gagnon, une des familles les plus nombreuses du Québec.

Je suis allée visiter ses terres il y a quelques années. J’ai médité quelques instants près de la croix commémorative qui a été érigée en son honneur.

Quelques documents nous informent de son parcours. Par exemple, il a acquis une concession d’une terre en la seigneurie de Lirec par un certain Charles Lauzon, seigneur de Charny, le 2 avril 1656.

Le premier octobre 1657, il a pris Marie Parenteau en épousailles.

Le 12 juin 1670, il a signé un bail l’autorisant à pêcher du saumon :

Par devant Romain Becquet Notaire Royal fut present en sa personne damoiselle genneviefve desprez femme faisant et portant fort pour Louis Couillar Sieur de lespinay son mary absent Laquelle de son bon gré et vollonté Sans aucune force ny Contrainte a Recognu et Confessé avoir baille et delaisse esdits noms a tiltre de bail pour tout et tel temps que la pesche de saumon demeurera de Cette presente Annee a Commencer des Cejoudhuy dabte des presentes et promet faire jouir audit tiltre pendant ledit temps durant a Robert gaignon, pierre gargot habitant demeurant en lisle dorleans et jean Charpentier dit lapaille habitant demeurant a la Canardiere a Ce present ledit gaignon ce Acceptant tant pour luy que pour lesdits gargot et lapaille preneurs Audit tiltre pour ledit temps, tout et tel droit de pesche Ainsy Que bon leur semblera pendant ledit temps que ladite pesche de Saumon deurera

Les archives nous racontent que souvent, les habitants de l’Ile d’Orléans devaient repousser les attaques des Amérindiens, qui débarquaient sur l’Ile en canot, la nuit, pour mieux les surprendre.

Robert Gagnon est mort en 1703. Il a dû se retourner dans sa tombe quand il a appris que son arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-petite-fille défend des Amérindiens!!!

Il a dû également se retourner dans sa tombe quand son arrière-arrière-arrière-arrière-arrrière-arrière-arrière-arrière-arrière-petit-fils a pris en épousailles une Sauvageonne…

Toujours est-il, Sylvain a perdu son combat. La Rivière Rupert sera harnachée bientôt. Elle servira à alimenter les barrages de la Rivière La Grande, afin d’alimenter les Américains en électricité. Cet été il part avec des copains pour descendre la Rivière Rupert en canot, pendant deux semaines. Deux semaines sans voir la civilisation. Ils vont emmener de la bouffe déshydratée, une canne à pêche pour pêcher du poisson, un 12 pour tuer des oies ou des canards. Et il m’a offert de me joindre à eux…

Nous avons mis les kayaks à l’eau vers 16h. J’avais mon wet suit, eau de température oblige. Cinq minutes à l’eau à ce temps-ci de l’année et c’est l’hypothermie assurée. Il y a d’ailleurs trois ou quatre personnes qui sont mortes d’hypothermie cette semaine. Des kayakistes et des pêcheurs.

Mais c’est probablement le vêtement le moins confortable au monde! Et ça ne respire pas!

Nous sommes arrêtés picniquer sur une île où les Cris vont camper. J’ai goûté à des ananas déshydratées, du jerky caribou. Miam! Miam!

L’eau du lac était comme une mer d’huile. Le soleil nous a tenu compagnie jusqu’à la fin.

J’avais une drôle d’impression. Nous étions deux Blancs à nous balader en kayak sur le lac Mistissini, pendant que les Amérindiens passaient près de nous en bateau à moteur.

A un certain moment, j’ai vu un canot approcher. Le type était seul et il pagayait d’une façon très particulière. Quand il est arrivé à ma hauteur, je lui ai offert mon plus beau sourire mais le regard qu’il m’a jetté m’a glacé le sang.

Un regard qui disait : « Tu es sur mes terres et je pourrais te tuer pour ça… »

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