Chronique ? Quelle chronique ?
Quel chroniqueur n’a pas connu ça …. mardi arrive et PAS DE SUJET. De quoi je vais parler ?! Toutes ces choses qui me semblaient importantes il y a encore une dizaine de jours, ont perdu de leur importance. Parce qu’il est arrivé quelque chose dans ma vie qui a remis les pendules à l’heure. Quelle heure ? L’Heure, avec un H majuscule. Comme Vie avec un V majuscule. J’ai perdu un Ami. Avec un A majuscule.
Nous n’avions pas fait baptiser notre petit dernier en France avant d’en partir au printemps 2000. Nous voulions absolument qu’il soit baptisé ici au Québec. Au bout de 4 mois dans le village où nous sommes maintenant, nous nous sentions prêts pour organiser cette cérémonie. Alors on a dit que ce serait mieux d’aller à la messe deux, trois fois, histoire de voir comment était le curé et tout et tout. Depuis des lustres, nous n’avions pas été à l’église, mis à part le baptême d’Antoine en 1997, en Belgique. On y retournait donc un peu par politesse. Quelle n’a pas été notre surprise de voir un curé tout jeune, bon d’accord, entre 35 et 40 ans c’est jeune, non ?! Bref, un gars jeune d’esprit, dynamique « au boutte », qui chante avec la voix et le talent d’Yves Duteil, et qui nous dit de revenir autant de fois qu’on veut avec nos petits terribles (2 et 4 ans à cette époque) et que ça ne fait rien qu’ils fassent les guignols tout au long du service. Et je vous jure qu’ils le faisaient très bien et très fort….
Le baptême ne s’est fait que plus de 6 mois plus tard, mais tout au long, nous avons été de fidèles participants à quasiment toutes les messes de Dimanche. Le curé nous plaisait, les gens commençaient à nous connaître et nous REconnaître (« C’est bien vous, la maman des deux petits gars qu’on voit le Dimanche à la messe de 8 h 30, hein ? »), on se parle, on se fait de nouveaux amis. Nous sommes entre-temps amis avec le curé lui-même, et c’est là que commence le pourquoi des pendules remises à l’heure :
Il y a deux ans, juste quelques semaines après que nous avions commencé à fréquenter ce petit monde, Serge, notre curé, a eu un stagiaire, Claude. Claude avait 45 ans, la vocation lui était venue jeune mais il n’a pas pu réaliser son rêve à 20 ans. Le voilà donc en fin de parcours, il nous lui restaient que 2 années de stage dans une paroisse pour être ordonné prêtre. Je mentirais si je disais que Claude nous a plu tout de suite. Mais sa très grande timidité a vite été vaincue devant Serge et les paroissiens qui l’accueillaient chaleureusement. Claude était vite devenu un Ami pour beaucoup, infatigable, toujours prêt à écouter, toujours souriant, toujours humble, toujours enthousiaste et passionné.
Chose inimaginable en Allemagne et probablement en France : on ne vouvoie pas Serge et Claude, presque dès le début c’était TU. Ils sont réels tous les deux, pas des personnes choisies qu’on ne peut pas approcher et qui ne vivent pas une vie normale. Serge et Claude sont des hommes de ce qu’il y a de plus normal, mais avec un enthousiasme de vie contagieux ! Tous les deux capables de sortir du protocole même au milieu de la messe, parce qu’un enfant pleure ou parce que pour la 3e fois pendant le même service, je pars aux toilettes avec un de mes petits gars ! Ils ont mis une table à l’entrée de l’église avec 25 livres pour les enfants de 0-15 ans, des livres sur Jésus bien sûr. Les gamins les adorent, ces livres ! Depuis mon curé de petite enfance, je n’ai pas revu un curé si proche des gens. Serge, c’est le gars qui décide qu’on est une bande de copains autour d’un feu de camp alors qu’on est au milieu de l’église et en pleine messe, mais il sort quand même sa guitare pour nous en chanter une petite populaire, rien à avoir avec la messe !
Claude qui a revêtu un grand chapeau de paille au moment des JMJ (journées du Pape à Toronto) et une chemise style Hawaii pour faire le fou au milieu des jeunes venus des Honduras. Et Claude qui est monté sur les planches au concert de Noël pour faire « Mononcle Claude » qui enkikine le monde avec ses histoires à dormir debout. Qu’est-ce qu’il nous a fait rire !!!
Puis, un mois après Noël, Claude est parti à Montréal pour une opération. Attente dans un hôpital pour une place dans un autre. Trois mois s’écoulent de cette façon. Tous les Dimanche Serge nous dit que Claude va bien, qu’il a le moral, qu’il prend son mal en patience. Claude ne veut pas avoir trop de visiteurs – il est gêné qu’on le voie en pyjama.
Puis Claude est finalement opéré. Tout se passe bien. Il va revenir la semaine prochaine.
On rate une messe. Le Dimanche d’après, Serge nous annonce en sortant que Claude ne reviendra pas, qu’il n’en a plus que pour quelques jours, deux semaines tout au plus.
WHAT ???
Claude a eu un arrêt cardiaque prolongé. Le cerveau est pour très grande partie détruit. 47 ans. Panique ! Claude veut être prêtre, il ne peut pas mourir maintenant ! Pascal et moi décidons de ne pas attendre et d’aller le voir le lendemain soir pour lui dire au revoir. Avez-vous déjà vécu ça, de n’avoir pas pris le temps tout de suite et que finalement, le lendemain ou la semaine d’après, c’était trop tard ? Nous oui. Et pas question de risquer cela avec NOTRE Claude. Serge nous a donné tous les détails qu’il fallait pour aller le voir. On l’a vu. On a parlé avec des cousines autour de son lit. On lui a parlé aussi. On lui a dit ce qu’on avait à lui dire. Il a eu des réactions évidentes lorsqu’on lui a adressé la parole directement. Peut-être qu’il a vraiment compris ce qu’on lui a dit, peut-être qu’il sait seulement que deux de ses Amis sont venus lui dire leur Amitié.
Claude est décédé 48 h plus tard.
Nous l’avons enterré hier après-midi. Nous avons vu Serge pleurer, s’écrouler, il ne s’est pas caché de son chagrin. Nous étions un autobus plein et même plus de notre village à être venus faire ce dernier bout de chemin avec Claude dans SON village à une heure et demie de chez nous. Belle grande messe avec l’évêque et une douzaine de curés et abbés. Eglise pleine à craquer. Cimetière sous une petite pluie fine. Telle une grande famille, un grand cercle d’amis autour de son cercueil. Claude avait beaucoup beaucoup d’amis.
Nous avons perdu notre premier Ami Québécois. C’est difficile à avaler. Ceux qui l’ont connu et apprécié se retrouvent orphelins d’un Ami, mais nous sommes tous plus proches les uns des autres. Les liens se resserrent dans la souffrance de la perte d’un être cher.
La vie continue, je sais. Chacun a sa façon de faire face à ce que la Vie nous réserve de joies et de peines. Je sais aussi que nous avons le privilège de vivre dans un village où les Amitiés se nouent plus facilement qu’en ville, et c’est une de nos grandes joies de notre nouvelle vie depuis maintenant un peu plus de trois ans. Ce que je viens de vous décrire, c’est du quotidien de ma vie, de notre vie. Et je me rends compte que je l’aime très fort, cette Vie !
Morale de l’histoire : ne remettez pas au lendemain ce que vous voulez faire aujourd’hui !
A la prochaine avec une chronique plus gaie !
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