Ça y est, après un peu moins de 2 ans d’attente, je peux enfin le dire, je suis Canadien !
Arrivé en mars 2007, j’ai lancé la procédure en novembre 2011. Les questions début juillet, et donc la cérémonie mercredi dernier, le 10 octobre. Oui, oui, la totale, l’hommage à la Reine, l’hymne national, les petits drapeaux et tout. On était presque 400, et comme le disait la juge 52 nationalités représentées. Arrivé à 1h, parti à 4h30 avec le papier en main.
Qu’est-ce que j’ai ressenti lors de cette journée ? Difficile à résumer, une grande fierté, un honneur, un aboutissement mêlé à un départ. Je pense que chacun de nous peut faire cette démarche pour des raisons différentes. chacune se vaut mais je me suis demandé objectivement pourquoi je souhaitais franchir le pas.
Oh c’est sur, déjà ça sera plus facile à la frontière. Je dois souvent me déplacer aux Etats Unis pour le travail et chaque fois je ralentis mes collègues Québécois.
C’est rassurant, aussi. De savoir que maintenant, quoi qu’il arrive, je n’ai plus un statut temporaire au Canada. Je n’ai plus besoin de renouveler ma résidence permanente. Des fois qu’un jour ça change. On ne sait jamais. Mes patrons aussi, peut être que ça va les rassurer, leur montrer encore un peu plus que je me sens chez moi ici.
Mais ça ce sont des détails « techniques », administratifs. Pas de quoi éprouver la moindre joie alors, si ce n’est que ça. Et pourtant quand je suis sorti de la salle j’avais un grand sourire jusqu’aux oreilles.
Pour la perception des autres ? Me sentir plus intégré ? Non. Déjà parce que je me sens parfaitement intégré, personne ne me donne l’impression que je ne suis pas admis, que je suis un étranger. Un passeport n’y changera rien, et je dirais même que citoyen ou pas je resterai toujours de temps en temps « le Français ». Mais dit avec affection, parce que j’ai beau avoir perdu presque intégralement mon accent français, pour mes amis Québécois il restera toujours une petite trace, et c’est très bien de même. Comme un anglophone qui malgré un français parfait gardera toujours cette petite touche british sur certaines consonnes.
Non, si je suis tellement fier et touché d’être devenu Canadien, c’est juste pour moi. Pouvoir enfin participer à la vie politique, voter, faire mon devoir, m’impliquer encore davantage dans la vie quotidienne. Savoir que quels que soient les choix faits par la population, j’aurai apporté ma voix. Que je ferai partie des statistiques.
J’étais heureux comme un enfant aussi parce que, si j’avais fait la démarche de citoyenneté en pensant à mes amis Québécois, j’ai été vraiment touché le jour de la cérémonie par toutes ces familles, ces enfants, ces immigrants comme moi qui sont devenus Canadiens. Certains pleuraient. Beaucoup se sont embrassés. Quand la juge nous a demandé de féliciter nos voisins de gauche et de droite personne ne l’a fait machinalement, les gens se regardaient dans les yeux pour se souhaiter le meilleur. En arrivant dans la salle j’étais fier de faire peut-être encore peu plus partie intégrante du peuple des Rene Levesque, Lafleur, Tremblay, Côté, mais d’un coup je me rendais compte que j’étais également fier de faire partie de cette assemblée. J’étais touché par ces familles, ces 52 nationalités, certains, beaucoup sûrement ont vécu l’enfer avant d’arriver, une vie de souffrance avant d’enfin être accueillis ici. Et pour eux, bien plus que pour nous français, la citoyenneté est la certitude que jamais ils n’auront à retourner contraints et forcés dans un pays qu’ils ont rejeté.
Je ne pense pas que j’arriverai à retranscrire exactement ce que j’ai ressenti en mots, mais je vais essayer. J’ai écrit des albums, des livres, des articles sur les bidonvilles de Dharavi en Inde, sur le Rwanda, la Palestine, en ce moment l’histoire que je dessine se situe au Tchad et au Soudan.
J’ai été dans tous ces pays, rencontré ces gens, témoigné de leurs douleurs comme de leurs joies. Mais malgré les semaines passées avec eux, dans ces familles, je sais bien que je n’ai fait qu’effleurer leur vie, leur réalité. De voir des ressortissants de tous ces pays réunis ici, au Canada, dans une cérémonie qui leur permet de mettre enfin derrière eux ce qu’ils ont fui, les voir accéder en ce jour comme moi et comme tant d’autres avant nous à la citoyenneté canadienne, ça m’a vraiment ému aux larmes. Oh non, ça va, rassurez-vous, je n’ai pas braillé quand même, je sais me tenir !! 🙂 Mais j’imaginais ce qu’ils devaient ressentir, les sacrifices qu’ils ont consentis pour donner cette chance à leurs enfants, et je ressentais comme un honneur d’être avec eux à ce moment précis. J’ai passé beaucoup de temps à regarder ces visages, ces regards échangés entre eux, à tel point que finalement je n’ai pas trop eu le temps de me concentrer sur mon expérience personnelle, elle était tellement insignifiante.
Et de toute façon, comment se concentrer avec Basile, ce grand Sénégalais au coeur immense et au sourire permanent avec qui j’ai passé de très belles heures. C’est que le hasard est drôle parfois. Quand j’ai été passé les questions, quand on a fini le test on doit aller s’assoir dans une grande salle remplie de monde. Il y a des centaines de personnes, on se place où on veut, certains sont là depuis des heures. Je m’étais donc assis au hasard à côté de ce colosse noir qui semblait si content d’être là. On avait tout de suite sympathisé, l’attente était longue et nous avions plein d’histoires à nous conter. Il avait des jus de fruit en trop, j’avais des biscuits, on a pu donc compléter nos repas 🙂 Quand c’était à mon tour de passer, on s’est souhaité mille bonnes choses.
Arrivé à la cérémonie, on s’est vu de loin, on s’est salué avec un sourire, espérant se voir plus tard, peut-être après. Les places étaient imposées, on avait tous un numéro défini sur notre convocation, on était comme je le disais près de 400, et on s’est quand même retrouvé côte à côte ! Un très beau hasard.
Bref, comme d’habitude je m’étale, mais je voulais partager avec vous cette belle journée où je suis devenu canadien, comme les Tremblay, Côté, Ouellet mais également les Baboucar, Khadri, Ngyen.
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