On est tous l’étranger de quelqu’un. C’est toujours vrai même si ma chronique ne porte pas sur la citation de Marc Lévy dans son livre « Les enfants de la liberté ». C’est encore plus vrai quand on débarque pour la première fois dans un nouveau pays avec la volonté de s’y établir et l’ambition d’y réussir. On devient, un peu, l’étranger de tous ceux et celles qui étaient là avant notre arrivée. Beaucoup parmi ces derniers et notamment les plus anciens vont sans doute nous rappeler, à un moment ou un autre, qu’on vient d’ailleurs. Mais si le fait de venir d’ailleurs n’est pas invoqué pour justifier que la communication interculturelle est trop complexe voire impossible; si ce n’est pas utilisé pour créer des catégories de citoyens, cela ne pose évidemment pas de problème. Ce peut même être un appel à la tolérance, à la compréhension mutuelle et au rapprochement. C’est mon père qui me répétait ce vieil adage kabyle comme quoi que pour que deux personnes s’entendent, il faut au moins qu’une des deux fasse des compromis. Alors pour des communautés entières avec leurs propres histoires, codes culturels et habitudes, c’est encore plus délicat.
Avec votre accent, vous venez d’où, monsieur? De Québec, bien sur. C’est ainsi que j’ai répondu tout de go à la question de Martin, un spécialiste de la rénovation venu chez moi cette semaine pour changer mes fenêtres. Si, si je rénove en plein mois de novembre à Québec. Mieux vaut tard en 2009 qu’en 2010 : Crédit d’impôts oblige. Parenthèse fermée. J’ai répondu ainsi à Martin non pas parce que sa question m’avait irrité. Non, aucunement même si ce n’est pas la première fois qu’on me la pose. Je l’ai fait juste pour entretenir… d’une certaine manière la conversation. Non, je plaisante, je viens d’Algérie. Ah, j’ai connu un Algérien à Montréal, il devait avoir une vingtaine d’enfants. Une vingtaine? Des Algériens à Montréal qui ont autant d’enfants. Déjà que je n’en ai jamais vu en Algérie! Pas possible! J’ai compris qu’il s’agissait de simples préjugés et les préjugés, on peut tous en avoir. Le fait est que des gens qui ont beaucoup d’enfants – mais pas vingt, quand même-, il y en a en Algérie et ailleurs. Il y en a même eu au Québec. L’ancien propriétaire de ma maison a eu onze enfants…et avec la même femme, svp. Martin s’est dit surpris en apprenant que cette personne est un Québécois pure laine. Et moi, faussement surpris …qu’il soit surpris!
Je viens d’ailleurs, oui et ça se voit. Ça s’entend même! Mon nom me trahit. Mon accent me trahit. Et mon physique me trahit, aussi. Je ne pourrais pas affirmer le contraire même si j’en avais l’envie. J’ai quitté mon village natal à l’âge de 16 ans mais mon accent kabyle n’a pas…une seule ride. Ça ne me dérange nullement d’être… d’ailleurs. C’est même une richesse d’être ici et d’ailleurs. Et ce sont mes amis québécois pure laine, Nicole et Gilles, qui me le disent souvent. Oui nous venons d’ailleurs avec notre propre histoire et je crois que cela ne nous empêchera pas de nous réaliser pleinement ici dans notre société d’accueil. Du moins si l’on s’acquitte de la partie d’efforts, qui nous incombe à nous en tant que nouveaux arrivants, pour nous faire une place. On peut en être d’autant convaincu quand on apprend que plusieurs citoyens, dont le Québec peut être fier aujourd’hui, viennent d’ailleurs. On l’est davantage quand on voit que des personnes arrivées tard dans leur vie au Québec et s’y sont quand même fait une place. C’est aussi avec cela que le Québec se distingue.
Je ne connaissais pas Richard Bergeron, le troisième des candidats à la mairie de Montréal lors des municipales du 3 novembre et je n’ai découvert sa plate-forme que les derniers jours d’avant le scrutin. Je ne vis pas à Montréal mais j’ai suivi la campagne électorale montréalaise en raison notamment des événements qui l’ont émaillée et aussi parce que celle de Québec était plutôt terne. J’ai compris que Projet Montréal, le parti de M. Bergeron, c’est un peu Québec Solidaire à un niveau local. Comme avec la formation de Françoise David et d’Amir Kadir, on peut ne pas être d’accord avec le programme. On peut aussi penser que leur projet est utopique mais je crois que beaucoup trouveront plutôt sympathiques ces gens. De toute façon, je n’évoque pas ici Richard Bergeron pour ça. Je parle de lui parce qu’il a déclaré, dans son discours après l’annonce des résultats, qu’il est musulman. Il le serait devenu non pas suite aux attentats du 11 septembre comme le prétendent certains commentateurs mais, parait-il pour faire plaisir à la famille de sa belle aimée, Amina, qui partage sa vie depuis 18 ans. Le couple ne serait d’ailleurs pas pratiquant. Sur le coup de cette déclaration, je fus d’abord étonné puis je me suis demandé ce que venait faire ses croyances ou sa conversion religieuse dans un discours commentant ses percées électorales, qui plus est, dans une ville laïque et dont les habitants « musulmans » ne sont qu’une minorité. J’ai préféré, plus tard, ne retenir que la symbolique de l’ouverture d’esprit : Pas nécessairement de M. Bergeron – je ne le connais pas -, mais surtout de tous ceux et celles parmi ses nombreux électeurs qui connaissaient ce coté personnel du chef de file de Projet Montréal et ont quand même voté pour lui.
Quelques minutes plus tard, une autre « annonce » est venue égayer davantage ma soirée électorale et a fait augmenter ma fascination pour la région de Montréal où pourtant je n’ai jamais vécu. J’ai appris que Caroline St-Hilaire nouvelle mairesse de Longueuil (rive sud), 5e plus grande ville du Québec, vit avec Maka Kotto député péquiste noir, originaire du Cameroun. Cela, les nombreux citoyens qui ont élue Mme St-Hilaire le savaient déjà. Après plusieurs années passées en France, M. Maka Kotto est arrivé au Québec à l’âge de 28 ans. Avant de se présenter au provincial, M. Kotto a déjà été député fédéral de l’autre parti souverainiste, le Bloc québécois. « L’amour de ma vie, mon conseiller et critique…». C’est par ces mots tendres et affectueux que Caroline, elle la Blanche d’ici, désignait Maka, le Noir d’ailleurs, dans son allocution le soir de sa victoire surprise. Je ne sais pas pour vous mais c’est ce genre d’images qui me fait aimer encore plus le Québec et surtout contrebalance les préjugés de simples gens comme Martin et surtout ceux de quelques pyromanes nuisibles. Je sais que ces images n’effacent pas les difficultés bien réelles et au quotidien qu’on peut affronter dans notre vie d’immigrants, pas plus qu’elles ne sont représentatives de la réussite de la politique d’intégration de l’immigration mais elles sont la preuve que l’idée du vivre ensemble au Québec n’est pas qu’une simple vue de l’esprit. Les destins d’hommes et de femmes – d’ici et d’ailleurs – se croisent pour construire ensemble l’avenir du Québec. Qu’importe d’où l’on vient, l’essentiel étant de se souder autour de valeurs communes pour bâtir ensemble, ceux d’ici et ceux d’ailleurs, le Québec de demain.
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