Dawson City.
Vous savez c’est quoi la première chose que j’ai faite en rentrant à la cabane hier soir après ôter mes bottes et mon chapeau? Je me suis empressé de griffonner quelques notes que je devais absolument vous conter avant de me réveiller de mes quelques jours de pérégrinations enchanteresses au cœur du Klondike.
Ma visite à Dawson City fut, à quelques petits détails subtils près, un peu différente de mon séjour citadin à Toronto de la semaine précédente, lequel me donne moins d’inspiration, il faut l’avouer. Bon je vous raconte tout, mais gardez cela pour vous. C’est la seconde fois que j’y vais et depuis que je la redécouvre autrement qu’en « touriste », je reste fasciné par cette petite communauté de pionniers modernes qui conservent étrangement la tête de leurs aïeux. Peut-être parce que, malgré leurs barbes grisonnantes, ils vieillissent à l’envers dans un univers clos, mais vivant.
Depuis la fin de l’été, les gens qui restent là haut vivent au ralenti, au rythme qui leur chante ou celui de la Yukon Time, et on les entend presque penser tout haut : « Yeah. In Dawson, I can do what the f…. I want. Nobody cares. I’m doin’ good. Ya ain’t want to be nowhere else on earth. Ever. »
J’ai viens de quitter Dawson, petite ville teintée d’anachronisme, plus magique encore que le site montagneux dans lequel elle se repose depuis le grand gold rush de 1898 et la saison touristique qui s’achève. Seuls les vrais « sourdough » vont affronter l’hiver, en silence. Les autres sont partis se reposer au soleil du Mexique.
Il est très tard. Le bois crépite. Ma blonde s’est assoupie comme une loutre paisible qui attend des petits, un livre à l’envers au creux de la main et le sourire au coin des lèvres. Sa bedaine, disproportionnée, sent la crème à la vanille. J’aimerais croquer dedans, mais avec ma barbe de 10 jours, ça réveillerait la propriétaire.
Je suis parti mercredi dans un camion GMC flambant neuf avec mon compagnon de travail, expert de Dawson, qui a quitté son hexagone natal il y a trente ans et qui, pour échapper au service militaire et signaler à la France ce qu’il pensait de son « devoir patriotique », a déserté en Alaska à sa première permission. Ça crée des liens. Depuis, il n’a plus quitté le Yukon, il fume la pipe qui sent bon la vanille, anime la radio communautaire et chante Brassens en anglais.
Pendant les 9 heures de route nécessaires pour nous rendre dans la capitale du Klondike, nous avons croisé en tout et pour tout 3 autres véhicules avec qui nous avons échangé un petit signe de la main ainsi que deux wapitis que nous avons salués aussi mais qui n’ont pas répondu. La température douce de l’été des Indiens qui resplendissait a créé une atmosphère idéale pour se raconter des niaiseries. Ensuite, le rêve a commencé. Il m’a convaincu d’entreprendre la descente de la rivière entre Whitehorse et Dawson l’année prochaine : 700 km de plénitude totale en canoë et à dormir dans des cabanes de trappeurs…. Beaucoup tentent l’aventure en été, je le ferai donc en automne!!
Déjà à Whitehorse je me dis que je n’habite pas mon époque. À Dawson c’est carrément un retour en arrière. Une ville du Far West avec Internet. Au détour des rues en terre poussiéreuses et des trottoirs en bois, pas l’ombre d’un fast-food ni d’un mall pour ternir le paysage : juste des façades somptueuses, colorées ou délabrées, un « general store » où tout le monde se rencontre, une boutique de vêtements, plusieurs barbiers, des saloons bien sûr et des hôtels gagnés au poker, puis la cabane de Jack London, vide, ou plutôt habitée par son esprit.
Passer du temps à Dawson, c’est comme vivre à mi-temps en 1898 et à mi-temps dans son imaginaire, perdu dans ses fantasmes de trappeur ou de chercheur d’or, et dans la nouvelle version avec photos en noir et blanc de « Good Time Girls of the Klondike ». Le troisième mi-temps, nous l’avons consacrée à notre boulot. Ben oui, quand même ! C’est pour ça qu’on était venus : installer un bureau afin de développer de nouveaux services en français, s’implanter pour que les francophones échappent à l’assimilation, nullement guidés par des propos politiques dont ils n’ont que faire, mais désireux de conserver leur bilinguisme culturel. Beaucoup de francophones de Dawson ont oubliés qu’ils parlaient français, sauf parfois le soir, quand ils racontent des histoires à leurs enfants et qu’il est plus joli d’exprimer une même idée avec davantage de mots. À la fin du 19ème siècle, la majorité des Canadiens qui peuplaient la ville étaient francophones, le reste de la population, anglophone, était majoritairement américaine et sous l’emprise de la fièvre de l’or.
À Dawson, on sort littéralement des sentiers battus, ou en tout cas des routes en asphalte, surtout le matin, vers 2 heures, quand on cherche un endroit où se sustenter. Mais finalement, à Dawson, tous les chemins mènent au rhum.
Moi qui suis un brin vicelard et limite alcoolo mais mon collègue plus que moi quand même, nous avons observé les coutumes locales au saloon et testé quelques whiskeys que la tavernière nous proposait sans répit, en attendant la venue des danseuses de French cancan qui n’arrivaient pas. Nos compagnons de Glennfidish assuraient l’ambiance au rythme des vers du célèbre poète Robert Service, animés par le son d’un vieux piano avec lequel un habitué improvisait des partitions. Quelques scotchs plus tard, nous réalisions que les danseuses de French Cancan ne viendraient plus. Elles étaient parties en même temps que les touristes d’aventures allemands à la fin de l’été.
Mais à Dawson, tout le monde ne vit pas dans les saloons. Non, les personnes moins urbaines vivent complètement dans le bois, au fond du bush. Nous en avons rencontré un qui vit même dans une caverne, creusée dans la falaise. C’est définitivement une bonne place pour faire son trou et vivre de son art en harmonie avec la nature. De temps en temps, il monte en ville pour exposer ses tableaux. À Dawson, il existe une espèce de liberté qu’on ne retrouve nulle part. Les commerçants ouvrent officiellement leurs boutiques à 10h, mais seulement parfois. La plupart du temps, ils se lèvent pas avant midi. Pas par habitude, mais plutôt par philosophie. Ensuite, vient le temps du breakfast, puis de la sieste. Les clients sont partis, et après avoir travaillé comme des castors pendant la belle saison, au rythme des festivals, ils ont les poches bien pleines, et c’est le temps d’hiverner jusqu’à l’été prochain….
Nous avons dormi dans un petit hôtel victorien, dans le plus pur style cow-boy (sans les masseuses, emportées elles aussi avec les feuilles d’automne). Très classe. Rien que pour nous : un petit salon garni de beaux canapés rouges, un assortiment de meubles d’époque et deux bouteilles de porto et de sherry posé sur un joli napperon de dentelle. Au milieu de ma chambre, devant le lit : une baignoire avec de belles robinetteries dorées, des pantoufles et une robe de chambre soyeuse. Super cosy. Et une belle clé en or pour ouvrir la porte de sa suite, c’est quand même plus sympa qu’une carte magnétique, non?
Grâce à mon travail, j’ai eu le plaisir de découvrir l’authentique Dawson, celui que les touristes estivaux ne font qu’entrevoir. La prochaine fois que j’y retourne, ce sera en hiver ! En traîneau….
Leave a comment