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Éducation sentimentale: Québec versus France

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“Je vous demande pardon ?”

Si la maîtresse de notre fils aîné n’a pas compris le message que je tentais de lui transmettre grâce à ma mâchoire qui raclait le lino de la classe, je ne sais pas ce qu’il lui fallait. De la stupéfaction à l’état pur. Du grand art. Une de mes grandes spécialités. En fait, c’est une figure que je maîtrise à merveille avec le double lutz piqué suivi du double axel de ma fourchette enveloppée soigneusement de salade, ladite laitue qui décide de se déplier (traîtresse) et de m’exploser à la figure, durant les repas d’affaires, entraînant ainsi son bourreau fourchu dans son ballet aérien….

Je vous replante le décor. Nous sommes en France, quelque part dans le sud-ouest. Nous sommes en hiver. En gros, fait humide et je dégouline de partout. C’est fou ce qu’on se sent en position pour polémiquer, dans ce cas. Or, la maîtresse de maternelle de notre petit bonhomme âgé de 3 ans à l’époque , vient de me retenir après la classe. Bigre, ça à l’air sérieux. Qu’a-t-il fait ? Lui ? Rien. C’est moi le problème. Moi, la mauvaise mère qui s’obstine à refiler à son rejeton un fruit ( vous vous rendez compte : un fruit !) pour le goûter du matin.

“Je vous disais, Madame, que vous êtes la seule à le faire. Les autres parents donnent des gâteaux ou des bonbons. Il vous faudrait donc songer à passer à autre chose…”

Et comme si ça ne suffisait pas, la maîtresse m’apprend que l’année d’avant, les bambins avaient un roulement de goûter : un jour, fruit (soupir de soulagement), un jour fromage (un peu perplexe), un jour charcuterie (aaarrrgghhh !).

“Donc, si je comprends bien, je dois satisfaire à la mode ambiante, au détriment de la santé de mon garçon ? Vous n’envisagez pas une sensibilisation, au moins de vos élèves,sinon des parents de ceux-ci sur l’importance de bien se nourrir ?”

“Non, on n’est pas là pour ça…”

Au moins, c’était clair. J’ai bien essayé de faire part de ma perplexité devant de telles habitudes aux autres parents d’élèves, puisque je faisais partie de leurs représentants, mais on me fit comprendre très, très rapidement que je ferais mieux de m’aligner. Inutile de vous préciser que j’ai persisté (et signé), avec une rare jubilation, à donner des fruits pour la collation de mon affreux… Après tout, nous étions dans le pays des droits de l’homme.

Je ne m’appesantirai pas sur ce qui n’est, après tout, qu’un détail diététique. Seulement, nous eûmes une belle surprise en inscrivant notre fils aîné à la maternelle ici, dans l’Amérique du Nord, royaume de la mal-bouffe. Les parents ont l’obligation, selon le règlement que nous dûmes signer, de mettre dans le sac de leur progéniture QUE des fruits ou des légumes… Étonnant, non ?

De même, nous avons eu ce qui ressemblait à un furieux fou-rire, lors de la journée de présentation de l’équipe pédagogique à Montréal. Imaginez… Notre fiston, en France, tutoyait à tour de bras les adultes qu’il rencontrait dans son école, les appelant par leur prénom, corps enseignant en tête, et selon leurs directives. De quoi anéantir dans le cerveau de nos petits toute velléité d’apprentissage de la deuxième personne du pluriel et de rayer de la carte scolaire l’usage du “Monsieur” et du “Madame”… Je sais, j’exagère. Quoi que…

A Montréal, du moins dans l’école publique que fréquente notre Crapulet, les enfants ont l’obligation de vouvoyer tout ce qui ressemble de près ou de loin à des individus à deux pattes post-pubères et d’utiliser le titre adéquat. Oui, oui : ici, au Québec… Le gag.

Loin de moi l’idée de vous soutenir que toutes les écoles françaises sont ainsi. Mais, jusqu’ici, nous préférons largement l’approche québécoise et nous ne regrettons absolument pas d’avoir opté pour l’établissement public de notre quartier. J’ai fréquenté le système éducatif québécois jusqu’à la fin de mon secondaire 3, pour mon plus grand plaisir et mon plein épanouissement. Pour les sceptiques, je tiens à signaler que malgré le décalage dans les programmes scolaires évidents entre la France et le Canada, mes études dans l’hexagone se sont déroulées sans redoublement, sans échec aux examens, y compris à l’Université de Droit. En gros, j’ai eu une scolarité honorable (pas vrai, Pôpa et Môman ?). Pour une victime de l’enseignement québécois, réputé défaillant par certains immigrants, c’est pas pire, non ?

Évidemment, certains d’entre vous trouverons du dernier ridicule d’entendre la maîtresse d’ici minauder toutes les 5 minutes : “Alors, les petits amis.” “Allons-y, les petits amis.”“ Faites attention, les petits amis.” C’est vrai, ça ne fait pas Victor Hugo. Mais quelque part, je ne suis pas contre. J’ai même une théorie fumeuse à ce sujet, élaborée ce matin en épluchant frénétiquement quelques légumes. J’ai remarqué que nos petits monstres, à défaut d’être sages comme des images, témoignaient d’un certain respect et d’un respect certain entre eux ici, alors qu’en France, nous eûmes à déplorer de véritables passages à tabac, orchestrés par des gamins de trois ans… Oui, vous avez bien lu : trois ans. Dans notre école de quartier, qui n’est pourtant pas hautement select, nous n’avons pas vu de pareilles preuves de violence, alors même que les élèves, durant les récréations, sont tous, de la maternelle à la sixième, lâchés dans la même cour.

Pourquoi cette différence ? Dans l’hexagone, l’institutrice apostrophait son troupeau à coup de… ben, à coup de rien justement… Elle n’utilisait que les prénoms. C’est individualisant. On ne fait pas partie d’un groupe. Tandis que l’utilisation du “petits amis”, établit un lien social entre les enfants, crée un esprit de communauté. De plus, les plus âgés se voient très vite confiés des responsabilités à l’égard de leurs cadets. On apprend aux plus petits d’aller voir un “grand”, pour les aider à régler un problème. C’est ce qui contribue, à mon avis, à former une sorte de cohésion sociale, à l’échelle de nos enfants. Quand je vous disais que ma théorie était fumeuse… Mais, j’en connais un qui en a élaboré de pires. Un certain Sigmund F….

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