La sortie cette semaine de l’ouvrage, Le remède imaginaire, du philosophe Benoît Dubreuil et du démographe Guillaume Marois cherchant à démonter l’argument de l’immigration au Québec comme remède aux enjeux économique et démographique a attiré mon attention.
On sait que la question de l’immigration, pour un tas de raisons, est un sujet hautement émotif aussi bien au Québec que, mais pour des motifs légèrement différents, dans le reste du Canada. Et c’est justement parce qu’il s’agit d’un débat où les passions s’enflamment rapidement qu’il est important de poser les termes des questionnements de manière la plus appropriée possible. Peu de chances d’avancer lorsque seul l’émotif parle, surtout lorsqu’il s’agit d’un enjeu collectif. C’est-à-dire lorsqu’il n’engage pas seulement nos petites personnes aujourd’hui mais aussi et surtout ceux qui vont nous suivre.
Par souci de transparence envers qui me lit, il y a trois choses importantes à savoir maintenant car elles influenceront l’orientation de mon texte. Premièrement, je n’ai pas encore lu le livre de Dubreuil et Marois : cela peut être un gros inconvénient comme, peut-être, un petit avantage. Deuxièmement, j’ai déjà indiqué dans d’autres chroniques ma position favorable – et que je maintiens – pour un gel des seuils d’immigration au Québec (au lieu des décisions politiques actuelles qui sont de les augmenter constamment). Enfin, tout comme Dubreuil et Marois, j’évolue dans le milieu universitaire québécois (enseignement et recherche). Par conséquent, je partage sûrement avec Dubreuil et Marois, à priori, un certain rapport au savoir et une certaine façon d’aborder les débats. Ni meilleure ni moins bonne que d’autres façons.
Les auteurs prennent bien soin de préciser qu’ils n’interrogent pas les finalités de l’immigration au Québec (même si la tentation est forte et la dérive jamais loin) mais la cohérence entre moyens pris et finalités. Ainsi, ils ne questionnent pas toute l’immigration mais seulement celle dite sélectionnée (pour des raisons démographique et économique) et non les réfugiés qui sont accueillis pour des raisons d’abord morales. Quoi qu’il en soit, s’interroger sur la pertinence de l’immigration au Québec c’est malheureusement souvent s’exposer aux attaques : celui ou celle qui pose l’interrogation est alors souvent vu comme raciste, xénophobe et fermé à la diversité culturelle. On ne peut que déplorer cette attitude.
D’ailleurs, les deux auteurs ne semblent pas nécessairement fermés à geler les seuils d’immigration mais plutôt à revoir les critères de sélection en les rendant encore plus sélectifs. Ils raisonnent ainsi en termes qualitatifs et non quantitatif. Attention : qualitatif ne veut pas dire qu’il y a de « bon » immigrants et de « moins bons » immigrants. Cela veut dire qu’en fonction de la capacité d’absorption du marché du travail québécois, il semble plus juste de revoir les critères de sélection. Car continuer à ouvrir les robinets comme c’est le cas actuellement, c’est créer des réserves croissantes de travailleurs immigrants précaires. Personne n’est gagnant ici.
De ce que j’en sais, je ne suis pas nécessairement d’accord avec tout l’argumentaire des deux auteurs. Ni non plus en désaccord. Parce qu’il me manque des informations – dont celles contenues dans leur livre – et je ne veux donc pas laisser seulement mon émotif commander mon opinion. Par contre, je trouve très rafraîchissant qu’ils tentent d’appuyer leur position en utilisant des recherches, des études et en essayant d’être le plus rigoureux possible. Qu’on soit d’accord ou pas avec leur position, on ne peut que se féliciter de les voir la défendre en s’appuyant sur des données scientifiques, en laissant le moins possible l’émotif prendre le dessus. Cela fait changement des opinions simplistes et des prises de position reposant sur peu de tangible.
On peut donc souhaiter que cela contribue à élever le débat de l’immigration au Québec. Élever le débat ne veut pas dire qu’il doit être seulement réservé aux élites (universitaires, politiques, culturelles, etc.). Élever dans le sens de faire preuve de plus de rigueur dans notre analyse et de chercher le plus possible à s’appuyer sur des éléments probants pour tenir compte ces nuances, toujours présentes lorsque s’agissant d’un enjeu complexe et collectif. Jean-François Lisée, sur son blogue, nous offre une compilation intéressante de certaines réactions articulées suite à la sortie de l’ouvrage avec les répliques, tout aussi bien argumentées, des deux auteurs. Cela vaut vraiment une petite visite.
Et si vous trouvez que cet échange d’arguments n’est que du verbiage, des chiffres et du vent, vous avez peut-être raison. Mais peut-être aussi qu’en pensant cela, vous déciderez aussi de laisser à d’autres le soin de mener le débat à votre place. Et ainsi de décider à votre place qui a raison.
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