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Éloge de l’instabilité Avril ne…

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Éloge de l’instabilité

Avril ne te découvre pas d’un fil, mai, fais ce qu’il te plaît.
J’aime beaucoup les adages, surtout lorsqu’ils ne veulent rien dire. C’est drôle dans une conversation et pratique pour commencer une chronique.

Alors nous y voilà, mai, le mois où l’on n’en fait qu’à sa tête, le mois où tout renaît. Les oiseaux chantent, les feuilles repoussent, les fleurs rivalisent d’exubérance et moi je me sens pousser des ailes. Chaque période est rythmée par des bruits familiers. L’hiver, par les pelles à neige qui raclent le trottoir, les mi-saisons par les battements de pluie sur les toits et l’été par les claquements nonchalants des sandales sur les pavés. Deuxième printemps et je suis toujours autant sous le charme. Au début je me sens frustrée par l’hiver qui s’en va, l’esprit gagné par la morosité ambiante, tout est gris, sale, on ne saurait dire s’il s’agit de mars ou de novembre.
Puis BADABOUM. Un matin on se lève et tout est là. Les bourgeons, le soleil, le chant des oiseaux, le voisin qui refait son jardin, les vélos, les vernis sur les ongles de pied, les odeurs de barbecue, comme si une grande fête s’était préparée en secret et qu’en tirant les rideaux ce matin là, vous ne seriez pas étonnés d’entendre la rue vous crier « surpriiiiise ».
Deuxième printemps donc et le temps du grand nettoyage revient. Sauf que dans mon cas le nettoyage est plutôt intérieur, sorte de petit bilan annuel sur le thème de je, moi et moi-même. Et là me direz-vous, comment va-t-on en arriver à l’inconstance ? Où est le lien avec l’immigration ? Pourquoi diantre nous parle-t-elle de tout ça ?
Réponse dans quelques lignes.

Il y a plusieurs jours déjà, quelqu’un en visite depuis la France m’a posé cette question : « alors vous êtes là pour combien de temps ? ». Mes lèvres se sont entre-ouvertes mais aucun son n’est sorti, si ce n’est un long « euuuh » à peine audible. Bon sang, qu’est ce que je vais bien pouvoir répondre à ça ?
Comme il fallait bien trouver quelque chose à dire, j’ai balancé un vague : « on vient d’arriver, alors forcément on ne va pas penser à repartir de suite ». Mais depuis je n’ai pas arrêté d’y penser.
Maintenant je ne suis persuadée que d’une chose : c’était bien un aller-simple que j’ai acheté en venant ici. Il y avait moi avant et moi maintenant et à moins de remonter le temps il n’y a pas de retour possible.
Pourtant l’immigration ne m’a pas changée réellement. Il n’y a pas de miracle. Je suis toujours bougon le matin, je n’ai pas grandit d’un seul millimètre et j’ai toujours la même horreur des insectes, mais certaines aptitudes se sont amplifiées et chez moi c’est une sorte d’instabilité latente (et fort heureusement contrôlée) qui aurait trouvé un écho.
Voilà, j’ai déjà tout envoyé balancer une fois pour m’installer dans une ville que je ne connaissais pas, dans une langue que je maitrisais pas en totalité, et que j’ai pour cela laissé famille et amis derrière ; et c’était facile ! Bien plus facile que je ne l’aurais jamais imaginé.
Du coup qu’est ce qui va m’empêcher de continuer ? Combien de temps je donne à Toronto, au Canada ? Où je pars, qu’est ce que je veux ?
Quand je dis ça je pense à quelqu’un que je connais, 30 ans au Canada dont 20 à Toronto et voilà qu’elle vient de vendre sa maison et qu’elle part faire le tour du monde ! Après elle pense à l’Italie, peut-être… mais rien n’est sûr. Parles-tu Italien ? Non qu’elle me répond, mais en arrivant ici je ne parlais pas un mot d’anglais alors… Ah oui, bon, c’est vrai que l’italien reste assez proche du français.
Immigre-t-on par choix ou par défaut ? Comment peut-on être sûr d’avoir fait le bon choix surtout si l’on a procédé par élimination ? Qu’est ce qui nous retient une fois arrivé ?
Cette phrase me fait penser à un passage particulier de la carte que notre agent immobilier nous a envoyés « s’enraciner » (en anglais ça sonne mieux). Il aurait pu mettre un point d’interrogation tout de même ! Dans ma tête ce n’est pas clair car pour cela il faudrait toucher du doigt un sujet beaucoup plus compliqué et j’ai peur que ma main entière passe dans l’hélice. Où sont nos racines ?
Globalement je suis mieux ici qu’à Paris, c’est indéniable. Seulement qui me dit qu’il n’y a pas un autre endroit qui serait encore mieux pour moi. Jusqu’où peut-on rebondir ?
Ma collègue péruvienne me disait l’autre jour qu’au Costa Rica il était possible d’acheter sa propre plage. D’ailleurs si son copain lui propose de partir là-bas elle ne dirait pas non. Ce n’est pas la première qui me le dit, pas pour le Costa Rica mais pour le ‘après-Toronto ‘. Elle aussi m’a posé la fameuse question qui ne semble perturber personne d’autre que moi « tu sais combien de temps tu vas rester ici? Tu pars où après? ».

La grande différence, c’est qu’ici je ne subis plus le présent. Mon quotidien n’est plus une routine lancinante et pesante mais quelque chose d’agréable fait de découvertes et je n’ai plus besoin de me tourner vers le futur à m’en tordre le cou. Voilà, je suis une immigrante heureuse qui ne regrette pas d’avoir choisi Toronto.
Je ne réponds pas au après même si j’y pense. Quand on s’est frotté aux risques qu’un nouveau départ implique et qu’on a en a aimé le gout, peut-on réellement se dire qu’on ne va pas retenter l’aventure un jour ?

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