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Entre l’arbre et l’écorce

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« À la suite de mes textes sur le problème colonial, je reçus plusieurs lettres où l’on m’informait que les schémas mis en lumière valaient pour des relations similaires. Mes lecteurs québécois, par exemple, affirmaient qu’ils vivaient avec les canadiens anglais selon des modalités coloniales. Ils m’invitèrent à vérifier sur place cette allégation. Je dus, à la fois, leur donner raison et tempérer leurs ardeurs identificatrices (…) D’autre part, la richesse relative du Québec en faisait une colonie économiquement enviable ; ce qui était insolite. »

Le Racisme d’Albert Memmi (pp. 95-96).

Mr Memmi est sociologue, spécialiste du phénomène de colonisation. Le passage ci-dessus est très intéressant car il y évoque sa difficulté initiale à voir les québécois comme un peuple colonisé.

Qu’il se rassure, il n’est pas le seul : dans différentes discussions et observations que j’ai auprès d’immigrants, ces derniers ont surtout – pour ne pas dire uniquement – l’image des québécois comme un peuple colonisateur auprès des autochtones. Évidemment, c’est vrai. Mais beaucoup plus rares sont ceux qui se rappellent que les québécois sont aussi un peuple colonisé. Et ça, c’est vrai aussi.

Parler de ça, c’est nécessairement parler des autochtones. Et ici, c’est souvent le petit jeu de qui-est-arrivé-le-premier basé sur la logique de l’ancienneté : premier arrivé, premier ayant droits. Dans ce cas – histoire d’être cohérent – si les québécois ont effectivement encore des croûtes à manger auprès des autochtones, l’immigrant est par contre très malvenu d’exiger des accommodements raisonnables. En effet, pourquoi demander aux québécois de respecter l’autochtone-premier-arrivé si, de l’autre côté, le même immigrant brandit la Sainte Charte Canadienne pour exiger d’avoir les mêmes droits culturels à peine débarqué à Dorval ?

Quand on parle du dossier des autochtones, il y a une autre inévitabilité : il faut respecter leurs cultures ancestrales et leurs traditions millénaires, on souligne leur importance pour le patrimoine mondial. Tout à fait d’accord avec cela et il y a un formidable consensus à ce sujet. Mais quand les québécois expriment le même désir de préservation de leur propre culture, là par contre, je n’entends pas vraiment la même chose des immigrants de tantôt. Ils y voient plutôt l’expression d’un repli sur soi, d’un malaise identitaire, d’une peur de l’autre, d’un anachronisme aberrant à « l’heure-de-la-mondialisation-de-la-diversité-des-cultures-et-de-l’anglais ».

À les entendre, on croirait que le Québec, à lui tout seul, freine la formidable marche de l’Humanité vers la merveilleuse égalité universelle entre les cultures. C’est incroyable comment, d’un côté, une si petite société peut être tenue responsable de maux quasi-bibliques et que, de l’autre côté, on soutient qu’une si petite société justement ne peut aller à l’encontre de ce qui est présenté comme « inéluctable ». Faudrait savoir.

Fondamentalement, il n’y a pourtant pas de différence entre le nationalisme québécois et le nationalisme autochtone : tous deux visent à s’assurer d’une petite place au soleil. Certes, le nationalisme autochtone n’a pas la prétention de s’affranchir de la tutelle canadienne. Non pas parce qu’il se sent bien sous la haute bienveillance canadienne, mais parce qu’il est lucide : les autochtones savent trop bien qu’ils n’ont pas encore la capacité politico-économique de se prendre en charge. Bien sûr, le Canada tout comme le Québec ont leur part de responsabilités dans cette incapacité. Mais on ne me fera pas croire que les autochtones continueraient à vibrer au Ô Canada, la main sur le cœur et la larme à l’oeil, s’ils avaient les moyens de leur nationalisme.

Certes aussi, leur poids démographique est infiniment moindre que celui des québécois. Et là aussi, le Canada tout comme le Québec ont leur part de responsabilité. Mais dites-moi : il faudra combien de milliards, de siècles et d’excuses officielles pour que réparation soit enfin faite ? Parce que ça risque d’être un puit sans fond si on continue à faire croire qu’on peut concilier développement économique au sein d’un monde moderne et maintien d’un mode de vie ancestral.

Mais quand bien même que les autochtones puissent devenir économiquement développés et politiquement autonomes un jour, il leur arrivera probablement ce qui est arrivé aux québécois : on leur retirera alors le statut de peuple colonisé.

Parce qu’il semblerait qu’un « vrai » peuple colonisé est un peuple économiquement sous-développé. Ce qui n’est plus le cas du Québec : c’est aujourd’hui une société développée et démocratique. Or, c’est justement cette prise en charge collective et globalement réussie en tant que société qui lui est aujourd’hui reproché : vous êtes une société développée aujourd’hui, pourquoi en vouloir plus ? Pourquoi entretenir ce sentiment nationaliste stérile ? Pourquoi vouloir remettre en question ce beau pays qu’est le Canada ? À l’inverse, si le Québec était resté sous-développé, il y en aurait encore certainement pour dire qu’heureusement que le Canada est là pour lui venir en aide. Bref : riche ou pauvre, le Québec n’a aucune raison de se plaindre.

Or, il n’en reste pas moins que le Québec est un peuple colonisé, au sens qu’il a été conquis par la force par une puissance étrangère. Dans ce cas, pourquoi n’est-il pas perçu comme un peuple colonisé ? Parce que selon une certaine définition, il n’a rien d’un peuple colonisé. Imaginons qu’il existe, au siège des Nations Unies à New York, un Bureau International des Peuples Colonisés. Sur le formulaire de demande de reconnaissance officielle de statut de peuple colonisé, le Québec ne peut cocher aucune case. Illustration :

Êtes-vous, actuellement, un peuple économiquement exploité ? Non.
Êtes-vous, actuellement, un peuple dont les droits et libertés individuelles sont brimés ? Non.
Êtes-vous, actuellement, un peuple souffrant de maux généralisés tels que : sous-scolarisation, fléaux sociaux chroniques (violences familiales, suicides, alcoolisme) ? Non.
Êtes-vous, actuellement, un peuple subissant un processus systématique d’assimilation culturelle (ex : perte de dialectes spécifiques à votre société) ? Non.
Êtes-vous, actuellement, un peuple satisfaisant à certains critères physiologiques d’un peuple colonisé (ex : peau mate, cheveux crépus, premier arrivant, culture millénaire) ? Non.
Etes-vous, actuellement, un peuple ayant une religion, une culture et des traditions distinctives des cultures occidentales ? Non.

C’est même le contraire : le Québec a pratiquement tout d’un peuple colonisateur. C’est un groupe culturel majoritairement à la peau blanche, de tradition catholique, culturellement occidental et ayant développé une économie de marché. L’archétype du Blanc conquérant du 18ème siècle, tout le contraire d’un « vrai » peuple colonisé.

En résumé, le malheur des québécois est de ne pas faire assez pitié.

J’ai l’air de m’en prendre aux autochtones mais ce n’est pas du tout le cas : il est juste impossible de ne pas parler des Premières Nations quand on parle de la colonisation du Canada.

En outre, ça devient vraiment complexe quand on sait que le Québec est, à la fois, un peuple colonisateur ET un peuple colonisé. Les hasards de l’Histoire ont fait en sorte qu’il se retrouve donc coincé entre deux images stéréotypées : d’un côté, le perdant colonisé (les autochtones) et de l’autre côté, le gagnant colonisateur (les canadiens-anglais). Autrement dit, le Québec ne peut revendiquer ni les avantages du colonisé (faire pitié) ni les privilèges du colonisateur (imposer la direction à suivre). Par contre, on ne se gêne pas pour lui rappeler ses innombrables obligations. C’est systématique : quand les québécois de souche avancent leur statut majoritaire au Québec pour une prédominance culturelle, on leur rappelle leurs devoirs envers leurs propres minorités. Et quand ils avancent leur statut minoritaire au sein du Canada pour une prise en compte de leur distinction culturelle, on leur rappelle les limites de leurs responsabilités en tant que province parmi tant d’autres. Bref : majoritaire ou minoritaire, le Québec n’a pas le droit de se plaindre, ici non plus.

On va me répliquer : la Conquête, c’était il y a plus de deux cents ans, il faut passer à autre chose, il faut tourner la page. Dans ce cas, pourquoi est-ce qu’on ne sert pas le même discours aux autochtones ? Sur le marché de la protection culturelle, il semble que certains soient encouragés à préserver la richesse de leur passé alors que d’autres sont encouragés à regarder vers l’avenir. Autrement dit : si le Québec cherche à valoriser son passé, il fait dans le nationalisme ethnique et s’il cherche à défendre son propre avenir, il fait dans le nationalisme arriéré.

Or, posez-vous la question : comment se fait-il qu’en 2008, qu’une société disposant d’un niveau de vie très appréciable et d’un système démocratique établi au sein d’un pays tel que le Canada soit encore teinté d’un fort sentiment nationaliste ? Que cette société québécoise a parfaitement raison de garder sous la main la menace de la séparation comme arme de dissuasion massive auprès du reste du Canada ? Cette dernière phrase n’est pas de moi mais du très fédéraliste André Pratte, éditorialiste au journal La Presse.

Je pense qu’en tant qu’immigrant, il est important de tenter de réfléchir à cette question à un moment donné dans son processus d’intégration. Particulièrement en cette période estivale où nous venons de fêter la Fête Nationale du Québec et le Canada Day. Histoire de dépasser les clivages simplistes, les visions binaires et saisir certaines subtilités et nuances : vos futurs amis, voisins et collègues de travail québécois – qu’ils soient fédéralistes ou souverainistes – vous en remercieront. Le Canada a beaucoup de noblesse. Il en gagnera encore davantage en reconnaissant concrètement la nation québécoise : ce faisant, il lancera aussi un message clair aux immigrants où tout le monde en sortira gagnant.

Parlant du Canada Day : l’Histoire a retenu que c’est le 03 juillet 1608 que Samuel de Champlain fonda Québec. Or, notre Premier Ministre Fédéral, Mr Stephen Harper, ne cesse de crier sur tous les toits que la fondation de Québec représente aussi l’acte de fondation du Canada. Dans ce cas, pourquoi le Canada Day est-il le 1er juillet ? Voici une intéressante question pour Mme Michaëlle Jean, notre Gouverneure Général, dans son grand projet de développer une politique culturelle commune au Canada.

Bon été à toutes et tous.

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