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La parlure québécoise : la prononciation…
par Petiboudange le 11/12

La parlure québécoise : la prononciation.

Bernard Shaw aurait dit un jour à propos des américains et des anglais que ce sont « deux peuples séparés par la même langue ». Lionel Meney a repris cette phrase à son compte pour en affubler la relation entre les français et les québécois, en présentation de son Dictionnaire québécois français (1) tant nos langues sont différentes dans leurs prononciations et leurs lexiques.

Un esprit curieux ayant toujours milles choses à découvrir et à chercher, et comme je suis dotée d’un modèle particulièrement assoiffé, à peine terminées mes recherches sur l’identité culturelle, je m’avance désormais, de façon moins académique et plus personnelle, sur la parlure québécoise.
C’est un bien vaste chantier sur lequel je m’avance là, moi qui n’ait de la phonétique que d’infimes connaissances. Me voilà donc penchée sur le problème de la lecture de ces signes cabalistiques qui me seront utiles pour comprendre comment prononcer plus « québécoisement » un « dimanche » ou faire la différence entre un « maître » et un « mètre » (les prononciations, patates! Pas les concepts!)….

Les lecteurs de la bibliothèque d’Ahuntsic s’en souviennent encore, et la maman orthopédagogue avec qui je travaille actuellement aussi !
En tout cas, une fois munie de mon dictionnaire des signes phonétiques, de mes ouvrages de référence, je prétends pouvoir vous expliquer, sans l’ombre d’une prétendue reconnaissance académique, les différences fondamentales de prononciations entre nos deux langues chéries.

Avant toute chose, il faut vous mettre en garde contre l’idée que je prétends vous offrir les moyens d’avoir l’accent québécois (ou français) au travers de cette chronique. Ce n’est pas le cas. Je cherche juste à expliciter ce qui sonne différent dans nos oreilles de francophones d’un côté et de l’autre de l’océan (car n’en déplaise à nos amis québécois, lorsque vous tentez de prendre l’accent de France, vous n’êtes souvent guère plus crédibles que nos piètres tentatives avec le vôtre !). Je reviendrai plus tard vous faire découvrir l’origine des expressions typiques, que vous pourrez au moins lire dans le texte, à défaut de ne plus avoir l’air ridicule en les prononçant. Donc, ne comptez pas sur moi pour ne pas avoir l’air bête en prononçant votre premier sacre….

Les voyelles :

Commençons donc notre voyage somme toute pratico-technique par les voyelles.
Ah oui, avant de m’embarquer avec vous autres, je tenais juste à signaler que aucun québécois-acadien n’a été maltraité durant cette chronique, il aura été bien malgré lui cependant l’objet de test auditif peu probant : mon oreille est absolue…. ment nulle pour distinguer les différents sons !
En français (pour plus de commodité, je n’écrirai plus le français québécois versus le français français, vous saurez ne pas m’en tenir gré) comme en québécois, on compte 12 voyelles (dites orales), 4 voyelles nasales et 3 semi-voyelles – cela dépend aussi des régions d’appartenances linguistiques ! (2) -.
À noter également que ça c’est dans la théorie, car dans la pratique, tout se complique toujours. Figurez-vous que dans les 12 voyelles françaises, y en a quelques unes que je prononce distinctement pareilles, là où Ti’Namour fait, s’il articule, la différenciation.
Mais passons en revue ceci, je vous conseille juste avant de vous assurer d’être seuls car les tentatives sont parfois risibles, et Ti’Namour a encore un zygomatique coincé de ses fous rires pendant que je faisais mes essais personnels, tel M. Jourdain de Molière.

Allons-y par le /A/. Lorsque moi ou d’autres prononçons « pattes » ou « pâtes », le son /A/ est strictement identique bien que la phonétique en fasse la distinction et le québécois aussi. Ainsi, le /A/ de pâtes [A] se forme en arrière (postérieur), dans la gorge tandis que le /A/ de pattes [a] se formera en avant (antérieur), au niveau du palais. Lorsque vous prononcez [A] essayez de positionner votre bouche de façon à former un rond tandis que le [a] se forme en écartant les lèvres en un sourire.
Une autre manière de parvenir à prononcer le son de pâtes consisterait à diphtonguer le son en /AÔ/. Paôtes, caôdre, gaôze.

Continuons avec le son /O/. Si comme moi vous venez du sud, bien souvent vous dites « rose » comme « porte » c’est-à-dire très probablement avec un /O/ ouvert [O]. Cependant, d’autres disent tout de même les deux formes de /O/. Là encore, la différence se situe à l’endroit où l’air va résonner. Dans les joues et le palais pour la « rose » [roz] , bouche arrondie presque fermée comme pour siffler ; dans la gorge, bouche ouverte pour la « porte » [pOrt]. Oui bon mes traits sont grossis et forcés mais c’est plus simple de les expliquer ainsi à la caricature, ça rend peut-être les tentatives moins délicates pour vous !

Cela devient de plus en plus difficile, pour moi en tout cas, quand on attaque la série des /É/ et des /È/. Là où théoriquement, nous devrions différencier oralement les sons de « clé », « billet », « mettre » et « maître », je ne fais qu’un seul son, un /É/ ainsi noté [é]. Si effectivement « clé » se prononce ainsi, « billet » et « mettre » se prononceront /È/ et exactement [è] bref tandis que « maître » [3] sera plus long voire diphtongué comme nous le verrons plus loin. Là, le /É/ se prononce bouche entrouverte en étirant les lèvres en sourire, tandis que le /È/ bref se prononce en ouvrant la bouche vers le bas (je suis en train de vous imaginez essayant mes descriptions et je suis littéralement en train de rire. J’espère que vous étiez seul effectivement !).
Là, le son /È/ bref serait diphtongué en /AÈ/ : mettre>maètre, mère>maèr.
Et alors le summum pour moi, c’est la prononciation des sons /E/. Oui « les » car contrairement à ce que mon oreille me donne, plusieurs sons existent !
Ainsi, la phrase « le seul deux de mon jeu » s’écrirait en phonétique « le sFl dE de mI jE ». Je conçois que « seul » qui sort de la gorge soit différent de « le » et « deux » mais que « deux » et « de » soient différent me dépasse simplement, je suis incapable de le différencier, et donc bien de vous l’expliquer d’ailleurs !

Finalement, je l’avais vaguement évoqué sur le forum, les voyelles nasales /UN/ et /IN/ sont passablement plus accentués en québécois qu’ils ne le sont en français standard. Le [« ] de brin se prononce en étirant les lèvres sur les côtés en sourire (comme le son de « clé » de tantôt) tout en faisant résonner le son dans le nez, tandis que le [D] de brun se prononce comme le son de « seul » ou « beurre » en faisant résonner le son dans le nez (genre essayez de faire sortir le son de votre nez). Lionel Meney vous expliquerait tout simplement que /AN/ s’articule plus en avant dans la bouche en québécois, /IN/ la bouche plus fermée et /UN/ la bouche plus ouverte en québécois qu’en français.

Outre ces différences de prononciation entre la France et le Québec, on trouve aussi dans le langage populaire ou disons non contenu, une manière de prononcer des sons qui sont particulièrement typique de la musicalité de la langue de Nelligan ou Vigneault.
Vous avez sans doute déjà entendu le fameux « moé, toé » ou « fret, dret », qui sont des héritages du XIVème siècle souvent. Mais avez-vous aussi savourer les « farmer, marci », les « bédaine, pésant », les « côde, pôsse » en lieu et place des « fermer, merci », « bedaine, pesant » et « coudes et pousse » ?
Les modifications que je préfère sont les remplacements de /U/ en /I/ et les /OU/ en /U/ qui donnent alors lieu à des « bas-culotte>bas-kilotte », « député>dépité », « tout de suite>tussuite ». À la décharge de nos amis québécois, ce phénomène s’entend aussi chez les francophones du Maghreb et je rassure nos immigrants du Maghreb, je trouve cela excellent aussi chez vous !

Les consonnes :

La prononciation des consonnes est sensiblement la même, selon que vous soyez québécois ou français. Cependant, le québécois compte dans ses consonnes des phénomènes propres tels que les assibilés (ou affriqués dixit D., la maman orthopédagogue) et les versions palatales de /T/ et /D/ en [k] et [g].

L’affrication (ou assibilation si j’en crois Claude Poirier) consiste simplement à ajouter un son [s] ou [z] après un d ou un t placé devant un i ou un u, voire un « lle » [J] ou un « ui » [V]. En gros, dimanche se prononcerait dzimanche [dzimBH], verdzure [vèrdzur], petsit [petsi], tsulipe [tsulip].
Dixit la maman D., je n’affrique pas et Ti’Namour n’affrique que ces /T/ comme tous bons madelinots (c’est lui qui l’a dit!). Claude Poirier confirme en expliquant que ce phénomène est absent du domaine acadien (dont dépendent en linguistique les Iles de la Madeleine, le sud de la Gaspésie et la basse Côte-Nord) et récent en Charlevoix.
Paraît-il d’ailleurs que le tu/ti, du/di français est assez difficile à faire pour les québécois et à voir les efforts répétés de la maman sus-mentionnée à le dire à la française, je dirai que je sais d’où vient la légende du cul de poule…. Un grand moment de solitude pour elle mais beaucoup de fous rires pour son fils de 9 mois (oui c’est très visible et pas seulement auditif) et moi. Savoureux!

Les versions palatales (c’est-à-dire tout bêtement les sons que l’on prononce au niveau du palais. Donc quand on prononce « fille », le « ll »¬¬ est palatal, tout comme le « ui » de lui) concerne les sons /T/>/K/ et /D/>/G/ mis en présence d’un /I/, un /U/, un /LL/ ou un /UI/ .
Cela arrive donc qu’on entend (ou lit) « chanquier » pour chantier et « guiable » pour diable (voir même « yâbe » tout bêtement). C’est également ce phénomène qui donna naissance au « canayen » propre à désigner ceux qui sont aptes à le prononcer dans la francophonie.

Il arrive également que nos oreilles distinguent ce que nous dirions être une faute mais qui n’est en réalité qu’une prononciation québécoise : l’absence d’article « à a maison ». Ou précisément, la chute du /L/ des articles la et le entre deux voyelles. Ce ne sont en réalité que le reflet de cette illusion auditive du relâchement que nous pouvons avoir en écoutant les québécois parler. Trop crispés sur la taille de nos becs quand on ramage à l’ombre des peupliers, les québécois eux sont trop relâchés et laisse tomber non un fromage mais le [l] des articles et pronoms « la » et « les » entre deux voyelles [NDMM (note de moi-même) : pas pire cette phrase!].
Ainsi « à la maison/dans la maison » devient « à a maison/dans a maison », « sur la rue » se transforme en « su a rue » et « dans les magasins » un bon « dans es magasins ».
Ce même relâchement amène à laisser tomber le /R/ final de « crachoir » par exemple, suivant un usage du XVIIe siècle en « crachoé », ou le /V/ devant le /OI/ transformant « avoir » en « a’oaèr » et « voisin » en « oésin ».

La plus grosse chute et l’une des plus fréquemment entendu pour ma part au Québec est celle de la consonne finale des mots. « Séparatiste » devenant « séparatiss’ », « artiste » > « artiss’ ». Ainsi les lundis, je dis souvent à mon Robinou « Mais oui t’es capab’ d’enlever tes bottes tout seul ». Et qui n’a pas entendu parler du « cenne noér » (cent noir) maudit dans les tips (pourboire) ?

Peut-être finalement entendrez-vous également, surtout dans la langue populaire, cet héritage linguistique qui transforme le préfixe /RE/ en /AR/ tel que reculer devient « arculer » ?

Il y a peut-être d’autres phénomènes que vous-mêmes avez relevés et qui ne sont pas listés ici. Je serai curieuse de les connaître, donc ne vous gênez pas.
En attendant, j’espère qu’à défaut d’avoir été facile, cette chronique vous aidera parfois à mieux comprendre ce que certains de vos interlocuteurs diront. Ou au moins aura permis de faire rire les personnes dans votre entourage vous ayant vu faire les exercices de prononciation comme les miennes ont rit.
Dans une prochaine chronique, nous verrons comment prononcer notamment les mots issus de l’anglais, mais aussi les origines diverses du lexique québécois que personnellement en tout cas j’aime tant.

Références :

(1) L. MENEY, Dictionnaire québécois français, Guérin, 1999.
(2) C. POIRIER (sous la direction de), Dictionnaire historique du français québécois, P.U.L., 1998.
Il explique que en Acadie notamment le son /IN/ et le son /AN/ ne sont pas prononcés pareils, de même que l’existence de /I/ /OU/ et /U/ fermé ou ouvert, portant à 16 les voyelles et 6 les nasales.

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