Fête de la saint Jean.
En ce beau 23 juin, veille de la saint Jean, JF et moi discutons de cet événement et je lui apprends que nous fêtons aussi ici en France la saint Jean.
Oh certes, ce n’est pas un événement aussi gros que chez lui. Mais des gens bourrés, des groupes folkloriques et des feux, on en a aussi.
Pour lui faire comprendre ce dont je parle, je cherche sur Internet des images de ces feux que l’on allume le soir de la saint Jean et que les jeunes mâles s’amusent à sauter pour prouver vaillance et force.
Un événement de village, que tous ne fêtent pas, mais que ma petite ville de Provence millénaire organise encore sur la place rénovée. Je me rappelle et raconte à mon Ti’Namour de mes saint Jean d’enfant, là-haut dans les Alpes familiales, où au pied des magnifiques villages de Forcalquier et de Manosque, je regardais les grands faire leurs preuves. Je me souviens aussi de la dernière saint Jean que j’ai fêté en France, dans un autre village d’une autre vallée alpine, où nous étions en formation et intrus du jour nous sommes devenus pour un soir membres du village dans lequel nous passerions une partie de notre été. Un feu plus large que haut, une chaussure de sport dont la semelle porte encore les séquelles des braises éjectées par le saut d’un des gars.
Eh oui, mes saint Jean à moi sont aussi nostalgiques parfois. C’est aussi ça l’avantage de grandir dans des familles de terriens [1], on ne reste jamais trop loin de ses traditions !
Je fais donc une petite recherche pour comprendre et connaître les raisons qui font de votre saint Jean et du nôtre (oui oui le même le Baptiste, si si) un être à tant fêter.
Ainsi donc, les feux de la saint Jean et la saint Jean elle-même fêtait chez nous, jusqu’à la seconde Guerre Mondiale essentiellement et aujourd’hui encore par effet du retour nostalgique aux temps d’antan, le retour de l’été et de la lumière. Une fête autrefois païenne qui était mise en place dans les villages dans la nuit du 23 au 24 ou du 24 au 25, en lieu et place du solstice d’été. Elle sera ensuite religieusement célébrée en France comme date de naissance du cousin de Jésus, Jean le baptiseur de la lumière m’apprend un site. Le roi de France lui-même se plie à cette coutume’
Les fermes faisaient des petits feux mais la coutume la plus répandu était un énorme feu de joie géant commun à voir de loin, souvent établi grâce aux apports de brindilles, branchages et menus bois amenés par chaque villageois au lieu désigné pour la fête.
Le feu, élément contre lequel l’église fut longtemps suspicieuse (image de la lumière- connaissance du chemin divin- et du feu éternel des enfers ouuuuh), était pourtant parfois allumer par les curés des villages; à défaut ce sont les maires (ah cette éternelle opposition entre l’église et la république !), les filles ou les derniers mariés de la commune.
Et fait cocasse de l’histoire dans ma belle ville, j’ai découvert c’est ce jour de la saint Jean qu’une veuve ayant perdu son seul fils pendant la première guerre mondiale un 24 juin a décidé de remettre une bourse aux jeunes hommes nés dans le ville qui s’y sont mariés dans l’année précédente’une veuve dont je porte le même nom de famille, la bourse de la veuve L. ! Je suis vraiment chez moi à Aubagne !
Danses, superstitions et chants autour du brasier, on repartait ensuite avec un tison, garantie de protection contre les incendies et la foudre pour la maison qui en est dotée.
Ceci étant lu, nous avons voulu découvrir ce qu’il en était de la coutume québécoise.
Ce sont donc les colons français qui ramenèrent leur tradition et on fait mention des feux de la saint Jean dans les Relations des Jésuites dès 1636 dans la ville de Québec et ses quelques 200 habitants, alors que sieur de Montmagny fit tirer 5 coups de canon le 24 juin pour marquer l’événement.
Pour ces colons-là, souvent très pieux, la saint Jean resta avant tout une fête religieuse avec processions dans les rues, premières formes de défilés de la saint Jean. Ce n’est qu’en 1834 que cette fête prendra un aspect plus national et symbolique.
Le 8 mars 1834, se réunissent à Montréal Duvernay et quelques autres pour fonder une société d’entraide et de secours mutuel (du genre de celle pour laquelle je bossais jusqu’au 15 juin dernier) dénommée société de saint jean baptiste, celle-là même qui existe encore aujourd’hui.
Le 24 juin, Duvernay et sa soixantaine de co-sociétaires français et anglais organisent un banquet festif et patriotique, première vraie manifestation à caractère « national »; en sachant que à cette époque, en Bas-Canada étaient nationalistes les gens qui voulaient se libérer de la métropole, en l’occurrence la Grande-Bretagne, on peut presque dire que la première manifestation patriotique de la saint Jean-Baptiste au Québec est un mouvement de « décolonisation ».
Ce premier événement semble d’ailleurs avoir été fêter dans les jardins du notable McDonnel, à proximité de la gare Windsor.
Le 26 juin suivant, le journal La Minerve déclare : « Cette fête dont le but est de cimenter l’union des Canadiens ne sera pas sans fruit. Elle sera célébrée annuellement comme fête nationale et ne pourra manquer de produire les plus heureux résultats. », où Canadiens désignent alors encore les Canadiens-français, futurs québécois.
Les révoltes des patriotes feront disparaître un temps ces manifestations, les frictions et provocations encore trop à vif sans doute pour que cette manifestation se passe sans heurt. On reviendra un temps aux processions religieuses, dès 1842 à Québec, dans l’année suivante pour Montréal.
C’est en 1848 que toute la symbolique de cette fête prend naissance quand une relique apparaît dans le cortège : le drapeau de Carillon, symbole passé de la victoire de quelques poignées d’hommes de Montcalm contre une troupe de 5 fois plus nombreuses en 1758 dans le ville de Carillon (aujourd’hui semble-t-il Ticonderoga dans l’État de New-York). Ce drapeau de Carillon, par ailleurs ancêtre du fleurdelisé actuel, est toujours conservé par le musée de l’Amérique française de Québec depuis 1982. Entre 1848 et 1982, chaque procession de la saint Jean voyait le défilé du tube de métal protégeant cette relique.
Finalement, ceux qui s’étonneraient de la présence des drapeaux patriotes lors de cet événement auraient pu en mordre leur chapeau de voir ce tube, autrement plus symbolique’
Il y a quelques années, un sondage effectué par Le Soleil révélait que 71.8% des québécois estimaient que la saint Jean était la fête de tous les québécois, quelques soient leurs origines, leur langue ou leur orientation politique. Une vraie fête à portée « nationale » et patriotique pour qui se sent québécois (et mon amie anglophone n’est pas la dernière à faire la fête ce jour-là d’ailleurs. En passant, je défie quiconque de la traiter de canadienne, le seul que j’ai vu oser s’en souvient encore et sa joue cuit encore au souvenir de la claque phénoménale qui avait fait suite au « ben la Canadienne qu’est-ce que tu fais ici avec ton drapeau bleu, c’est la fête des québécois ! ». Ah ah quel souvenir de cette première saint Jean, il y a un an, mémorable !).
Que ce soit en France ou au Québec, il ne reste de religieux à cet événement que son nom sanctifié et les messes qu’on fait spécialement ce jour-là.
Mais la ferveur des gens qui se rassemblent (encore) pour fêter ce jour reste emprunt d’un sentiment universel, celui d’appartenir à un groupe dont le destin est distinct (dites-le à voix haute 10 fois de suite pour voir ?) des autres groupes, ce qu’on appelle communément un sentiment d’appartenance, celui-là même qui traverse toutes les nations du monde, qu’elles soient sans états, dans une fédération ou dans un État nation et qui se basent à la fois sur des éléments objectifs (territoire et histoire) que subjectifs (dont la langue, la religion, les symboles qui font battre à l’unisson des c’urs par centaines, milliers ou dizaines de milliers)’
Ainsi donc, encore bonne fête nationale à tous, que vous soyez rouge, bleu ou tricolore !
Bon été aussi puisque ceci était ma dernière chronique avant les vacances. On se retrouve plus tard, quelques semaines avant ma grande traversée prévue pour début octobre’
Un retour au bercail pour JF, un retour en ma terre de c’ur pour moi !
Longue vie à vous et à votre terre, je ne m’en lasserais pas de si tôt d’en découvrir son histoire je crois !
Alors que je finis ce message dans le cybercafé (ils ont la clim, ça aide à se concentrer sur les sujets épineux qui me préoccupent actuellement) pour lequel JF exécute son contrat, viennent d’entrer deux touristes. La dame est embêtée par son clavier AZERTY car, chose incroyable du destin et de l’étroitesse du monde, elle vient de Montréal où elle travaille à McGill University. Elle est ici en vacances avec son ami, qui lui reste sur Vancouver, et est originaire d’Aubagne. Décidément, plus j’avance dans ma vie canadienne et québécoise, plus j’en rencontre des ressortissants !
[1] J’emprunte ici l’expression à Jean-Benoît Nadeau qui parlent des français comme de terriens en faisant référence à l’attachement dont ils font preuve au terroir de leurs « pays » de France in Pas si fous les français.
[2] Sources (en plus de divers site Internet) pour le Québec :
– Amérique française, l’aventure de Alain Beaulieu et Yves Bergeron publié aux éditions FIDES 2002 en collaboration avec les excellents Musée de la civilisation et Musée de l’Amérique française de Québec
– Canada Québec 1534-2000 de Jacques Lacoursière, Jean Provencher et Denis Vaugeois aux éditions Septentrion en 2001.
Source pour la France : journal local 2000(?) d’Aubagne, sites Internet divers.
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