« Gros porc », « sale bougnoule », « pd », « fayot », « salope »… Combien de fois a-t-on entendu ça quand on était enfant, ado, dans les cours de récré, le bus qui nous amenait en sortie scolaire, sur le chemin du retour de l’école ? Peut-être en étiez-vous victime, peut-être faisiez-vous partie des « bourreaux » ? Peut-être encore faisiez-vous juste partie de cette majorité silencieuse qui de par sa neutralité, sa peur ou sa complaisance accepte, tolère, se rend complice ?
Pour beaucoup d’adultes, ça ne semble « pas grave ». « Ils s’amusent », « rien de bien méchant ». Mais où s’arrête le jeu, l’insulte gratuite mais sans rancune et où commence le harcèlement moral ? Le bullying, comme on dit ici, en Amérique du Nord.
On en a beaucoup parlé, au Québec, les 2-3 dernières années. Une journée spéciale sur l’intimidation, quelques reportages sur ces adolescents, ces enfants qui ont choisi de se donner la mort pour ne plus avoir à subir, parce que personne ne les avait entendus, écoutés. Indignation, incompréhension, écœurement devant ce phénomène amplifié par les réseaux sociaux. Se faire intimider, insulter, railler, humilier c’est déjà pas évident, mais devant des millions de personnes ça semble encore pire. Et pourtant quoi de neuf ? Est-ce qu’on ne voyait pas la même chose dans ces ères pré-internet, où on se parlait plus des Chevaliers du Zodiaque que des dernières vidéos sur Youtube ? Ou une montre Casio avec calculatrice était aussi tendance que le dernier iPhone ? Est-ce que les jeunes d’aujourd’hui sont pires que nous l’étions ? Et surtout, aujourd’hui, que faisons-nous, en tant qu’adultes, parents, enseignants pour trouver des solutions ?
Je ne me lancerai pas dans un débat sociologique sur comment éradiquer l’intimidation, le harcèlement quel qu’il soit. C’est un sujet passionnant que j’affectionne particulièrement et sur lequel je débattrais volontiers pendant des heures.
Mais si je souhaitais en parler sur ce forum lié à l’immigration c’est parce que, peut-être pour la première fois de votre vie vous allez vous retrouver dans le rôle du « marginalisé », de celui qui est différent. Est-ce que c’est mal ? Bien sûr que non, c’est juste un constat, une certitude qu’on peut vivre de bien des façons. Peut-être qu’enfant vous n’aviez rien de notable, ni gros, ni petit, ni grand, ni maigre, pas de nom à double sens qui peut être raillé. Ni très timide ni trop voyant, capable de vous fondre dans les murs ou suffisamment sûrs de vous pour ne pas vous faire écœurer. Mais en arrivant dans un nouveau pays, une nouvelle culture, vous allez peut-être pour la première fois de votre vie vous sentir différents. Ne plus faire partie de la « majorité » peut décontenancer et d’une façon ou d’une autre vous force à vous poser de nouvelles questions sur vous et sur les autres. Il n’y aucune recette magique, chaque histoire est unique et chacun va réagir différemment. Certains vont à peine le ressentir. D’autres vont se refermer sur eux-mêmes, se rapprocher d’autres Français, en souffrir, s’en plaindre. D’autres encore vont s’en servir comme d’une motivation et une incitation à en faire encore davantage pour s’intégrer et vivre leur immigration pleinement. Apprécier au quotidien ce sentiment de dépaysement qui vous a poussés à partir, à tenter l’aventure.
Dans certains cas ça ne sera qu’un constat, quelques décalages par rapport à vos collègues ou voisins, des références que vous n’avez pas, mais parfois ça pourra devenir un fossé, une barrière qui pourraient vite vous paraître insurmontables. Dans ce cas-là, parlez-en, communiquez, n’hésitez pas à aller chercher des conseils chez ceux qui pourraient vivre la même chose que vous. Ne taisez pas la moindre souffrance, le moindre doute.
En 2006 j’avais écrit un roman graphique, Comme un Papillon, qui parlait du suicide chez l’enfant. Oui, oui, je sais, c’est super gai 🙂 J’en ai un peu parlé je crois dans ma présentation. En tant qu’éducateur spécialisé j’avais vécu tellement de cas d’enfants qui pour des raisons incompréhensibles pour nous préféraient mettre fin à leur vie. C’est arrivé plusieurs fois que ces gestes ne soient que des appels au secours, mais plusieurs sont arrivés malheureusement à leur fin sans que personne ne puisse comprendre ce qui les avait amenés là. Ça m’avait montré à quel point on sous-estime grandement des notions telles que la dépression, le harcèlement, la détresse psychologique. On a toujours l’impression que pour un enfant, « ça va passer ». Mon éditeur insistait pour qu’à la fin du roman l’enfant finalement change d’avis, pensant que le message était suffisamment passé. Mais c’était hors de question, le seul but de cet ouvrage était de montrer aux parents qu’un enfant de 10 ans pouvait pour une raison ou une autre décider de se tuer. Le suicide est la deuxième cause de mortalité pour les moins de 20 ans. J’ai finalement changé d’éditeur et même si ça peut paraître complètement idiot, j’ai dessiné les 12 dernières pages de mon livre en pleurant. Je ne dirai pas « en pleurant comme un enfant », non, en pleurant comme un adulte conscient et impuissant devant toute cette souffrance.
Pourquoi j’écris ça aujourd’hui ? Parce que je suis tombé sur ce trailer, cette bande-annonce choc prélude à un reportage sur france5 la semaine passée je crois : https://www.youtube.com/watch?v=EpT9PL8RCw0#t=13
Ça m’a rappelé la polémique l’année passée sur le clip d’Indochine : http://www.youtube.com/watch?v=Q9wtLJmjDAQ
Et parce que j’avais envie d’en parler avec vous, qui peut-être comprenez un peu mieux aujourd’hui ce qu’ont vécu le petit gros, le Tunisien, l’efféminé de votre classe quand ils étaient ostracisés, rejetés.
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