De Maryse Maya
Bonjour à toutes et à tous,
Avant tout, je tiens à remercier tous ceux qui témoignent, tous ceux qui répondent et tous ceux qui participent à l’existence de ce site. Au cours des 2 ans et 7 mois qui ont passés depuis mon arrivée au Québec, vous m’avez, peut-être sans même le savoir, émue, soutenue, comprise et même fait pleurer ! Ce n’est pas facile de quitter ses racines pour immigrer. À travers vos témoignages, j’ai trouvé refuge à mes propres difficultés, réalisations, émotions.
Jusqu’à maintenant, je faisais partie de ces anonymes qui lisent assiduement le Bulletin Immigrer.com sans plus ample participation. Aujourd’hui, les choses vont changer ! J’ai créé ce compte et je compte bien, à mon tour, témoigner. Peut-être mon expérience personnelle apportera-t-elle réciproquement soutien et réconfort à l’un d’entre-vous. Quand nous sommes compris, nous nous sentons indéniablement moins seuls.
Je suis née au Québec, à Drummondville, par une belle journée ensoleillée d’octobre 1977. L’idylle s’arrête ici. Le reste de mon enfance pourrait être représentée dans un film qui seraient une parfaite combinaison entre Le fabuleux destin d’Amélie Poulain et Misery ! À 15 ans, j’étais partie de chez moi, je travaillais de nuit pour gagner ma vie et je poursuivais mes études à temps plein. Profondément nomade et totalement détachée du matériel, je ne rêvais que d’une chose, partir ! Durant mes années d’études secondaires, j’ai cumulé les correspondants étrangers qui voulaient apprendre le français via un programme de l’école. Je voulais tout connaître sur tout ce qui se trouvait sur Terre, tant la faune, la flore que la culture des gens. Mon cerveau n’avait aucune limite d’emmagasinage !
En attendant de trouver les bonnes conditions pour partir au loin, j’ai exploré le Québec dans plusieurs de ses recoins. Je n’ai pas tout vu, mais je m’y connais drôlement bien. J’ai eu un profond et durable coup de coeur pour la région de Charlevoix, que j’ai découverte à mes 18 ans. C’est cette région qui me manquait quand je vivais au loin et pensais au Québec. Depuis mon retour, nous y allons d’ailleurs chaque année en vacances familiales.
C’est lors de mon avant-dernière année d’études à l’Université Laval que s’est présentée la parfaite occasion pour un séjour prolongé à l’étranger. Je me suis inscrite au programme d’échanges du Bureau International et j’ai demandé pour partir en Australie. J’ai été acceptée, mais j’ai échoué le test d’anglais obligatoire. Non, tous les Québécois ne sont pas bilingue ! J’étais déçue et j’avais abandonné l’idée de partir quand j’ai été convoquée par mon directeur de programme. Il avait pris connaissance de mon échec au test d’anglais et avait une proposition à me faire. Étant dans les meilleures de ma promotion, il me donnait la posibilité de partir six mois, avec bourse importante et mention au diplôme, comme embassadrice dans le cadre d’un tout nouveau programme avec leurs partenaires francophones européens, le Profil International. J’avais le choix entre « une université dans une petite ville construite sur d’anciens marécages » à Louvain-La-Neuve (Belgique) et « une université dans une grande métropole comptant des millions d’habitants » à Lyon (France). J’ai choisi les marécages, négociée pour un séjour d’un an et obtenue deux fois le montant de la bouse. Je ne suis pas du tout quelqu’un qui a la fibre commerciale, mais j’adore négocier !
Je suis partie pour la Belgique en septembre 2001. Le 1er mars 2002, j’y ai rencontré l’homme de ma vie, un magnifique Belgo-Argentin dont je suis tombée éperduement amoureuse, et ce réciproquement. Nous voulions nous établir au Québec, mais vous savez comment fonctionne l’immigration et les coûts qui y sont liés. Pour deux finissants sortant à peine de l’université (dont moi qui était très endêtée ayant bénéficié du Programme de prêts et bourses du Québec), c’était tout simplement inenvisageable. Comme la Belgique m’accueillait à bras ouvert et sans aucun frais, nous nous y sommes établis, temporairement. Ce qui devait durer une ou deux années a finalement duré plus d’une décennie et je suis devenue Belge. Nous nous sommes mariés (ce que nous avons appelé notre « Acte d’adoption réciproque »), avons mis au monde deux magnifiques enfants Belges, Canadiens et Argentins (ils sont nés de parents Canadien et Argentin en Belgique) et avons vécu des jours heureux auprès des gens que nous aimons. Nous n’avons jamais envisagé de nous établir en Belgique tout simplement parce que nous avions besoin d’espace. J’imagine que c’est parce que nous venons, mon mari et moi, tous les deux de pays aux espaces si grands que lorsqu’on regarde à l’horizon, on peut voir la terre se courber. Ne voulant pas revenir au pays endettée, nous avons soldé ma dette d’études, puis mis des sous de côté et finalement, nous sommes venus nous installer au Québec à l’automne 2012.
Depuis notre arrivée, j’ai l’impression d’être dans une course à obstacle ! Ce fût d’abord (en ensuite) les longues et coûteuses procédures administratives pour l’immigration de mon mari et la reconnaissance de nationalité canadienne des enfants, le container à négocier pour le déménagement outre-mer, le déménagement en soi, l’organisation de la grande fête de départ et les aurevoirs déchirants. Vint ensuite l’arrivée tumultueuse avec logement et emploi à trouver, les économies qui partent en fumée, les tonnes d’inscriptions à faire (école pour les enfants, assurance-maladie, transfert de permis de conduire, inscription à la liste d’attente pour un médecin de famille, etc) et l’adaptation aux nouvelles moeurs et aux nouveaux produits.
Quand vint enfin l’accalmie dans nos vie, ce fut les questionnements sur notre décision de venir s’établir au Québec qui ont ressurgis. Jamais mon mari n’a regretté ou remis en question notre choix, mes enfants ont pleuré l’éloignement de la famille et des amis, mais se sont vite habitués à la vie au Québec, mais moi, ouf, je suis passée par toutes les étapes ! Je repars, je reste, je repars, je reste, … Ce que l’immigration Belgique-Québec m’a fait comprendre et que je ne pouvais pas comprendre lors de mon imigration Québec-Belgique parce que je n’avais pas d’attaches, c’est que mes racines, elles n’appartiennent pas à un territoire, mais à tout ces gens qui m’aiment et que j’aime et qui font que j’existe, que je m’estime, que je suis belle, unique et unie aux autres. Chaque relation est unique et jamais l’une ne peut remplacer l’autre.
Au Québec, mon grand amour c’est la terre ! J’aime d’un amour infini ces espaces qui n’en finissent plus, ces paysages époustouflants qui me donnent de l’énergie et me font me sentir vivante et partie intégrante du tout. Les ravages de nos civilisations du profit à tout prix au détriment du respect de l’environnement sont présents ici aussi, mais il y a encore des endroits splendides non atteints par la cupidité de l’Homme ou protégés par ceux pour qui le respect de la Terre est une valeur. Plus que cela, j’ai l’impression que la population peut faire la différence concernant la direction que prend la société. C’est toujours une lutte, mais qui peu aboutir. Peut-être suis-je trop utopisme ou optimisme, mais sur ce point, je sens une ouverture. Et puis pour des gens qui ont choisi un cadre de vie simplifiée, le Québec, c’est l’Eldorado !
J’ai donc récemment choisi moi aussi de rester au Québec, d’élaborer mes projets de vie ici et d’accepter de vivre loin de mes racines, le coeur outre-mer. Nous développons progressivement notre réseau social et de nouvelles amitiés, mais l’approfondissement d’une relation et la connaissance de l’autre demande du temps. Immigrer, c’est accepter de se sentir seul un bon moment et plus l’amour était présent, plus l’éloignement est douloureux. Il faut apprendre à vivre avec cette souffrance. J’ai attendu qu’elle s’estompe, elle s’est tout au plus un peu apaisée… dépend des périodes. C’est un classique, mais le temps des Fêtes est le pire à passer.
Alors, vous me direz : « Mais tu es Québécoise et tu parles comme une étrangère ! ». C’est précisément ce point qui m’a amenée à franchir le pas et à témoigner moi aussi de mon expérience. J’ai beau avoir vécu les 23 premières années de ma vie au Québec, être née au Québec de parents Québécois, de grands-parents Québécois, d’arrières-grands-parents Québécois et ainsi de suite sur je ne sais combien de générations, je ne suis jamais, mais absolument jamais reconnue comme tel ! Partout où je vais depuis mon retour au pays, je suis une étrangère.
Les nouvelles connaissances, qui pour certains me connaissent depuis plusieurs mois, m’appelle toujours « La Française ». J’ai renoncé à faire accepter aux gens l’idée que je suis Québécoise, sérieusement, et je me bats maintenant pour faire accepter aux gens que je suis Belge, pas Française. J’ai bien voyagé en France, mais quelques mois de vacances ça et là ne font pas de moi une Française. Pour ceux qui persistent, je les appelle « Les Américains ». Généralement, les gens me disent : « Mais non, je ne suis pas Américain », et je réponds : « Pas plus que je ne suis Française ». C’est tout de même pas de ma faute si j’ai dû apprendre, pour me faire comprendre, à articuler au point d’en avoir, certains soirs, mal à la mâchoire et ce durant plus d’une décennie ! Je ne parle en effet plus comme avant et bien que mon accent Québécois revienne, ce n’est pas au galot.
Même pour l’état, je suis une étrangère. Une dame au bureau du gouvernement du Québec, ce n’est pas une blague, s’est même énervée sur moi une fois parce qu’elle ne me croyais pas que j’étais Québécoise. Elle m’a obligée à lui montrer mon certificat de résidence permanente, ce que je n’ai pas, puis ma carte de citoyenneté, ce que je n’ai pas. J’ai persisté à lui expliquer que j’étais Québécoise, que j’étais née ici, mais que j’étais simplement partie plusieurs années vivre à l’étranger, il n’y avait rien à faire. J’ai dû retourner chez moi chercher mon Certificat de Naissance du Québec pour qu’elle veuille bien ouvrir mon dossier. Elle a photocopié mon certificat et constaté son authenticité grâce à la filigrane qui apparaissait !
Mais ce qui est aberrant, dommage, déplorable, c’est que j’ai connu la xénophobie pour la toute première fois de ma vie quand je suis revenue au Québec, sur la terre qui m’a vue naître et grandir, de la part de ceux qui partagent la même histoire et la même culture que moi. Je suis riche de deux cultures, l’une n’efface pas l’autre ! Pourtant, je suis devenue trop différente de l’idée qu’un Québécois se fait d’un Québécois. Je suis « La Française », quand je ne suis pas « L’ostie de Française », parce que les Français, ils n’ont pas la quote ! Heureusement que ce n’est pas du tout tout le monde et qu’il y a aussi des gens ouverts et intéressés. Des commerçants désagréables à cause de notre accent et de notre « provenance », les enfants qui se font baver à l’école, bousculer, insulter, rejeter et dire : « Tes parents sont cons parce qu’y viennent d’un pays moins riche » (ces mots ont été réellement prononcés par une élève de l’école de ma fille), les clients désagréables au travail qui s’énervent et nous disent de « r’tourner dans not’ pays », des gens qui se baladent en rue, nous croisent, nous entendent et disent en continuant « ostie de Français » sans nous avoir jamais vu auparavant, des gens que tu veux aider et qui te répondent sèchement « On l’sait ben, vous savez toute vous autres les Français », tout ceci fait partie de notre lot quotidien.
En Belgique, je n’ai JAMAIS subi de racisme, bien au contraire !!! Les gens m’accueillaient les bras grands ouverts, curieux, toujours sympathiques, je me faisais offrir verres et repas dans les cafés par les patrons, pareil pour les couques et les gauffres, hummm, les gauffres ! J’ai découvert pleins de gens extraordinaires en peu de temps, développé des amitiés formidables, durables, profondes qui ont été facilités justement par le fait que j’étais Québécoise.
Il serait temps que les racistes mettent leurs culottes, affrontent leurs peurs, leurs clichés et leurs préjugés car les principales victimes du racisme sont les racistes eux-mêmes. Non seulement ils vivent la haine au coeur, mais en plus, ils manquent de magnifiques occasions de faire des rencontres enrichissantes :biggrin2: Tel Don Quichote, nous nous battons tous contre nos propres moulins à vent… ce que je sais avec certitude, c’est que la différence est une force, jamais une faiblesse.
Je vous souhaite à tous bon courage dans cette aventure et comme le disais Brel, « Je vous souhaite des rêves à n’en plus finir, et l’envie furieuse d’en réaliser quelques-uns. »
Maryse
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