Les résultats du référendum sur l’interdiction des minarets constituent une véritable onde de choc en cette fin de la première décennie du nouveau millénaire. Un début de millénaire marqué par la montée des nationalismes, de nouveaux conflits, la crise de la mondialisation…par le « retour de l’histoire ». Pendant que partout en occident, on peine à faire reculer la Burqa, étendard de l’intégrisme islamique, quelques groupes de la droite populiste suisse ont décidé de cibler un simple ornement architectural : les minarets, un peu l’équivalent du clocher pour les Chrétiens. Ça été dit et répété, le minaret n’est pas obligation dans une mosquée. Le premier du genre n’aurait été construit qu’environ 80 ans après la mort de Mahomet. Aujourd’hui, le minaret a par ailleurs perdu de son utilité fonctionnelle. On n’a plus besoin de monter sur un édifice pour appeler les fidèles à la prière.
Ce référendum a lieu quelques semaines après un feuilleton médiatique prometteur celui-là et qui touche aussi la religion musulmane : L’intervention de l’imam Tantaoui, célèbre personnalité religieuse et autorité respectée d’El Azhar contre le port du voile intégral. Au Canada, le Congrès Musulman Canadien, association engagée dans le combat contre l’intégrisme a pris le relais en appelant à interdire la Burqa. Si ces prises de positions sonnaient comme une volonté de priver l’islam radical d’un de ses symboles, les résultats de la votation organisée en Suisse vont dans le sens inverse en faisant bouger les lignes de clivage politique. Ces résultats ne sont donc pas une bonne nouvelle pour tous ceux et celles qui veulent d’une société garantissant les libertés et se battent pour stopper l’expansion des mouvements extrémistes religieux ni pour la majorité des musulmans fatiguée d’être amalgamée avec les intégristes. Le vote en faveur de l’interdiction de la construction de nouveaux minarets est par contre une excellente nouvelle pour la droite extrême et l’extrême droite suisses et européennes qui soufflent sur les difficultés économiques de larges couches de la population et sur la peur d’un certain Islam conquérant, intolérant et réactionnaire. Il est aussi une très bonne nouvelle pour l’islamisme lui-même pour qui le minaret n’était pas jusqu’ici un étendard. Il risque de le devenir, d’autant qu’il peut être plus mobilisateur que la Burqa. Les islamistes – qui considèrent déjà les occidentaux comme des ennemis à combattre – doivent jubiler maintenant qu’une partie de ces occidentaux leur donne des munitions pour gagner à leur discours des pans entiers des masses musulmanes.
La Burqa viole le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes et elle est une insulte à la dignité humaine mais en quoi les minarets constituent-ils un problème dans une société démocratique ? Quand la Burqa divisait jusque-là les musulmans entre partisans et opposants, entre modernistes et réactionnaires, la question des Minarets risque de jeter, dans les bras des intégristes, nombre de croyants sincères convaincus désormais qu’islamophobie signifie bien le rejet des musulmans et non, comme l’affirment les démocrates, le droit à la critique de la religion musulmane. Ce serait un recul dramatique quand on sait que l’islamophobie est utilisée justement depuis quelques années par les islamistes pour retarder les prises de conscience contre la nature réactionnaire liberticide de la république théocratique qu’ils veulent imposer.
À y réfléchir, autant par exemple, la fameuse question des caricatures pouvait relever du droit à la critique légitime des religions – bien que le désir de provoquer gratuitement fut présent-, et donc simplement de la liberté d’expression, autant rien ne justifie d’interférer dans la façon avec laquelle les gens doivent pratiquer leurs croyances si cette pratique ne remet pas en cause les valeurs de la société. Si la laïcité doit s’assurer que le religieux n’intervienne pas dans la gestion des affaires de la cité, elle ne doit pas interférer dans la pratique des croyances dans l’espace privé. Le seul désagrément que le minaret peut causer serait d’ordre urbanistique si sa construction ne respecte pas les normes locales et dans ce cas, les autorités compétentes ont déjà toute la latitude d’intervenir.
Alors pourquoi cibler le minaret? Il y a tout au plus quatre ou cinq minarets en Suisse dont l’un a été construit il y a plus de trente ans. Pour tenter d’expliquer le vote, certains évoquent la situation des libertés et notamment religieuses dans les pays musulmans. Bien sur, les indignations de certains dignitaires de régimes arabes font sourire mais peut-on, pour autant, revendiquer le droit à l’intolérance en invoquant le principe de réciprocité? D’ailleurs en quoi, des centaines de milliers de citoyens suisses – dont beaucoup sont nés en Suisse, ont des parents nés en Suisse et en tout cas viennent de pays qui n’ont pas connu l’extrémisme religieux- sont-ils responsables de la persécution de Chrétiens dans des pays musulmans? On doit par contre espérer que la capacité d’indignation, dont peuvent légitimement faire preuve les musulmans face à ce vote, puisse aussi être mise à contribution quand des États qui font de l’islam leur religion persécutent les Chrétiens, les non-jeûneurs du Ramadhan ou encore ceux qui se convertissent à d’autres religions. Les forces démocratiques en Suisse et dans tout l’occident qui ont condamné les semeurs de la haine à travers ce référendum ont montré l’exemple.
Si les musulmans anti-intégristes s’élèvent au dessus de ce vote, ils pousseraient immanquablement les tenants des discriminations et les prêcheurs de la haine à leurs derniers retranchements. Surtout ils pourraient eux-mêmes déplacer les lignes en regagnant la sympathie de ceux, parmi les votants contre l’interdiction des minarets – et il y en a -, ont vu dans ce vote l’expression du rejet légitime de l’intégrisme religieux.
Ce qui vient de se passer en Suisse est au fond produit par une sorte de pacte de diables. La droite populiste et l’extrême droite ont besoin de l’islamisme et ce dernier a aussi besoin d’eux. La fin justifie les moyens. Et les résultats du référendum les servent. Il est donc important de saisir les dangers. Les forces démocratiques en occident ont le devoir de prendre la parole et d’agir pour éviter les dérives. Il n’y a pas de choc de civilisations entre les musulmans et les occidentaux mais la question est aujourd’hui de savoir ce que veulent les sociétés démocratiques. S’agit-il de s’attaquer à l’extrémise religieux et dans ce cas elles ont tout intérêt à s’appuyer sur les musulmans « modérés », qui veulent se débarrasser de ce cancer qu’est l’intégrisme ? S’agit-il au contraire de refuser que les citoyens de confession musulmane pratiquent leur religion sur des terres d’origine chrétienne fussent-elles laïques et démocratiques ? Il est malheureusement permis de se questionner car malgré ses célèbres montres, on peut affirmer que la Suisse ne nous a pas donné l’heure juste… cette fois-ci.
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