Selon le ministère canadien de l’immigration, en 2010, 37% des immigrants arrivés au Québec provenaient d’Afrique dont plus de la moitié du Maghreb. D’après la ministre québécoise de l’immigration, Mme Kathleen Weil, qui se base sur des études de l’Institut économique du Québec, il n’y a plus de décroissance de la population à partir de 2031 en raison du mini-baby-boom des dernières années. Ce sont là, les principales raisons ayant semble-t-il motivé une réorientation de la politique gouvernementale en matière d’immigration.
Parmi les 7 objectifs de cette politique, le gouvernement veut « rééquilibrer progressivement la proportion que représente chacun des grands bassins .. pour qu’en 2015 cette proportion soit limitée à un maximum de 30 % pour chacun de ces bassins » et vise « une stabilisation relative du volume des admissions …de manière qu’en 2015, la moyenne annuelle des admissions s’établisse à 50 000 personnes » contre 55 000 admissions, objectif annuel pour la période qui s’achève. Le gouvernement ira chercher cette réduction dans le bassin Afrique et particulièrement dans sa partie Nord. C’est en effet le seul bassin à dépasser le seuil maximum des 30%. Simple calcul: de 37% sur 50 000 soit 20 350, on passera à un maximum de 30% sur 50 000 soit 15 000 candidats sélectionnés depuis la plus grande région francophone au monde. Oublions que cette politique vise pourtant à « maintenir majoritaire la proportion de personnes connaissant le français » pour noter que l’impact sur la bassin Afrique se matérialisera par une baisse de 5 350 personnes soit l’équivalent de la réduction totale visée. Le nombre de Maghrébins admis passera d’environ 10 000 à un maximum de 7 500, chaque année, et peut être à moins si la notion flexible de bassin géographique s’appliquait à la région du Maghreb.
Faut-il être scandalisé qu’un gouvernement ait décidé de nouvelles orientations – fussent-elles restrictives – de sa politique d’immigration? Je ne le crois pas. Cependant, ce que je trouve pour le moins inapproprié, c’est le fait d’associer, à ces changements, la question des difficultés d’intégration professionnelle que connaissent les immigrants originaires du Maghreb. En affirmant qu’avec la baisse du nombre de candidats maghrébins sélectionnés, on réfléchira mieux aux moyens de permettre à ceux qui sont déjà là de s’insérer dans le marché du travail, on peut conforter certains parmi les employeurs qui refusent d’embaucher des Algériens, des Marocains ou des Tunisiens. On envoie le message selon lequel on a compris qu’il y avait un problème avec cette catégorie d’immigrants. Cette façon de faire peut renforcer la xénophobie envers les Arabes et les Musulmans. Ce qui n’est pas l’objectif visé par le gouvernement. Elle conforte aussi ceux parmi les immigrants qui prétendent que le Québec est raciste. Ainsi, d’un coté, certains continueront à dire – à prêcher – que si les Maghrébins ont tant de difficultés à se trouver du travail au Québec, ce n’est pas si étonnant que ça puisque c’est aussi le cas partout en Occident. On entendra et on lira que les immigrants nord-africains ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes et à leur incapacité à s’adapter aux valeurs de la société d’accueil. « Ils auraient aussi une tendance à refuser des emplois qui ne soient pas à la hauteur de leur qualification ». De l’autre coté des tenants de ce discours intolérant, on verra un autre discours tout aussi réducteur et emprunt de préjugés arguant que les employeurs Québécois discriminent presque systématiquement les immigrants et que la population québécoise est majoritairement xénophobe. D’ailleurs le timing des derniers événements n’est pas de nature à favoriser la sérénité puisque la ministre Weil a annoncé les nouvelles orientations quelques mois après que des milliers de candidats tunisiens et algériens eurent appris que le gouvernement québécois avait décidé de suspendre les entrevues de sélection en raison du contexte de la révolution tunisienne. Déjà soumis à la procédure de sélection la plus rigoureuse et à des délais d’attente de plusieurs années, ces candidats voient la perspective de recevoir le fameux sésame – certificat de sélection – s’éloigner davantage. Mais, qu’en est-il de la réalité de l’intégration de l’immigration au Québec?
D’abord quelques chiffres, et dans le désordre. La chef de l’opposition à la ville de Montréal, Mme Louise Harel, vient de rappeler que les minorités visibles et ethniques représentent 31% de la population montréalaise, alors qu’elles ne constituent que 13% de la fonction publique. Le taux de chômage des immigrants diplômés en Afrique est de 15,9 % alors qu’il est de 10,2 % en Ontario. Celui des universitaires dont le diplôme est obtenu à l’étranger est trois fois supérieur par rapport à ceux l’ayant obtenu au Québec. On apprend, selon une étude réalisée par MM. Maher Najari et Sébastien Arcan de HEC (Montréal) que depuis le début des années 2000, ce sont 40% des nouveaux arrivants qui sont originaires d’Afrique. Il s’agit d’une grande transformation du profil de l’immigration au Québec, laquelle était jusque-là majoritairement européenne. On vient d’apprendre, par ailleurs, qu’après le français et l’anglais, la langue maternelle des élèves inscrits dans les écoles de l’île de Montréal est l’arabe dans 8,28% des cas devant l’espagnol (6,57%), le créole (3,29%). Tout cela ne manque pas de poser des défis à la société québécoise.
Sur le front de l’emploi, les organismes intervenant auprès des immigrants pointent du doigt, depuis des années, un certain nombre de facteurs qu’ils croient à l’origine du chômage élevé de certains catégories. Parmi ces facteurs, on cite la question de la reconnaissance des diplômes obtenus à l’étranger et l’inadéquation des critères de sélection des candidats avec les besoins réels du marché du travail. Ainsi en dehors des quelques ententes signées avec la France, il reste encore beaucoup à faire pour faciliter l’accès au marché du travail aux diplômés de l’étranger. Par ailleurs, tout indique que pendant qu’on a besoin de plus de techniciens et de personnel de soutien, le Québec ouvre davantage ses portes aux ingénieurs, médecins et autres diplômés des cycles supérieurs qui doivent souvent suivre le parcours de combattant avant d’espérer exercer dans leur domaine. Ces deux facteurs touchent particulièrement les immigrants maghrébins puisqu’on estime que plus 45% des immigrants originaires de l’Afrique du Nord ont des qualifications universitaires contre 31% pour la population totale. Quelle économie au monde offre-t-elle une proportion aussi grande d’emplois pour les universitaires? Déjà parmi la population locale, il n’est pas rare de voir des diplômés d’universités retourner au Cégep pour une réorientation de carrière.
Je crois que c’est à ce niveau qu’il faut surtout aller chercher une solution au problème de l’intégration professionnelle des immigrants originaires de l’Afrique du Nord. Il y a bien sur d’autres facteurs comme les discriminations, les craintes d’accommodements, l’expérience locale mais ils ne sont pas si déterminants. Car des Maghrébins qui travaillent et qui occupent des emplois de qualité sont nombreux. On pourrait même être étonné qu’ils soient si nombreux à des postes stratégiques. Pour cela, il faudrait peut être un défilé de tous ces Néo-québécois formés par les pays du Maghreb et qui contribuent aujourd’hui au développement de leur société d’accueil. Les Fatima-Houda Pépin, Omar Aktouf, Nadia Ghazzali, Chaib Echerif Draa, Rachida Azzouz, Mohamed El Khayat ne sont pas des exceptions. Loin s’en faut. Il faut juste le savoir. Je conclue ma chronique par des propos de Denis Chouinard réalisateur de « l’ange et le goudron »: « J’étais en réaction contre l’image négative du monde arabe qu’on véhiculait dans les médias. Chaque fois, on parlait de bombes, de meurtres et de sang. Mais ces gens font aussi des opérations à cœur ouvert, de la recherche. Ils produisent de la littérature, de la poésie, mais de cela, on n’en parle jamais »
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