De Primatice
Alors je me lance à vous raconter mon récit, que dis-je, l’Odyssée d’un breton en terre québécoise.
Après plusieurs visites à Montréal, et au Québec en 2006 et 2008, j’ai décidé de franchir le pas de l’immigration. Plusieurs raisons à cela, la première donner un sens à ma vie dans une aventure personnelle, puis rompre avec les conventions françaises et puis, face à un échec politique personnel, l’envie de découvrir autre chose, ailleurs. Pas question de fuite, juste me retrouver avec un autre système, d’autres valeurs.Je décide, à mon retour de mon deuxième voyage à Montréal, en février 2008 de déposer un dossier de sélection. Le 31 mars, l’enveloppe bien scellée les papiers maintes et maintes fois revérifier, je dépose tout cela à La Poste et j’attends…. j’attends… j’attends. Je découvre un forum, entre temps appeler immigrer.com où j’y trouve conseils, informations, récits. Fin mai je reçois l’accusé réception de la Délégation du Québec à Paris. Il me faudra encore patienter tout l’été 2008 pour qu’enfin je décroche l’entretien à Paris. Ce sera le 11 septembre 2008 à 9h15 (!!!!!). Je suis le premier à passer, essayer de me relaxer tant bien que mal. La préposée à l’émigration est charmante et a su me mettre à l’aise. A peine une heure plus tard, je ressortais avec mon CSQ en poche. Maintenant, j’étais sûr à 99% de partir m’installer au Québec. La partie fédérale n’était qu’une simple procédure de vérification pensais-je. Le 22 septembre, après, là aussi avoir vérifié à plusieurs reprises que mon dossier était complet, je dépose le tout à la Poste direction Ambassade du Canada. Début décembre, je reçois mon instruction pour la visite médicale. Le 13 décembre commence une journée marathon à Rennes, la prise de sang à jeun à 9 heures, puis la radio des poumons à 10 h 30 et enfin le rendez-vous chez le médecin à 17 heures, celui-ci me trouve en pleine forme, pas de problème dans les poumons, prise de sang impeccable. Bon pour le service jeune homme !!! Je pensais recevoir ma brune en janvier et il m’aura fallu attendre mars. Chaque jour passant, je rentrais à la maison le cœur battant à la chamade chaque fois que j’ouvrais ma boîte aux lettres….
Ce vendredi de mars, je menais une réunion délicate où d’âpres négociations se jouaient. L’atmosphère était tendue et les participants ne voulaient rien céder. On me regardait avec insistance pour que je lâche du leste, alors je me lève de la table et dis à mes interlocuteurs que je dois vérifier quelques chiffres sur mon ordinateur. Petite manœuvre permettant de casser le rythme qui, croyez-le, était tendu comme un string dirait mon neveu ! L’écran affichait ma session de courriels privés, quand apparût un message de l’ambassade du Canada : sans doute un spam encore pensais-je. Mais mon prénom complet étant inscrit, je l’ouvris. Et là : ce n’était pas une brune, mais une e-brune m’indiquant que mon visa était prêt à être délivré.Je revins à la tables des négociations et en 5 minutes tout le monde trouva son compte, s’étonnant même de mon caractère jovial….Eh oui ! C’est comme ça que j’ai reçu mon visa. Et je ne vous dis même pas la manière dont je suis allé voir mon homme politique préféré pour lui dire un magnifique : « Je vous quitte ! »… L’appartement vendu, les meubles également, la voiture aussi. Mon billet en aller simple Paris-Montréal acheté, tout se bousculait dans ma tête. La date du 28 avril était retenue. Bip, bip, bip … bip, bip, bip … Je tournais la tête autour de moi, que peut bien être ce bip qui trouble notre torpeur ? Nous, les passagers du vol AT111 à destination de Montréal ? A nouveau, ces deux successions de bips. Le noir, le silence, plus de passager, plus d’avion. A tâtons, ma main glisse vers la nature du bip, le réveil de ma chambre. Je ne suis pas encore dans le vol AT111.
3h45 : le Jour J est enfin arrivé. A ma grande surprise, j’ai réussi à dormir. Un solide petit déjeuner dans le ventre, je vérifie à nouveau si je n’ai rien oublié. Un ami proche est arrivé tôt et ma mère, déjà levée prépare le café ; les minutes sont comptées, pas le temps de s’endormir sous la douche. 4h45 : l’heure de partir. Je suis tellement sous tension que nos au revoir furent comme à l’habitude, pleins de retenues, de pudeur, sans grande effusion de sentiments. Le cœur est lourd mais le barrage des cils a bien tenu jusqu’à la voiture. Deux kilomètres plus loin, il nous faut faire demi-tour, j’ai oublié mon portable.Je me suis imaginé ce départ à maintes reprises, je l’ai imaginé sous un matin frais de printemps, mais c’est la pluie qui nous a accompagnée. Ce ne furent pas les Adieux de Brouages, mais un au revoir de cette terre qui m’a vu grandir.40 kg de valises et 15 kg de bagages à main et me voici paré pour traverser l’Atlantique. Je repense à une chanson de Sardou où il dit : « ne pas se retourner ». Seule, la joie du jour J reprend le dessus. Il pleut sur Nantes chante Barbara mais personne pour me donner la main, j’ai fais ce choix seul, je pars seul. Le seul regret que j’ai, c’est celui de ne pas avoir fait assez de sport pour affronter le transport de ces 55 kg de bagages qui vont m’accompagner durant 12 heures.
Le train quitte Nantes direction Roissy, il est 6h04, l’aventure commence. Roissy CDG, une ville dans la ville, un centre commercial géant de voyages autour du monde, un paradis pour les philatélistes, mais avec 55 kg, l’Enfer sur Terre. Mais avec de la volonté et de l’espoir, on déplace les montagnes, même si celles-ci sont constituées de fringues, de cosmétiques et de papiers en tous genres.Enfin le terminal 3 ; 42 kg de bagages, 20 € de surtaxes. La police aux frontières passée, je suis dans le hall d’embarquement. 11h45, je m’accroche dans le bus qui nous amène à l’avion. Dans ce dernier, je m’installe confortablement en classe Club (eh oui, on n’émigre pas tous les jours). Je suis seul sur ma rangée, de quoi m’ébattre. 12h00 le départ est imminent, aucun stress, bien au contraire.12h25 – l’avion n’a pas pris son envol, les toilettes sont bouchées… un gag ! aucun stress, juste une pointe d’impatience qui commence à naître. 12h45 – les minutes s’égrènent, mais l’avion reste cloué au sol. Avec plus d’une heure de retard, l’avion se place enfin et nous sommes prêts à décoller. Le bébé d’en face s’est arrêté de crier, voire de hurler.
L’avion quitte le sol. Aucune inquiétude ni appréhension, juste le bonheur qui montre son nez au détour des nuages. Au milieu des trois sièges de la rangée, je suis seul. 20 minutes plus tard, nous tutoyons les côtes anglaises, et l’embouchure de la Tamise à 32 000 pieds d’altitude. Un spleen bizarre m’envahit… vite effacé car Sheila et les B-Devotion entonne « Love me baby » dans la radio de l’avion… la disco ! le remède au spleen. Un bon air de disco frenchie aux abords des côtes du Groenland !!! Le vol me paraît long avec cette attente à Roissy ; Quantum of Solace passe dans l’avion… de l’action, du nanar, où sont passés les Sean Connery et Roger Moore, décidément je me sens réac face à ce James Bond. L’heure de retard pèse malgré tout sur ce vol, l’impatience se fait pressante, mais déjà nous arrivons sur le Canada. J’avais simplement oublié que j’avais mis « Lettre à France » de Polnareff dans mon MP3, les cils n’ont rien pu faire, un torrent se déverse alors sur mes joues, impossible à retenir. Je ferme les yeux et j’écoute, je n’ai que ça à faire. L’hôtesse arrive me proposant une collation, voyant l’état de mes yeux rougis, elle me sourit avec une compassion désarmante. Mais déjà le commandant de bord nous prévient de l’arrivée sur Montréal. Allez, me dis-je, ressaisis-toi, il faut reprendre le dessus, et savourer l’atterrissage pour le graver à jamais dans ma mémoire. Il est doux et parfait ! rien à dire. Dans la passerelle entre l’avion et l’aéroport, les habitudes semblent revenir.
Passage à la douane puis service de l’immigration, sous ses airs bourrus et patibulaire, l’agent de l’immigration est d’un accueil impeccable. Passage à l’immigration Québec, tout aussi accueillant et plein de bonnes intentions. Le passage à la douane se fait dans une douceur et gentillesse qui me semble encore relever du film de science-fiction. Une heure plus tard, j’étais dans le hall de l’aéroport : ÉMIGRE !
Je suis enfin rentré chez moi ! Mon amie est venue me chercher, la joie, la fatigue, l’euphorie pendant quelques heures, quelques jours, puis les démarches à faire, RAMQ, NAS, permis de conduire et me voilà prêt. Une colocation m’attend dès le 1er mai avec une française arrivée ici depuis 3 ans. Je découvre le quartier, le Village ! enfin le nord du Village. J’ai l’impression de vivre dans la 4eme dimension, mais l’effervescence du quartier, son originalité, le Parc Lafontaine à quelques maisons me vont à ravir et je suis content d’être là. Maintenant je garde un mois pour me reposer et profiter. Je fais d’incroyables rencontres, éphémères, durables. Je découvre la ville, ses habitants, ses habitudes, ses mœurs et ses coutumes. Très vite je comprends un point fondamental pour un émigrant : c’est à moi de m’adapter et non aux autres de le faire ; j’en ferai un point d’orgues.
Je découvre alors les québécois(es) et je développe le concept du poisson rouge avec eux. On plonge la main avec du pain et on attend une heure, deux heures, le poisson ne vient pas. Le lendemain on réitère la chose, on l’aperçoit qui s’est caché dans un coin et qui observe. Le lendemain à nouveau on procède à la même chose et on finit par voir le poisson s’approcher et tourner autour de la main. Au bout d’une semaine il s’approche du pain et quelques semaines après il le mange et on peut presque le caresser. Si on ferme la main il part et ne reviendra jamais…. Je suis invité à mon premier barbecue… comme tout bon français j’arrive avec une bouteille et un bouquet de fleurs (en écrivant ces lignes, quelques mois plus tard, je ris à m’en décrocher la mâchoire), mon hôte me regarde surpris par les fleurs et me dit : « Ah ! heureusement j’ai prévu plus de viande ! »… c’est encore aujourd’hui une blague récurrente entre nous.
J’apprends les codes et les habitudes, j’ai la chance d’avoir un groupe d’amis (une gang) ouvert et curieux. Je ne fréquente pas les Français du Plateau. Je passe certainement le meilleur été de ma vie, insouciant, festif, plein de découverte, on me présente à 1001 personnes dont je ne me souviens à peine le nom. J’organise un 14 juillet avec ma colocataire pour tout le monde (français, québécois et autres), seuls les québécois sont venus… Je rate mon entrée dans le club sélect des barbecues en utilisant un barbecue au charbon… alors que tous ont des engins de guerre au gaz, ils ne m’en tiendront pas rigueur bien au contraire.
Ces amis me fournissent des meubles, m’emmène dans des endroits insolites… et je commence à rechercher du travail. J’entends encore mes amis me dire : « Avec le CV que tu as, tu nous fais 3 lignes de métro supplémentaires à Montréal ». Spécialiste en aménagement du territoire et transport public, c’est avec la fleur au fusil que j’envoie mon CV à la STM (Société des Transports de Montréal) ainsi qu’aux villes connexes. Une semaine plus tard pas de réponse. Les jours et les semaines passent, et je m’échine à trouver un travail dans ma branche professionnelle. Je finis par décrocher un travail bénévole dans un premier temps pour l’organisation d’un forum technologique piloté par un français. Celui-ci, connaissant la difficulté qu’ont beaucoup d’émigrant français à trouver du travail, me fait un contrat et me paye. Entre temps je contacte l’OFII et suis reçu…. un mois plus tard. Constat : mon CV n’est pas adapté car j’ai un CV mode française. On n’envoie pas un CV comme ça au hasard, on cible et on l’adapte tout le temps. Là, c’est la surprise pour moi. Les feuilles mortes se ramassent à la pelle disait Prévert et l’automne arrive très vite. Mon mandat d’organisation du forum terminé, je repars à la recherche d’un emploi.
Mais il me faut rentrer en France pour finaliser mon déménagement par cargo. Je passe le mois de novembre dans la tempête bretonne, à essuyer la pluie permanente, je suis tanné et Montréal me manque. Je rentre fin novembre avec mon chien, un golden retriever de 10 ans. Le froid s’installe et je suis toujours en colocation. Les amis québécois sont là et me soutiennent, mais n’ont pas de travail pour moi particulièrement. J’envoie presque 15 CV par jour sans jamais une réponse… encore moins négative. Je décroche une entrevue auprès de la Caisse des Dépôts du Québec, rien à voir avec le transport public, mais mon CV les intéresse. Question piège : combien voulez-vous de l’heure ? Je reste blanc. Jamais on ne m’a demandé cela en France. Je donne un chiffre au hasard. On me dit qu’on me rappellera si je suis retenu. Je n’ai jamais eu de rappel.
Les fêtes de fin d’année arrivent et il n’est pas question de chercher du travail, tout est gelé (si je peux me permettre la blague douteuse). Je suis incroyablement bien accueilli chez mes amis québécois pour Noël et mon cœur se réchauffe avec eux, je suis très entouré et je sens tellement de sincérité. Cela me manquait en France, la sincérité, surtout quand on occupe des postes où on doit avoir un gilet pare-balle et des yeux derrière la tête. Janvier arrive, mon chien tombe gravement malade et la clinique escrotérinaire me ponctionne 2051 $. Je dégraisse mon CV, j’enlève plein de choses, je m’évertue à employer des mots simples et à faire quelques fautes d’orthographe.. et le non croyant que je suis, met un lampion à Marguerite Bourgeoys à la chapelle Bonsecours….
Voilà un récit, qui bien sûr, n’est que personnel. Chaque cas d’immigrant est différent, chaque histoire a ses singularités. Un trait commun que l’on peut retrouver ici en lisant les commentaires c’est que beaucoup ont cru à un El Dorado ou bien que les choses étaient faciles. Que les Québécois, ce sont des Français en Amériques. Non ce sont des Américains qui parlent français (à quelques nuances près). Les codes sont ceux d’une Amérique jeune, se construisant. Les codes de la vieille Europe sont encaqués dans notre tête et il est malgré tout difficile de s’en détacher lorsque notre histoire personnelle les a tant utilisés. Chaque jour est un apprentissage ici, enrichissant. Même si, encore aujourd’hui, je m’accroche à cette étoile, je ne regrette rien du tout, bien au contraire. Je vis une formidable expérience humaine et je rencontre des gens sincères. Je laisse le temps au temps et, même si chaque jour est une bataille, chaque soir je savoure une victoire, celle de ME connaître encore un peu plus.
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