Lorsque la question des accommodements raisonnables était le débat de l’heure dans l’actualité québécoise en 2007 – on se rappelle le code de vie d’Hérouxville à l’attention des nouveaux arrivants – bien des observateurs, en particulier au Canada anglais, ont largement insisté sur le fait qu’un tel débat au Canada ne pouvait exister qu’au Québec.
Il semblait en effet d’une « évidence incontestable » qu’un Québec « replié sur lui-même sur le plan identitaire », animé d’un « nationalisme conservateur » et « recroquevillé sur son passé » ne pouvait qu’être frileux face aux pratiques et habitudes de vie des immigrants. Dans le grand et beau Canada multiculturel, le Québec était définitivement celui qui détonait, l’empêcheur de tourner en rond. Certains observateurs allant même jusqu’à avancer que cette « xénophobie » québécoise était rien de moins qu’inscrit dans le patrimoine génétique des québécois : on se rappellera par exemple l’éditorial hallucinant de Jan Wong – « get under the desk » – dans le Globe and Mail, blâmant la Loi 101 pour la tragédie au Collège Dawson (et dans un registre différent mais n’empêchant tout de même pas les amalgames, l’édition de MaClean’s expliquant la corruption galopante au Québec à cause des spécificités même des québécois).
En d’autres termes, la plus petite opinion venant du Québec allant le moindrement à contre-courant de la rhétorique politiquement correcte de la diversité culturelle était immédiatement et systématiquement interprétée par une certaine élite bien-pensante canadienne anglophone comme l’énième expression de la tare québécoise rétrograde et populaire. Une confrontation d’opinions qu’on pourrait largement calquer à une sorte de lutte des classes sociales comme on parle Margaret Wente, toujours dans le Globe and Mail, au sujet de l’échec du multiculturalisme en Allemagne selon la chancelière Angela Merkel : être en faveur à la diversité culturelle, c’est être ouvert, raffiné et cosmopolite alors qu’émettre des doutes (donc, sans y être formellement opposé), c’est être ignorant et raciste comme les classes populaires.
Mais après cette petite digression, revenons à nos moutons d’un supposé Québec génétiquement allergique aux sirènes du multiculturalisme et de l’immigration. Ainsi, lorsqu’il est écrit que « les immigrants de toutes races, religions et ethnicités sont les bienvenus mais il devra leur être manifesté qu’ils devront se commettre sans compromis aux valeurs fondamentales canadiennes ainsi que déclarer leur loyauté absolue envers le Canada », plusieurs y verront les relents d’un discours typiquement québécois cherchant à protéger mordicus son « Nous » face à « Eux ». Discours que l’on ne manquera d’ailleurs pas de voir comme un anachronisme en cette ère de « mondialisation des cultures » et « d’ouverture sur le monde ».
Or, cette phrase sur la nécessité demandé à l’immigrant de se conformer aux « valeurs fondamentales canadiennes » est tirée du Centre pour une réforme des politiques d’immigration. Il ne s’agit pas d’un organisme québécois mais canadien créé à Ottawa l’an dernier. La majorité des membres de son conseil d’administration et de son comité consultatif sont canadiens-anglophones et travaillent ou ont surtout travaillé dans des organismes non québécois. La mission que s’est donné cet organisme – qui ressemble en fait à un laboratoire d’idées (think-tank) – est de proposer « des modifications à la politique canadienne d’immigration ». Plus spécifiquement, il propose huit objectifs allant notamment de l’obligation pour l’immigrant de se conformer aux valeurs canadiennes (6ème objectif) à une remise en question du maintien de taux d’immigration élevés (5ème objectif) ou de ne considérer l’immigration comme main-d’œuvre complémentaire en faisant passer en priorité la main-d’œuvre actuellement présente au Canada (2ème objectif).
Lorsque des opinions, au Québec, ont émis des réserves quant à la capacité d’accueil de la société québécoise en maintenant des taux élevés d’immigration, bien des gens ont crié à l’intolérance. J’ai moi-même écrit dans une de mes chroniques être en faveur d’un gel des taux d’immigration comme une des conditions nécessaires pour améliorer l’insertion professionnelle et l’intégration sociale des immigrants déjà présents (position que je maintiens toujours). Lorsque des opinions, au Québec, ont souhaité que des mécanismes soient mis en place pour que les immigrants respectent davantage les valeurs québécoises (« telles l’autorité de la loi, l’égalité des sexes et la dissociation entre l’état et l’église » pour reprendre les propres termes du Centre pour une réforme des politiques d’immigration), bien des gens ont crié à la xénophobie. Vont-ils faire de même pour ce Centre ? Une certaine idée de la cohérence l’exigerait en tout cas.
De mon point de vue, l’existence de ce Centre, fruit d’une réflexion essentiellement tenue au Canada anglais par des canadiens-anglais est une illustration – parmi tant d’autres – qu’il n’y a pas de « spécificité » québécoise quelconque concernant une prétendue frilosité face au multiculturalisme. Continuer à maintenir la position inverse serait faire preuve de malhonnêteté intellectuelle. À titre d’anecdote, il est étonnant que dans la course à l’élection du prochain maire de Toronto, la plus grande ville multiculturelle au Canada, un candidat en particulier gagne en popularité, Rob Ford, dont les prises de position par rapport à l’immigration et à l’accueil des réfugiés ne s’inscrivent pas vraiment dans la ligne politiquement correcte du multiculturalisme canadien.
Je suis donc extrêmement heureux de l’existence de ce Centre au Canada-anglais. Non pas pour ses idées, ses positions où les affiliations politiques de ses membres que pour le débat qu’il peut créer, pour la remise en question qu’il lance sur ce multiculturalisme canadien considéré pendant si longtemps comme une évidence, un allant de soi. Dans un autre papier, j’ai déjà exprimé aussi ma grande inquiétude – non seulement pour le Québec mais aussi pour le Canada – pour cette fuite en avant dans la politique du multiculturalisme canadien où le Canada se retrouve actuellement emprisonné. Il ne peut plus gérer aujourd’hui plusieurs problématiques relatives à l’immigration et aux communautés culturelles (car ce sont deux choses différentes) sans remettre en question certains piliers fondamentaux de sa philosophie multiculturelle.
Il y en aura toujours pour dire que remettre en question, ne serait-ce qu’un iota, de la politique du multiculturalisme canadien, c’est être nécessairement raciste, xénophobe et passéiste. Cela me fait doucement rire de voir ces personnes si « raffinées » et « ouvertes » – et donc supposées être capables de faire preuve d’un esprit critique et nuancé – faire preuve, au contraire, d’un tel esprit de dichotomisation en simplifiant des réalités complexes. À moins que le Centre pour une réforme des politiques d’immigration soit, en vérité, infiltré par de méchants québécois nationalistes. Ça doit être ça.
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