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La mort comme facteur d’intégration

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J’ai récemment pris un café avec un Algérien, installé au Québec depuis une quinzaine d’années. On en a profité pour discuter de la situation au Bled, pour savoir si on a des projets d’y aller, cet été, passer des vacances et d’un tas de questions qui sont habituellement abordées entre des immigrants du même pays.

J’ai ainsi appris qu’il se construisait une petite maison dans son village natal…pour ses vieux jours. Il fait donc comme les dizaines de milliers de travailleurs algériens qui, jusqu’à il y a quelques décennies, partaient dans l’hexagone pour des raisons économiques et surtout avec l’objectif « naturel » de revenir dans le pays, soit une fois qu’ils auraient ramassé suffisamment d’argent pour le réinvestir au Bled soit à l’âge de la retraite. Leur immigration était certes vécue comme une expérience de vie mais elle était surtout perçue comme un moyen d’aller chercher un revenu pour faire vivre la famille. Il n’était pas question d’envisager de s’établir définitivement dans le pays d’accueil, la France en l’occurrence. Avant l’institution en 1976 du décret sur le regroupement familial par le président français, de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing, les pères de famille immigraient généralement seuls et envoyaient par la suite de l’argent par mandat à leurs familles restées au Bled. Depuis, la situation a changé. Lentement certes mais elle a changé. Beaucoup d’émigrés ont fait venir leurs familles et surtout ils restent en France après la retraite. Ils y coulent des jours heureux loin des projecteurs des médias qui préfèrent se focaliser sur les problèmes d’intégration de leurs progénitures. Nombreux parmi eux choisissent même d’être inhumés sur place après leur mort.

On parle beaucoup des facteurs d’intégration de l’immigration dans le pays d’accueil. On cite notamment la capacité à se trouver un travail, l’adaptation aux valeurs locales, la maitrise de la langue..etc. À en croire Athmane Aggoun, sociologue franco-algérien, la mort devrait aussi faire partie de ces facteurs, en ce sens que si l’on choisit de mourir et d’être enterré (inhumé) en terre d’accueil, c’est une décision qui exprime la volonté d’y construire des racines pour les enfants et les petits enfants… Bon je sais qu’on n’est pas en novembre le mois des morts, mais je trouve intéressant le lien fait entre choix de lieu d’enterrement et intégration. A. Aggoun, auteur du livre « Les musulmans face à la mort en France », a étudié essentiellement le parcours des émigrés algériens en France dont le projet d’immigration initial devait se conclure avec le retour le plus rapidement possible au pays…pour mourir sur la terre qui les a vus naitre. Le décret sur le regroupement familial qui a permis à des milliers d’émigrés de faire venir leurs familles et plus tard la dégradation des conditions de vie dans leur pays – échec des politiques de développement et décennie de terrorisme – sont à l’origine de la remise en cause progressive de ce que A. Aggoun appelle le « mythe de retour ». On assiste donc à l’augmentation des inhumations en terre d’accueil ce qui montre, selon le sociologue, que les musulmans se sentent de moins en moins étrangers en France.

Cette situation n’a pas manqué de générer de nouveaux besoins comme la création de carrés dits musulmans dans les cimetières municipaux, multiconfessionnels, avec le défi de prise en charge des rites entourant la mort dans l’islam. Pas trop compliqué quand même, semble-t-il: il faut simplement orienter les tombes en direction de La Mecque. Si la décision d’être inhumé dans le pays d’accueil est révélatrice du sentiment d’appartenance à ce pays, la bienveillance de ce dernier vis à vis des rites d’autres cultures peut l’être également à certains égards – qui ne remettent pas en cause les valeurs sociétales – et renseignerait sur le désir de faire de la place à ces nouveaux citoyens – même morts – qu’elle considérait jusque là comme des migrants temporaires …qui ne sont là que pour travailler.

Au Québec, avec les arrivées massives d’immigrants de toutes origines, on commence à s’intéresser à …la mort multiethnique. En fait, on s’y intéresse déjà depuis quelques décennies. L’université du Québec à Chicoutimi a accueilli à l’automne dernier un colloque sur « La mort musulmane en contexte d’immigration et d’islam minoritaire ». Contrairement à la France, les cimetières sont ici gérés par des groupes confessionnels. Le modèle français dominant c’est un cimetière municipal multiconfessionnel avec des carrés confessionnels. À Montréal, les Catholiques ont leurs cimetières, les Protestants les leurs et pareil pour les Juifs. L’immigration russe installée à Rawdon, village de Lanaudière avait mis en place un cimetière orthodoxe en 1962. Aujourd’hui, une quarantaine de communautés culturelles vivent coté à cote dans cette municipalité de 10 000 habitants et située à près de 70km de Montréal. Quand à l’immigration musulmane, elle est relativement récente au Québec. Elle dispose d’un cimetière, établi à Laval et géré par l’association religieuse le Centre islamique du Québec El-Markaz Islami.

D’après plusieurs témoignages, les immigrants récents qui décèdent au Québec se font rapatrier leurs corps dans leur pays d’origine. Par contre ceux qui sont établis ici depuis longtemps et y ont élevé leurs enfants, ils choisissent en général d’être inhumés au Québec. « Pourquoi je voudrais être enterrée en Algérie? Ici au moins, mes enfants viendront voir ma tombe, retireront la mauvaise herbe, se souviendront de moi… » me disait une quinquagénaire d’origine algérienne qui a perdu son mari, il y a quelques années, et qu’elle a inhumé justement au cimetière de Laval. Une façon comme une autre de mettre des fondations ici au Québec, en espérant que ses enfants et ses petits enfants n’hésiteront pas à se considérer comme des citoyens à part entière de ce pays. Et si finalement mon défunt père avait raison, lui qui me répétait que pour vivre il faut mourir. On va quand même essayer de vivre et désolé de parler de la mort sur forum que fréquentent des aspirants et aspirantes à une meilleure vie.

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Écrit par
Rayan

C’est à l’âge de 42 ans que Rabah alias Rayan arrive au Québec en octobre 2006 en provenance d’Algérie. Il s’installe avec sa famille dans la ville de Québec puis par la suite à Laval, au nord de Montréal. Rayan travaille dans l’enseignement et écrit depuis 2008 sur le site immigrer.com.

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