Le cinéma québécois
J’ai toujours été friand du cinéma français. Quand je vivais encore en France, plus jeune, j’avais la fameuse « carte UGC » qui me permettait d’aller au cinéma aussi souvent que je le voulais, la semaine ou les fins de semaine. C’est comme ça que j’ai découvert des films que je considère depuis comme « culte ». Citons « Un air de famille », « L’auberge espagnole », « Le péril jeune », « Les enfants du marais » et bien d’autres. J’avais aussi mes acteurs fétiches tels que Pierre Arditti, André Dussolier, Michel Serrault, Jean-Pierre Marielle, Fabrice Luchini, le couple Jean-Pierre Bacri / Agnès Jaoui, Bérénice Béjo qui est un peu l’étoile montante du cinéma français depuis peu’ la liste serait bien trop longue et j’en oublie de toute façon.
En venant m’installer au Québec, une de mes craintes était justement de passer à côté de tous ces films français que j’affectionne particulièrement. Je me suis dit que je ne pourrais en voir que certains au cinéma avec plusieurs mois de retard, et que ceux que j’aurais voulu voir ne seraient pas nécessairement projetés dans les salles de Montréal. J’avais raison. Seuls certains films français finissent par arriver avec quelques mois de retard dans certaines salles de Montréal uniquement. « Brice de Nice », « Les chevaliers du ciel », « Les Bronzés 3″‘ seuls les films français plus ou moins commerciaux réussissent à traverser l’Atlantique pendant que la grande majorité des autres, sauf exception heureusement, restent confinés à l’intérieur de l’Hexagone. Puisque j’étais en quelque sorte « privé » du cinéma français que j’aime vraiment, je me suis alors rapidement intéressé au cinéma d’ici.
Je ne me souviens plus du premier film québécois que j’ai vu dans une salle obscure montréalaise. C’est assez énervant d’ailleurs. Je sais par contre qu’un des premiers films québécois qui m’a été donné de voir m’a tout de suite fait comprendre que j’allais aimer le cinéma d’ici. Ce film, c’était « l’Audition », un film de et avec Luc Picard, je crois me souvenir que c’est même son tout premier film, la première fois qu’il passait de l’autre côté de la caméra. Est-ce le fait que les protagonistes habitent dans la grande tour du coin des rues Rachel et Christophe Colomb, au pied du Parc Lafontaine, c’est-à-dire la grande tour dans laquelle nous avons nous-mêmes, ma blonde et moi, habité pendant un an à nos débuts à Montréal ? Est-ce le fait que j’ai trouvé le scénario, les répliques et les acteurs très bons ? Est-ce le rôle qu’interprète Suzanne Clément qui m’a chaviré ? C’est à mon avis un mélange de tout ça. J’adore ce film tout simplement pour toutes ces raisons. Luc Picard, Luc Picard. Toi là, je vais te suivre. Je l’ai effectivement suivi plus tard dans « Un dimanche à Kigali », et je l’ai même croisé, le 18 novembre 2005 vers minuit, toujours rue Rachel (coïncidence ?), alors que je m’en allais reprendre la voiture après la soirée Immigrer.com au Café Rico ! Je l’ai reconnu malgré son manteau d’hiver, c’est vous dire. J’attends avec impatience son prochain film.
Entre « L’Audition » et « Un dimanche à Kigali », il y en a eu d’autres évidemment.
Un autre de mes films cultes québécois s’appelle « Horloge Biologique ». Quand je pense que j’ai tardé à le voir ! La sortie du film, le 5 Août 2005, coïncidait à quelques semaines près au lancement d’une nouvelle série sur Radio Canada intitulée « Les Invincibles ». Or, « Horloge Biologique » et « Les Invincibles » tournent tous deux autour du même thème : des hommes au début de leur trentaine, soumis malgré eux au doute et à la remise en question de soi face à la perspective prochaine de la paternité, de l’engagement dans le couple, du regroupement total et définitif autour du cocon familial une fois bébé arrivé. Est-ce le fait que je me suis reconnu dans les questions que le film de Ricardo Trogi soulevait ? Est-ce parce que j’ai découvert à moment là des acteurs et actrices tels que Pierre-François Legendre, Patrice Robitaille, Jean-Philippe Pearson, Julie Perrault, Julie Deslauriers, que je retrouve désormais avec beaucoup de plaisir dans d’autres film ou séries TV ? Est-ce encore parce que ce film était aussi pour moi une brique de plus ajoutée à l’édifice qui me permet aujourd’hui de mieux comprendre la société québécoise ? Oui, c’est pour tout ça. C’est pour les mêmes raisons que j’ai suivi assidûment la première saison de la série « Les Invincibles » (la saison 2 démarre en Janvier 2007 !) et que j’ai tout logiquement regardé plus tard le premier film de Ricardo Trogi : « Québec Montréal » qui rassemblait les mêmes acteurs refaisant déjà le monde et les relations hommes/femmes, le temps d’un trajet de Québec à Montréal sur l’autoroute 20.
Puis il y a eu « Elles étaient cinq », un film que j’ai raté alors qu’il était projeté en salles, pour finalement le recevoir en cadeau en DVD. Ghyslaine Côté. Un très bon drame qui, même si on devine le fin mot de l’histoire, est extraordinairement bien joué. Je me souviens y avoir vu des plans de paysage et des portraits saisissants. Sans parler de l’atmosphère oppressante que dégage le film, un peu à la manière des films de Dominik Moll comme « Harry, un ami qui vous veut du bien » et plus récemment « Lemming ». Ghyslaine Côté a récemment récidivé avec « Le secret de ma mère », que j’ai vu avec plaisir. L’ambiance y est beaucoup plus détendue puisqu’il s’agit d’une comédie dramatique. On y devine encore plus ou moins la fin mais celle-ci réserve quand même des surprises.
Comment ne pas passer sur des films comme « C.R.A.Z.Y. », et « Maurice Richard » ? Deux films qui retracent à leur manière une partie spécifique de l’Histoire du Québec, sous des angles évidemment bien différents. Le premier s’attaque à une famille et plus particulièrement un adolescent des années soixante, soixante-dix, en train de vivre une période où le Québec était en ébullition, pendant et peu après la Révolution Tranquille. L’autre se concentre sur un joueur de hockey du Canadien de Montréal dans les années quarante et cinquante, devenu depuis héros national pour nombre de québécois. Le film, outre l’évolution du « Rocket » dans la Ligue Nationale de Hockey, retrace la condition sociale des canadiens français de l’époque, jusqu’à l’émeute du Forum en 1955 suite à la suspension du joueur. « C.R.A.Z.Y. » ne sait plus quoi faire aujourd’hui de ses récompenses locales et internationales, alors que « Maurice Richard » en aurait certainement mérité plus d’une. L’un et l’autre travaillent sur des registres très différents, mais une fois de plus j’ai beaucoup appris en les regardant. Pendant que le premier me sensibilisait davantage à cette période que le Québec a traversé dans les années soixante et qui fait que le Québec est ce qu’il est aujourd’hui, le deuxième a su mettre les mots sur ce que je n’arrivais pas à exprimer mais que j’avais pourtant plus ou moins déjà compris à l’époque où je l’ai vu : cette profonde différence culturelle qui existe au sein de la société québécoise, à l’intérieur des frontières du même pays, entre les francophones et les anglophones.
C’est sans doute grâce à certains des films dont j’ai parlé, mais aussi bien sûr au temps qui a fait son ‘uvre depuis maintenant plus de deux ans que je suis ici, que j’ai ri de très bon c’ur aux très nombreux clichés et autres jokes de « Bon Cop, Bad Cop » le film d’Érik Canuel actuellement encore en salles. Encore une autre brique dans l’édifice ! J’en suis arrivé à un point où ce film ne m’a rien appris sur la société québécoise : il m’a permis au contraire d’en rire à ses côtés. Il m’a aussi fait parfois enrager par certains clichés, aussi bien côté « ROC » que Québécois d’ailleurs. Je n’aurais jamais apprécié ce film autant que j’ai pu le faire aujourd’hui si je l’avais vu en arrivant il y a deux mois par exemple.
Grâce à tous ces films, j’ai compris que le cinéma québécois n’avait selon moi rien à envier au cinéma français. Loin de là ! Je peux continuer ici à regarder des films ou seuls les dialogues et le jeu des acteurs comptent pour construire une histoire basée sur un scénario riche en rebondissements, sans pour autant y trouver d’armes à feu ou de voitures qui explosent. Je suis comblé : les films québécois m’apportent ce que je recherche quand je vais au cinéma : comédies de m’urs, drames psychologiques, films « historiques », tout y est. J’ai maintenant, en plus de mes acteurs français fétiches, mes acteurs québécois fétiches dont j’ai déjà évoqué les noms. Sans oublier ceux que je n’ai pas nommé comme François Létourneau, qui est par ailleurs un des scénaristes des Invincibles, Isabelle Blais, Lucie Laurier, Bianca Gervais (bon ok, elle c’est parce que je la trouve vraiment cute… je ne l’ai vue que dans « Le Secret de ma mère » donc il m’est difficile de juger ses talents d’actrice !)… et d’autres encore à venir !
Quand je vois ce dont est capable le cinéma québécois, j’ai pourtant du mal à accepter qu’il traverse à l’heure actuelle une mauvaise passe dont personne ne se préoccupe, pas même la ministre de la Culture et des Communications du Québec, Mme Line Beauchamp. Il rayonne à l’étranger, au festival du film de Munich en Allemagne ou encore au Festival du film Meridian Pacific en Russie, où « Bon Cop Bad Cop » et « C.R.A.Z.Y. » y ont été projetés (1) et notamment en France : le film C.R.A.Z.Y. a bien fonctionné dans les salles françaises. Du 22 au 28 novembre 2006 se tiendront au Publicis Store des Champs Élysées de Paris les 10 ans du « cinéma du Québec à Paris », un évènementiel produit par la SODEC’ Mais son rayonnement mondial cache une grave crise de financement.
Le principal problème vient du fait que la SODEC (Société de Développement Des Entreprises Culturelles) (2) n’a aujourd’hui plus assez de fonds pour soutenir tous les projets de long-métrages qu’elle souhaiterait produire pour l’année 2007. Comme elle n’a pas assez de fonds ‘ Ottawa n’a (ô surprise) pas accédé à la demande des professionnels du cinéma québécois, et ne comptons pas non plus sur Jean Charest, notre premier ministre libéral du Québec ‘ la SODEC est obligée de sélectionner les projets qu’elle soutient, au détriment d’autres, ce qui conduit à une baisse du volume de films produits au niveau national. Quant à Téléfilm Canada, les fonds que l’organisme distribue sont basés sur la performance des films en salles, ce qui entraîne bien évidemment une production à tendance plus commerciale. Le public ressent cette crise à sa manière, et par conséquent se fait plus rare dans les salles obscures. Je résume : moins de films « nationaux » : moins de public national, plus de grosses productions américaines. Que le succès pour le moins retentissant de « Bon Cop Bad Cop » ne fasse pas mouche : l’industrie du cinéma au Québec ne se porte pas si bien que ça.
Selon Daniel Turp, dans son article du Devoir des 29 et 30 Août 2006 (3) (4), « Seule l’indépendance nationale du Québec permettra de conférer aux institutions québécoises la capacité de décider de l’ensemble des mesures visant à soutenir et à consolider notre cinéma national et de rapatrier notamment les sommes que Téléfilm Canada investit aujourd’hui dans le cinéma québécois. » Il y a d’autres alternatives en attendant celle-ci, comme par exemple une redevance prélevée sur le billet de cinéma, ou encore l’incitation des entreprises privées québécoises au financement du cinéma. En ce qui concerne, je suis prêt à payer un peu plus cher mon billet, s’il le faut vraiment, pour pouvoir continuer à me délecter du cinéma québécois que je trouve très riche. C’est encore un cinéma jeune, mais pas pour autant naïf : il a déjà la tête sur ses deux épaules et il vous surprendra, surtout si comme moi vous aimiez le cinéma français. Je ne dis pas que le cinéma québécois copie ou ressemble comme deux gouttes d’eau au cinéma français, loin de là, sinon tous les films québécois seraient diffusés en France. Non, mais je leur trouve une sensibilité, une réflexion et une intelligence qui peuvent être comparées.
Comment ça, vous êtes encore là ? Allez, ouste ! Allez au cinéma, voir une production québécoise. Demain soir. Ou même ce soir tiens. Vous ne le regretterez pas ! Si vous êtes en France, ben’ venez vous zen icitte !
PS: L’auteur de cette chronique n’a reçu ni financement ni aide financière d’aucune sorte de la part de la SODEC. La SODEC n’a aucunement demandé à l’auteur de cette chronique de promouvoir le cinéma et les productions cinématographiques (long-métrages, courts-métrages, documentaires, liste non-exhaustive) du Québec. L’auteur de cette chronique est le seul responsable de ces écrits à l’endroit du cinéma et des productions cinématographiques du Québec.
Sources / Infos complémentaires:
(1) Festival du film Meridian Pacific : http://www.viff.ru/child.php?id=882
(2) Site de la SODEC : http://www.sodec.gouv.qc.ca
Article de Daniel Turp : le financement du cinéma québécois ‘ la crise / les solutions :
(3) http://www.ledevoir.com/2006/08/29/116895.html
(4) http://www.ledevoir.com/2006/08/30/116983.html
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