Le Party
En décembre 2000, je suis arrivée à Montréal avec mon petit bébé tout neuf, accueillie par toute ma famille. C’était la première fois qu’il y avait tant de monde à notre arrivée. J’ai franchi la sortie et j’ai vu leurs yeux s’embuer de larmes. Ma mère a crié : « Je veux le tenir dans mes bras en premier ». On a pleuré. Ils s’extasiaient comme si Benjamin avait été le premier bébé de toute l’humanité.
Cette fois, édition novembre 2003, nous avons fait le trajet, seuls, de Dorval jusqu’à Gatineau, jusqu’à cette maison de location difficilement trouvée et dont j’avais rêvé pendant des mois, dans un quartier bien pépère, idéal pour les enfants.
Il y avait des ballons bleu, blanc et rouge devant la maison. J’ai présenté mon deuxième petit bébé tout neuf. Pressée de m’emparer de ma maison, de retrouver un chez-moi, j’ai éparpillé nos 10 valises (mentionnées dans une chronique précédente) un peu partout dans les pièces de cette « petite » maison selon les standards canadiens.
Cette fois, tout était différent. Nous étions là pour rester et inconsciemment, nous savourions moins que d’habitude ces moments d’émotion. Avec l’émerveillement, venait la peur.
Mon frangin, qui est également mon voisin, est arrivé avec sa famille. Et c’est là que les obligations ont commencé.
J’aime ma famille. Ils ne sont pas chiants côté « fêtes familiales », nous n’en avons jamais été abreuvés. À part le mien, et celui d’une cousine très chère, je n’ai jamais assisté à un mariage. Des funérailles, pour ma famille proche uniquement. Rien d’autre, pas de partys de Noël, pas de mononcle pompette, pas de beaufs, pas de blaireaux. Vous me trouvez cynique à l’égard de la famille ? Bah oui, mais pourtant j’aime bien la mienne tout de même. Avec la distance, nous avons appris à nous connaître. Le jour où j’ai annoncé mon départ à Paris, j’ai eu l’impression d’enfin gagner leur respect. Un copain québécois m’avait dit en blaguant « Tu seras invitée à tous les partys pour le reste de tes jours, juste parce que tu auras vécu à Paris ! ».
Parlant de party…. C’est grâce à mon frangin que j’avais cette maison, et c’est grâce à lui également que j’avais un boulot (mon boss est un copain). Et c’est à cause de ça qu’il m’a dit :
« Tu sais, ce serait bien que tu ailles au party de Noël de ton employeur dans 3 jours.
– Ben voyons Frangin, je ne les connais pas !
– Justement, ce serait l’occasion idéale de faire un peu de PR (public relations, pour les néophytes). Ton boss aimerait bien ça, qu’il m’a dit. »
Super. Tout ce que j’ai besoin en ce moment, c’est que mon frère complote avec mon boss. Déjà, la pensée d’un party avec des gens que je connais me pétrifie. Je ne vous décris pas mon eczéma lorsqu’on me parle d’un party avec des gens que je ne connais pas. Pour éviter de me retrouver en train de devoir faire la conversation à une gang d’informaticiens d’Ottawa, j’aurais repris le premier avion en direction de Paris. J’imaginais mon mari complètement largué parmi tous ces English-speaking only. J’angoissais de laisser mes petits seuls (eh oui, en France, pas de famille, donc pas de baby-sitter, donc aucune sortie). J’en voulais à mon frère de me mettre cette pression de faire bonne impression. J’ai souvent eu de stress professionnel durant mes années en France, mais jamais de mon frangin.
Finalement, nous sommes tous tombés malades et nous ne pouvions raisonnablement pas aller au party dans ces conditions. Déjà dans l’avion, nous avions tous les symptômes du SRAS et les agents de bord nous regardaient d’un air plutôt inquiet. Durant cette première semaine québécoise, une banale grippe s’est confirmée pour nous quatre. Mon mari habituellement gourmant repoussait toute idée de nourriture. Les enfants ne faisaient que tousser et gémir. Je n’arrêtais pas de dire que j’avais froid (plainte rarissime chez moi).
Premières contrariétés. La famille nous trouve ben plates. Franchement, quelle idée, tomber malades alors que c’est une semaine de fête. Les reproches ont fusé, de ma mère notamment. On n’était que des geignards et puis si on voulait passer notre temps à aller chez le médecin, on n’avait qu’à rester en France. Jusqu’à ce qu’elle pogne le « SRAS » elle aussi. DeeJay (mon homme) s’est bien marré sur ce coup.
Le lendemain de notre arrivée, rendez-vous à la banque. « Madame JayJay, tu sais qu’on ne pourra pas te donner de carte de crédit avant un an, hein ». HEIN ? Non, je ne sais pas. Pas de carte de crédit, ça veut dire, pas de possibilité d’avoir des facilités de paiement pour acheter les électroménagers, pas de prêt voiture…. Nous avalons la pilule avec difficulté (d’ailleurs nous l’avalons toujours). Eh bien non, je ne m’étais pas renseignée avant. Pas besoin, je suis Canadienne. N’est-ce pas.
Tentative d’inscription de notre fils à l’école. Il est trop jeune, bien sûr, mais il allait à l’école en France et je voulais savoir quelles étaient les possibilités de l’y inscrire pour septembre prochain. C’est mon mari qui s’occupe des démarches puisque j’ai dû commencer le boulot plus tôt que prévu. « Euh…. vous avez sa carte de résident permanent ? », demande-t-on à mon mari. « Non, puisqu’il est Canadien ». « Oui mais monsieur, il n’est pas né ici, vous comprenez, on a besoin d’une preuve…. ». Je vous rassure, au bout de quelques longues minutes de négociation, on accepte son passeport canadien comme preuve de sa nationalité canadienne.
Je ne veux certainement pas faire de cette chronique un débat sur les mérites du Canada vs. la France. Je veux vous parler de cet océan qui vous séparera des vôtres et de votre culture.
Se sentir étranger dans son propre pays est un sentiment que vous connaîtrez tous, un jour. Vous n’y croirez pas. On ne met pas des semaines à se réadapter à son pays, on met des années. Un voisin militaire qui a passé 3 ans à Lahr en Allemagne me l’a dit : « Le plus dur, ça été le retour ».
Vous vivrez sûrement des déchirements en tant qu’expatriés. Une naissance loin des siens, par exemple, est parfois difficile à vivre. Il y a des moments où on se sent vulnérable et on souhaiterait être épaulé. Il y a des fêtes de Noël qui sont un peu trop empreintes de nostalgie.
Pourtant je remettrais parfois cet océan entre ma famille et moi. Votre famille vous maintient toujours un peu dans l’enfance, or c’est parfois enivrant de vivre une vie d’adulte, sans obligations autres que celles dues à son banquier. Sans souvenirs amers, sans passé. On est parfois « révélé » à soi-même et aux autres dans des conditions extrêmes, et la solitude, l’apprentissage forcé de nouveaux codes sociaux, d’une nouvelle langue, favorisent cette révélation de soi. Quant à moi, j’ai appris là-bas ce que c’était que de rigoler avec une bande de potes autour d’une bouffe sympa. J’ai appris à ne pas faire semblant d’être quelqu’un que je ne suis pas. J’ai appris à aller vers les autres. Je sais, pour l’avoir vécu, que vous êtes inquiets d’un éventuel déchirement et du mal du pays. Pourtant, je vous dis « Go for it ». Je vous envie. Ces six années d’expatriation ont été les meilleures de ma vie jusqu’à maintenant.
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