Les principaux discours actuels – c’est-à-dire non pas ceux ayant nécessairement une approche objective mais plutôt ceux ayant les moyens de se faire entendre plus que les autres – sur l’immigration et la diversité culturelle ont définitivement conduit au bannissement du terme « assimilation » de toute discussion publique se voulant politiquement correct. Ainsi, la personne qui proposera des mesures perçues comme assimilationnistes dans l’intégration des immigrants se fera fort probablement …. assimilée à une personne raciste par ces discours prônant quasiment un relativisme culturel absolu.
La défense d’une « juste » cause constituant, semble-t-il, une raison amplement suffisante pour ne pas s’embarrasser de petits détails futiles comme les incohérences dans un raisonnement et autres contradictions dans l’argumentaire.
Il est vrai que l’assimilation – au sens culturel du terme – n’a pas bonne réputation considérant les dérives historiques qu’elle a connu (colonialisme, justification pseudo-scientifique d’une hiérarchie des races, eugénisme, génocide). Un peu comme le mot « propagande », idéologiquement connoté depuis la seconde guerre mondiale. Pourtant, l’assimilation est un mécanisme nécessaire, incontournable et sain dans tout processus d’intégration comme immigrant. En effet, comment s’intégrer minimalement dans sa nouvelle société d’accueil sans s’approprier au moins une partie de sa culture ? Ce qu’on appelle pudiquement intégration revient à parler d’assimilation. Exemples : pouvoir communiquer avec autrui dans toute société (à l’épicerie, dans une administration, au téléphone, sur un terrain de sport, dans une association, etc.) exige le partage d’un même code linguistique entre personnes. Chercher un emploi va nécessiter une connaissance minimale des techniques de recherche d’emploi en vigueur dans le marché du travail local (lettre de présentation, c.v., préparation aux entrevues, etc.). Se constituer un réseau social va impliquer une certaine compréhension des rites sociaux en usage (comment rentrer en contact avec les gens, les sujets facilitant les discussions, les gestes à éviter pour ne pas froisser son interlocuteur, etc.).
On pourrait multiplier les exemples à l’infini mais on aura compris l’idée : impossible de s’intégrer sans une maîtrise minimale de certains codes sociaux fondamentaux de la société d’accueil. Même l’immigrant le plus réfractaire à toute intégration – souhaitant vivre à l’écart sans aucun contact avec le reste de la société – a connu une certaine assimilation pour la bonne et simple raison que pour pouvoir s’isoler culturellement, cela implique nécessairement de connaître, dans la société d’accueil, ce dont on ne veut pas. L’assimilation, tout comme l’intégration, est donc un processus fondamentalement relationnel : quand on s’isole, on le fait toujours par rapport à quelqu’un, à un groupe culturel, à une société. Par ailleurs, dans les sociétés occidentales actuelles – comme le Québec – la modernité a fait en sorte d’en faire des espaces culturels extrêmement diversifiés. Nous ne sommes plus à l’époque de ces sociétés très homogènes où un seul modèle culturel dominait au point d’exiger une assimilation totale aux nouveaux arrivants (sous peine d’une sévère marginalisation sociale). Bien sûr, il préexiste encore un certain modèle culturel québécois (d’héritage catholique, de descendance française et britannique, de type majoritairement caucasien et d’obédience occidentale) dont l’influence sur le processus d’intégration est encore très importante (et surtout logique dans la mesure où il est issu du groupe majoritaire). Ceci dit, aucun néo-québécois aujourd’hui ne subira d’excommunication culturelle s’il n’est pas catholique, n’est pas caucasien et ne vient pas d’un coin de l’Occident. Au contraire même : le Québec, comme toute société occidentale, est de manière générale en recherche de diversité culturelle et « d’exotisme ». Ainsi, le « danger » d’assimilation totale est aujourd’hui bien relatif car cela exige un environnement social très homogène culturellement, c’est-à-dire rappelant constamment à l’immigrant ce qu’il doit faire, ne doit pas faire, ce qu’il doit penser, ne doit pas penser, etc.
Tout cela pour dire que vu sous cet angle, l’assimilation au Québec n’est pas cette horreur culturelle que des groupes de pression, drapés dans leur discours de bienveillance et d’ouverture à l’autre, n’hésitent cependant pas à donner comme intention au québécois – surtout s’il a le malheur d’être blanc et de souche – qui se questionne sur la capacité du Québec à intégrer correctement ses immigrants. L’assimilation ne correspond plus à cette opération de lavage de cerveau visant à effacer la culture d’origine pour la remplacer par celle de la société d’accueil : continuer à considérer l’assimilation de cette façon, c’est avoir une approche réductrice de la personnalité humaine. En effet, la personnalité n’est pas une boîte qui, dès qu’on y installe quelque chose de nouveau (comme c’est le cas lorsqu’il y a assimilation culturelle), signifie qu’automatiquement, quelque chose de déjà là est irrémédiablement perdu, effacé à jamais.
Ainsi, apprendre le français ou consommer de la culture québécoise ne signifie pas que l’immigrant perdra, en retour, sa langue d’origine ou oubliera peu à peu sa culture d’origine. Bien au contraire : la personnalité humaine, sur le plan culturel, est capable de faire cohabiter, vivre et épanouir plusieurs modèles culturels en elle. Elle n’est pas une boîte au volume prédéterminé et limité mais plutôt un espace aux combinaisons potentiellement infinies. D’ailleurs, il est ironique d’entendre combien un québécois fait preuve « d’ouverture » lorsqu’il se montre intéressé à connaître des cultures différentes de la sienne alors que lorsque l’invitation est lancée à l’immigrant de montrer la même disposition d’esprit envers la culture québécoise, l’épouvantail de « vouloir l’assimiler » n’est jamais bien loin. Pour certains tenants d’une diversité culturelle à tout-va, il est ainsi surprenant de constater que cette diversité est en fait clairement orientée dans une seule direction bien précise. C’est-à-dire celle, bien entendu, faisant leur affaire.
On aura compris que le titre de ce papier joue sur l’expression bien connue au Québec des accommodements raisonnables. C’est une façon de faire contrepied non pas au concept d’accommodement en tant que tel – que j’estime approprié en soi – mais à un certains discours social élevant l’accommodement en principe absolu, manipulant sans scrupule la société d’accueil en développant chez elle un sentiment de culpabilité si elle ne se montre pas assez accommodante. En fait, il serait plus juste de parler de micro-assimilations car je ne cautionne évidemment pas toute mesure visant une assimilation totale. Ainsi, l’immigrant peut très apprendre et bien parler français et envoyer ses enfants à l’école anglophone ou encore maîtriser les us et coutumes des façons de travailler et d’interagir d’ici sans manifester un quelconque intérêt pour la culture artistique québécoise par exemple. Il y a donc ici non pas un processus assimilatoire se répandant comme un virus dans la personnalité de l’immigrant en vue d’une conversion culturelle totale mais plutôt ce que Lévis-Strauss a appelé un bricolage identitaire : la personne faisant cohabiter des modèles culturels différents entre eux en se chargeant d’en faire un ensemble plus ou moins cohérent qui feront varier ses apprentissages et comportements en fonction des contextes sociaux.
On pourrait me répondre que, dans ce cas, la crainte de bien des québécois de se faire assimiler à la culture anglophone n’est donc pas si fondée que cela. Dans un sens, c’est possible en effet. Mais c’est négliger alors un facteur important dans l’équation : la culture québécoise est enchâssée dans un ensemble continental majoritairement anglophone. Autrement dit, si vous tenez tant que ça à trouver absolument un risque potentiel d’assimilation, les poids numériques des sociétés anglophone et francophone sur le continent devraient vous fournir un petit indice assez clair de la direction vers laquelle se tourner. Et, du même coup, peut-être alors comprendre le bien-fondé de la crainte de bien des québécois.
Pour conclure, une pensée pour Haïti.
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