Le hasard fait en sorte que mon tour de chronique tombe au moment même où la Tunisie vit un chapitre extraordinaire de son histoire mais aussi et surtout déterminant pour son avenir. Pour moi, il était donc clair que je devais parler de ce pays dans ce papier. Si l’exercice est stimulant – une révolution populaire venant à bout de 23 ans de dictature ! – il n’en est pas moins périlleux : n’étant ni tunisien, ni familier de la culture tunisienne (la rendant encore plus attrayante) et n’ayant pratiquement aucune personne proche dans mon réseau social actuel issue de cette culture, le terrain est un peu glissant.
Mais en fait, cela me paraissait périlleux car je cherchais une façon d’aborder directement une culture, un pays, une histoire dont je ne connais que peu de choses. Mais heureusement, notre Ministre fédéral des Affaires Étrangères, l’honorable Lawrence Cannon, m’a donné le 14 janvier dernier la porte d’entrée salvatrice pour parler de la Tunisie dans cette chronique sans trop me casser la figure. Qu’il en soit ici remercié.
C’est en effet le 14 janvier dernier que Mr Cannon a émis pour la première fois un communiqué sur la position canadienne officielle au sujet de la situation en Tunisie. Certes, le ministre se félicite que des élections législatives puissent s’y tenir bientôt pour enfin y instaurer un gouvernement démocratique. Certes, le ministre s’inquiète légitimement de la situation des canadiens s’y trouvant (environ un millier). Mais ce communiqué constitue à ce jour et à ma connaissance la seule réaction officielle du gouvernement canadien à l’égard de la situation en Tunisie.
Personnellement, je trouve cela pas mal ordinaire : un petit communiqué et rien d’autre. Bien entendu, le Canada ne partage pas avec la Tunisie une longue histoire comme c’est le cas de la France par exemple (une histoire pas toujours belle d’ailleurs). Je ne pense pas me tromper en écrivant que la réalité géopolitique canadienne (et donc sa diplomatie) est, avec raison, essentiellement tournée vers l’Amérique du Nord. Par contre, l’extraordinaire « révolution du jasmin » constitue, selon moi, le rappel le plus récent de l’obligation qu’a le Canada d’assumer les conséquences de son ambition d’être une terre d’immigration.
Mon raisonnement est (trop ?) simple : en se vantant (tout comme le Québec d’ailleurs) d’être une contrée ouverte sur l’immigration au point d’inscrire formellement le multiculturalisme dans le patrimoine identitaire canadien, le Canada doit par conséquent assumer les implications que cela entraîne, entre autre, en termes de politique extérieure. L’intensification de l’immigration et provenant en outre de plusieurs cultures différentes (car une importante immigration ne conduit pas automatiquement à une plus grande diversité culturelle) conduit à l’installation puis à l’enracinement de communautés culturelles diversifiées dans la société canadienne. S’enraciner peut signifier bien des choses : se trouver un travail, acquérir une maison ou encore celle de devenir citoyen canadien et de s’attendre donc que le Canada soit sensible aux événements touchant le pays dont l’immigrant est originaire. C’est là une façon parmi tant d’autres pour le Canada de témoigner sa reconnaissance envers les immigrants qui se sont installés chez lui et qui contribuent, quotidiennement, à son développement.
D’où ma déconvenue de voir que la réaction canadienne officielle se limite à un seul communiqué : une réponse qui me paraît bien timide face à l’importance de ce qui se passe en Tunisie. C’est la portée historique des événements (non seulement pour ce pays, pour tout le Maghreb mais aussi pour le monde entier) ainsi que le respect pour la communauté tunisienne au Canada qui explique ma déception. Et qui justifie aussi à mes yeux que le Canada n’ait pas à réagir à tout événement touchant un pays ayant une communauté ici (sinon, on ne s’en sort plus).
Il y a donc pour moi un manque de cohérence : il faut assumer toutes les conséquences du choix de faire du Canada une terre d’immigration. En d’autres termes, la situation actuelle en Tunisie nous rappelle que l’immigration n’est pas seulement un enjeu de politique intérieure (sur les plans démographique ou économique par exemple) mais aussi un enjeu de politique extérieure. L’immigrant, une fois au Canada, n’oublie certainement pas son pays d’origine : il est alors en droit de se demander comment son gouvernement fédéral va agir lorsqu’un événement d’importance se déroule là où il est né. Il y a évidemment des façons beaucoup plus concrètes d’exprimer sa reconnaissance aux immigrants (reconnaissance des diplômes, obstacles à l’emploi, ressources supplémentaires dans l’apprentissage de l’anglais ou du français). Mais je crois que cette reconnaissance peut aussi prendre le visage d’une diplomatie qui soit aussi ouverte qu’un discours sur le multiculturalisme prétend l’être depuis des années.
Si l’on met tout cela en perspective, on constate malheureusement que la réaction officielle du Canada à la situation en Tunisie n’est que la copie des réactions officielles précédentes par rapport, par exemple, à la situation en Haïti ou l’accession à l’indépendance du Monténégro en 2006. Ce dernier exemple illustre par ailleurs l’impasse dans laquelle se retrouve de plus en plus le Canada entre son discours de terre d’immigration et sa politique extérieure : Ottawa s’est retrouvé coincé entre une communauté serbe refusant que le Canada reconnaisse cette indépendance, une communauté monténégrine s’attendant au contraire à une reconnaissance officielle … et une société québécoise s’amusant de voir comment le gouvernement fédéral allait s’en sortir avec cette question d’indépendance, enjeu si délicat ici.
Toute mon admiration va ainsi aux tunisiennes et aux tunisiens. Et tout mon soutien va aux immigrants d’origine tunisienne qui, au Canada, pensent à leurs proches en Tunisie.
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