Une phrase résonne dans ma tête : » L’infirmière ne connaît pas les temps d’attente… « On ne peut vivre dans un environnement sans être confronté, un jour ou l’autre, à ce qui le constitue.
Il y a un baptême à tout, ou presque…
Nous sommes en septembre.
Une journée chaude et ensoleillée comme, étonnement, l’Amérique du nord sait parfois nous en refiler.
On joue les prolongations et l’été indien n’aura bientôt plus sa signification du fait cette continuité qui s’annonce.
Vu sous cet angle, merci au réchauffement climatique…
Nous décidons d’aller taquiner les poissons.
Une sortie en famille par une belle journée ensoleillée, une journée de détente qui se profile.
Mais une journée de pêche récréative peut, contre toute attente, vite se transformer en cauchemar…
Assis sur nos chaises, au bord de l’étang, nous ne quittons pas des yeux les flotteurs .
Une heure passée, toujours aucune prise.
Une journée plate sur ce plan, mais l’ambiance est bon enfant, c’est le principal !
Un gamin, sur notre droite, s’était un peu éloigné de ses parents et s’amusait à jeter sa ligne, les pieds dans l’eau…
Il allait de gauche à droite, entrait dans l’eau pour en ressortir après quelques instants… enfin il arrivait à faire tout ce qu’il fallait faire pour faire fuir nos truites.
Mais bon, c’est une journée de détente et nous prenons les choses du bon côté.
Les enfants sont ici pour s’amuser… nous surtout pour nous amuser à les voir s’amuser…
Tout d’un coup, j’entends mon fils pousser un cri.
Il a porté sa main gauche à sa tête et de la main droite retiens un fil.
Le gamin, dans un geste gauche, vient de lui planter ses hameçons dans le cuir chevelu.
Une belle prise, la première du jour…
Le premier réflexe est de couper rapidement le fil et d’isoler les hameçons, au nombre de deux.
Le leurre dégagé, il s’avère qu’il y a au total trois points d’ancrage : deux pour le premier hameçon et un pour le second .
La difficulté, pour l’extraction, réside dans la forme même des crochets de l’hameçon : leur extrémité est recourbée en forme de V , et une extraction par le canal d’introduction entraînerait un déchirement du cuir chevelu.
Ceci étant, nous sommes immédiatement orienté, par les premiers secours, vers l’hôpital de plus proche.
Première nouvelle non réjouissante, aucune ambulance n’est disponible, selon eux, avant un délai de deux ou trois heures ( ! ) Nous sommes alors invités, après avoir rempli les fiches de renseignements, à l’y emmener en utilisant notre véhicule.
Arrivés aux urgences, nous procédons à l’inscription de mon fils sur la liste d’attente, et ensuite à la vérification de la validité de sa carte d’assurance maladie.
Ceci fait, je m’aventure, étant assez inquiet, à demander un renseignement à la personne ayant procédé à l’inscription :
« S’il vous plait, vous ne sauriez pas … »
Elle ne me laisse même pas terminer ma phrase, secoue la tête de gauche à droite et oriente son regard (en m’invitant donc à poser le mien) sur une affiche, collée en bas de la vitre, où était écrit en gros caractères :
« Nous ne connaissons pas les temps d’attente »
Je reviens m’asseoir à côté de mon fils, qui se plaint de douleurs et me fait part de sa crainte d’avoir une infection.
Au bout d’une trentaine de minutes, une porte s’ouvre et une infirmière, tout de rose vêtue, nous appelle.
C’est l’étape d’évaluation de la gravité de la maladie, étape suite à laquelle un triage est fait pour l’ordre de passage.
Car il est bien indiqué, sur une autre affiche, que l’ordre d’arrivée n’indique pas nécessairement l’ordre chronologique de passage, mais que c’est la gravité du cas qui sera déterminante quant à la hiérarchisation des cas.
Très juste, il y a une relativité dans les cas, bien qu’il n’y ait pas de malade bien-portant…de surcroît dans un service d’urgences.
Il est 14 h 15 minutes.
Sur la porte de cette salle, encore un autre message similaire au précédent:« L’ infirmière ne connaît pas les temps d’attente »J’imagine que la fameuse question a du être tellement de fois posée, qu’ils ont finalement trouvé une parade…Nous avons le ticket N° 78.
Ce numéro n’a donc maintenant, l’étape d’évaluation de la gravité du cas passée, plus de sens pour l’ordre de consultation.
Je plante un peu le décor…
Je scrute rapidement la salle…
Environ une quarantaine de personnes y sont présentes.Quelques minutes après notre arrivée, une femme, accompagnée de ses trois enfants, y a fait irruption, une petite fille dans les bras.
Après avoir procèdé à son inscription ( une fillette âgée d’environ quatre ans qui s’est apparemment fracturé l’avant-bras droit ) , elle s’est installée en face de nous.
Pleurs et cris inévitables.
Il y a entre autres une personne qui attire mon attention : une jeune femme assoupie dans un fauteuil roulant, deux béquilles posées contre le mur.
Un autre couple de Québécois est assis à nos côtés.
Ils sont en discussion avec une autre dame.
L’homme soupire et lance, d’un air dépité : « ils nous ont dit qu’au maximum, l’attente serait de douze heures…»
La notion de temps est subjective et est ressentie différemment selon le contexte.
Il s’agira ici de douze longues heures de souffrance pour certains !
En serais-je donc rendu à attendre jusqu’à 2 heures du matin ?
Le temps passe…
Les minutes se suivent,
Et puis les heures…
Il est minuit 30 minutes.
Dix heures plus tard, nous n’avons toujours pas été appelés.
La dame, dont la fillette s’était fracturée l’avant- bras,se rend une dernière fois à l’accueil et fait face à la sempiternelle réponse :
« Nous ne connaissons pas les temps d’attente, madame »
Devant prendre le bus ( dont l’arrêt de la circulation se fait à 1 heure du matin ) elle se résigne à partir, avec sa petite fille toujours en pleurs…
Le vieux couple de Québécois passe enfin ; la vielle dame s’était assoupie sur son banc.
La femme dans le fauteuil roulant attend toujours…
1 h 30 du matin…
On nous appelle enfin !
Salle N 5
Nous entrons.
L’infirmière : « C’est pour la ,plaie ? »
Moi : « Non madame, c’est d’abord pour l’extraction des trois crochets …»
L’infirmière : « Veuillez patienter »
Elle ressort immédiatement et puis… plus rien, plus personne pendant environ 40 minutes !
Un médecin fait enfin irruption dans la salle et se présente.
Un médecin résident.
Nous lui expliquons le cas et à son tour il nous explique la méthode avec laquelle il compte procéder.
Anesthésie locale faite, il procède à l’extraction, sans trop de peine, des deux premiers crochets du premier hameçon.
Au tour du dernier crochet.
Malheureusement, celui-ci se casse au moment de l’extraction.
Direction radiologie et on réussit à localiser le bout restant.
Après une double incision au scalpel, le bout de 4 mm est extrait.
Mon fils s’en tire avec trois points de suture.
Il est 2 h 50 du matin… Nous ressortons de l’hôpital, pratiquement 13 heures après y être entré.
La dame dans le fauteuil roulant attends toujours…
Je comprends maintenant pourquoi « personne n’est apte à vous dire l’indécent temps d’attente »
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