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Mes chers voisins

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L’autre jour, en me voyant sortir de chez moi en voiture, et à quelques maisons de la mienne, une dame septuagénaire, s’est empressée à vive allure pour me barrer la route puis s’est penchée pour se présenter et me saluer. Elle m’a ensuite demandé de lui présenter mes enfants. J’aime beaucoup les enfants, disait-elle. Sur le coup, j’ai été intrigué par son attitude puisque ça fait près d’un an que nous vivons dans ce quartier et il m’est arrivé plusieurs fois de l’apercevoir devant chez elle sans s’adresser la parole. Après tout, nous ne sommes pas des voisins directs. En fait, la dame reprochait à mes enfants le fait d’avoir foulé sa pelouse en courant après Bella, notre chatte. Depuis que cette dernière a flairé l’existence, dans le quartier, de créatures de son espèce et de sexe opposé, elle ne se tient plus tranquille et guette constamment l’ouverture de la porte pour sortir de la maison. Pourquoi je vous raconte cela? Pour vous dire que je souffre parfois d’une sorte de syndrome d’appréhension des relations de voisinage. À chaque fois que je déménage et que j’arrive dans un nouvel appartement ou une nouvelle maison, j’appréhende en effet mes relations avec mes nouveaux voisins. Non pas parce que j’ai une quelconque tendance à déranger mais je me dis qu’on n’est jamais à l’abri d’un incident. On peut parfois causer du tort sans en être conscient.

Il faut dire que des voisins, j’en ai eu pas mal dans ma vie en raison de mes nombreux déménagements. Dans mon enfance, mes voisins étaient aussi mes cousins : je suis né dans un village de la Kabylie profonde, en Algérie. C’est dire que mes premiers voisins savaient tout de ma famille et on savait tout d’eux. Le contenu des repas n’est jamais un secret pour les voisins, pas plus d’ailleurs que les chicanes familiales mais tout le monde faisait avec. On ne savait presque pas ce que déranger un voisin signifie. Il y avait même un coté positif à cette proximité : une certaine solidarité dans les moments difficiles. En ville où j’ai quand même passé la majeure partie de ma vie, les voisins guettent tout aussi ce qui se passe dans la maison ou le logement d’à coté : ça fait jaser et ça occupe. Quand on arrive dans un quartier, il ne faut pas plus de quelques jours pour connaitre et être connu de tout le monde. Ce n’est pas propre à l’Algérie. Ça semble concerner tous les pays du Sud, là où on laisse peu de choses dans la sphère privée d’une personne ou d’une famille. Si ça ne tenait qu’à ça… Non, il y a pire. Les questions de bornage de terrain, de clôture, d’inondations et d’autres peuvent parfois causer des litiges, plus ou moins graves, entre les voisins. Il y a même eu des tueries pour des différends sur quelques centimètres de bornage. En arrivant au Québec, je savais que je laissais derrière moi ce genre de litiges mais j’étais conscient que l’espace privé est ici sacré et que d’autres types de litiges et de conflits pouvaient survenir dès la moindre atteinte à l’espace privé et à la quiétude d’une personne. Ces litiges peuvent aussi être amplifiés quand on est un étranger qui débarque dans un quartier habité entièrement par des citoyens de souche. Ainsi, en emménageant l’année dernière dans notre maison, je m’interrogeais sur la façon d’agir pour garantir de bonnes relations de voisinage. Cela évidemment n’a rien à voir avec les soucis qu’on peut se faire quand on habite en famille dans un appartement et avec des voisins en dessous. Dans ces cas, il faut carrément s’arrêter de marcher à partir d’une certaine heure sinon vous savez que vous dérangez. L’insonorisation est un vrai problème, les odeurs de cuisine aussi. Je me rappelle de la remarque que m’avait faite un voisin lorsqu’on vivait dans notre premier appartement, un sous-sol. Ça faisait deux semaines qu’on était au Québec et on était entièrement sous le charme : on ne voyait que le bon coté des choses. Ce voisin habitait au 4e étage et se couchait visiblement très tôt à cause de ses horaires de travail. « Ah, c’est vous le nouveau voisin, c’est donc de chez vous que s’est dégagée l’odeur épouvantable de cuisine hier vers 18heures. Elle m’a empêché de dormir ». Le mot épouvantable m’avait choqué et je n’avais pas apprécié le fait qu’il soit si certain que ça provenait de chez moi. De plus, je ne trouvais pas que notre cuisine avait une odeur forte car on n’a pas l’habitude de mettre trop d’épices dans nos plats. Sur le coup, j’étais très marqué mais je n’ai pas souvenir d’avoir eu ensuite d’autres problèmes sinon que je suis « retombé » sur terre lorsqu’on a volé le vélo de ma fille. Après ce sous-sol, nous avons loué un autre logement plus spacieux, plus confortable et mieux situé et c’était au premier étage. Le propriétaire avait insisté pour qu’on le prenne en arguant que c’était l’idéal pour une famille. Je n’avais donc pas trop de craintes de déranger les voisins d’en dessous. Il ne nous a pas fallu beaucoup de temps pour nous apercevoir que notre vie, dans cet appartement, allait être difficile et notamment pour les enfants. J’étais constamment aux aguets après eux pour leur apprendre à marcher plus lentement et à s’abstenir de se déplacer à partir de 20 heures. Le comble c’est que ce n’était pas suffisant. Mon voisin de pallier, s’était plaint au propriétaire de voir constamment « mes enfants voyager dans les escaliers ». En vérité, nous n’avions que trois courtes marches à monter pour se retrouver chez nous. Le fait est que notre voisin n’était pas un pas une personne « ordinaire ». En faisant sa connaissance, la première des choses qu’il m’avait dite c’est qu’il était content de voir partir l’ancienne locataire, une étudiante qui « faisait tout le temps la fête ». Mon voisin était une personne âgée. J’avais été d’ailleurs étonné de le voir terminer sa vie dans un appartement avant de comprendre qu’après tout, ce n’est pas tout le monde qui peut se permettre d’aller vivre dans une maison pour les ainés. Mon voisin est décédé au cours de mon bail. Après son décès, la pression est retombée mais notre décision est de tout faire pour acheter une maison et de s’y installer dès la fin du bail. C’est carrément autre chose d’habiter une maison. Les enfants ont plus de liberté et les adultes peuvent lâcher du lest sur la pression qu’ils exercent sur eux. On peut élever la voix sans penser que le voisin nous entend. Notre espace privé est plus vaste et ça évite d’empiéter sur celui des autres.

Mes voisins actuels, je vous les présente : à droite, un beau couple d’homosexuels; en face, deux frères qui habitent dans la même maison avec leurs familles respectives (tiens, je ne pensais pas que ça existait ici). À gauche, une femme avec ses enfants et derrière, un homme sexagénaire vivant seul et qui reçoit de temps en temps ses deux garçons. Avec nous, comme seuls représentants des communautés culturelles (rire), c’est presque un microcosme de la société québécoise d’aujourd’hui. S’agissant de mes contacts avec mes voisins, ils nous ont tous souhaité la bienvenue, à notre arrivée l’année dernière : Pas le premier jour ni forcément la première semaine mais ils l’ont tous fait. Depuis, on se dit bonjour quand on se croise. Tout se passe bien…ou presque. Avec mes voisins de droite, l’échange le plus long, s’est produit le mois dernier. La neige fondait et je songeais à démonter l’abri-auto mais le vent a décidé d’accélérer les choses. Il ventait très fort ce jour-là et l’abri-auto n’avait plus les tonnes de neige comme appui supplémentaire pour se maintenir au sol. Conséquence, il s’est arraché et s’est envolé jusque sur le toit de la maison des voisins. Ces derniers, contrairement à moi, étaient chez eux au moment des faits. Ils ont d’abord été pris de panique, craint d’éventuels dégâts et ont donc sorti l’appareil photo pour constituer des preuves. Puis, en constatant qu’il s’agissait après tout d’un abri-auto en toile, ils se sont calmés. Quelques minutes plus tard, j’arrivais. J’étais mort de honte et de gène. Je me suis excusé plusieurs fois et je leur ai dit que c’était de ma faute et que peut être, par manque d’expérience, je n’avais pas bien fixé l’abri-auto. En effet, selon eux, je n’avais pas mis les bons supports de maintien au sol. De toute façon, je n’ai jamais été un bon bricoleur. Mon défunt père me disait souvent que j’avais de la chance d’avoir été à l’école car autrement je mourrais de faim. Mes voisins nous ont ensuite aidé à démonter l’abri-auto et m’ont dit de ne pas hésiter à demander leur aide en cas de besoins. Je les aidés à mon tour à démonter le leur. C’est ainsi qu’on a sympathisé. Je pense d’ailleurs les inviter un jour ainsi que les autres voisins à un souper chez moi, pour faire mieux connaissance autour d’un couscous et leur montrer que même si nous sommes des « étranges » (qui signifie étrangers pour certains québécois), nous ne sommes pas si étranges que ça.

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Écrit par
Rayan

C’est à l’âge de 42 ans que Rabah alias Rayan arrive au Québec en octobre 2006 en provenance d’Algérie. Il s’installe avec sa famille dans la ville de Québec puis par la suite à Laval, au nord de Montréal. Rayan travaille dans l’enseignement et écrit depuis 2008 sur le site immigrer.com.

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