Pourquoi les délais d’immigration sont si longs?
samedi , 12 avril 2025
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Pourquoi les délais d’immigration sont si longs?

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Les longs délais d’immigration sont souvent présentés comme le résultat d’une bureaucratie débordée. Pourtant, selon une récente étude publiée dans le Journal of Immigrant & Refugee Studies, ils sont aussi — et surtout — le fruit de décisions politiques stratégiques. Les politologues Mireille Paquet (Université Concordia) et Anna K. Boucher (Université de Sydney) proposent une lecture inédite du phénomène, en s’appuyant sur les cas du Canada et de l’Australie.

Le constat est clair : les délais en immigration ne sont pas seulement le signe d’une machine administrative inefficace, ils sont aussi des outils politiques utilisés par les gouvernements.

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Des causes multiples derrière les délais

Dans leur étude, les chercheuses identifient quatre grandes sources de délais en immigration, bien au-delà de la simple « surcharge » des services.

  1. Des politiques mal conçues
    Certaines lois ou programmes créent eux-mêmes les files d’attente. Au Canada, par exemple, le programme de réunification familiale pour les parents et grands-parents, lancé sans plafond annuel, a provoqué un engorgement historique : plus d’un million de demandes en attente en 2011, avec des délais annoncés de 15 à 20 ans.
  2. Des défaillances techniques
    L’adoption de nouveaux systèmes informatiques ou le vieillissement des infrastructures existantes provoquent aussi des retards. Le Canada a connu des blocages avec son Système global de gestion des cas (GCMS) et ses outils de traitement biométrique, tandis que l’Australie faisait face à des pannes d’anciens logiciels.
  3. Des défis juridiques
    Les recours en justice, comme les mandamus au Canada qui forcent l’administration à traiter des demandes, ou les appels massifs de demandes d’asile en Australie, créent des arriérés judiciaires et ralentissent l’ensemble du système.
  4. Des décisions politiques délibérées
    Certains dossiers sont volontairement ralentis pour des raisons politiques. Par exemple, en Australie, les membres des familles de réfugiés arrivés par bateau ont vu leur réunification retardée par des décisions ciblées, dans un objectif de dissuasion.

L’inaction comme stratégie politique

Un autre apport important de l’étude est de montrer que ne rien faire face aux retards peut être une décision politique en soi.

Laisser les files d’attente s’allonger permet parfois aux gouvernements de restreindre l’accès à l’immigration sans avoir à modifier ouvertement les lois ou faire face à des controverses publiques. En d’autres termes, le délai devient un filtre implicite, un outil discret mais puissant.

Les gouvernements ont des moyens d’agir

Contrairement à ce que laissent entendre certains discours politiques, les gouvernements disposent de nombreux leviers pour agir sur les délais. L’étude identifie quatre grandes stratégies :

  • Ordonner : Prioriser certaines catégories de dossiers, comme le fait le Canada avec le système Entrée Express pour l’immigration économique.
  • Réorienter : Créer de nouvelles voies d’immigration pour détourner la pression sur les anciennes, comme le Super Visa canadien pour les parents et grands-parents.
  • Investir : Allouer plus de ressources humaines et financières pour accélérer le traitement, ce qu’a fait le Canada avec son tribunal de l’immigration après l’explosion des demandes d’asile en 2018.
  • Cesser : Annuler massivement des demandes, une méthode radicale employée en Australie pour désengorger les demandes de visas étudiants dans les années 1990.

Ces réponses montrent que les retards ne sont pas une fatalité : ils sont modulables, gérables — et éminemment politiques.

Une arme politique discrète mais lourde de conséquences

Les retards en immigration ont des impacts humains bien réels. Ils génèrent de l’anxiété, déchirent des familles et retardent l’intégration économique et sociale des nouveaux arrivants. Plus grave encore : ils minent la confiance dans les institutions publiques.

« Les délais changent la relation entre la personne et l’État », souligne Mireille Paquet.
Attendre pendant des années avant d’obtenir un statut ou de rejoindre ses proches altère le sentiment d’appartenance et érode la perception de justice.

Une question de mérite… et de politique

Enfin, les délais traduisent aussi des choix implicites sur qui mérite d’entrer et qui peut attendre.
Les États sélectionnent, trient et priorisent selon des critères économiques, sécuritaires ou idéologiques. Cette gestion temporelle de l’immigration fait partie intégrante de la gouvernance migratoire contemporaine.

En s’appuyant sur l’exemple du Canada et de l’Australie, cette étude propose un regard nouveau sur les origines et la gestion politique des longs délais dans les systèmes d’immigration. Les quatre causes évoquées (erreurs de conception législative, problèmes techniques, défis judiciaires et choix politiques) et les stratégies gouvernementales qui leur répondent (réorganiser l’ordre de traitement, réorienter les demandes, investir massivement ou supprimer les dossiers) constituent un cadre analytique intéressant pour comprendre la situation dans d’autres pays.

Du point de vue des personnes migrantes, ces files d’attente sont toujours vécues comme une épreuve : angoisse, projets bloqués, familles séparées. Du point de vue des gouvernements, elles peuvent être un outil de gestion, ou un enjeu politique qui met en jeu des arbitrages entre attractivité économique, respect des droits humains, contrôle des frontières et équité. En définitive, l’étude montre que la présence de backlogs importants n’est pas une fatalité, mais un fait politique qui peut, s’il y a une volonté, être géré de façons variées selon les priorités d’un État.

Ainsi, concluent Paquet et Boucher, les délais ne sont pas qu’un problème technique. Ils sont une arme politique silencieuse, façonnée par des décisions stratégiques, qui façonne à son tour la société.


Qu’est-ce qu’un backlog dans l’immigration ?

Un backlog migratoire, c’est une accumulation de dossiers en attente d’être traités par les autorités : visas d’étudiants, permis de travail temporaires, demandes de résidence permanente, demandes d’asile, etc. La taille du backlog n’est pas forcément transparente pour le public.

Source : Le DevoirTaylor & Francis Online

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Écrit par
Laurent Gigon

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