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Référendum et immigration

Voici le dernier volet d’une trilogie commencée il y a de cela deux chroniques. Cela avait débuté par la nécessité, à mon sens, de l’implication citoyenne de l’immigrant dans sa société d’accueil pour poursuivre sur l’ouverture à un hypothétique droit de vote aux résidents permanents. Et je boucle la patente avec un thème aussi savoureux que récurrent : faudrait-il accorder le droit de vote aux résidents permanents dans le cadre d’un référendum sur la souveraineté au Québec ?

J’avais conclu ma dernière chronique en écrivant que la question nationale – on comprend que lorsque je parle de question nationale, je le dis dans une perspective québécoise – était délicate pour deux raisons aussi importantes que divergentes. D’un côté, peut-on accorder le droit de vote à cette question aux résidents permanents alors qu’ils ne possèdent pas nécessairement toute la connaissance des enjeux qui y sont reliés ? De l’autre côté, peut-on leur refuser ce droit considérant que cette catégorie de la population souhaite, de manière générale, faire du Québec l’endroit où elle souhaite vivre comme n’importe quel(le) autre québécois(e) ? Autrement dit, autant l’inclusion que l’exclusion des résidents permanents au corps électoral pourrait avoir une influence sur les résultats d’un éventuel référendum (et ce, quelque soit le résultat qu’on souhaite).

Les résultats du dernier référendum sur la souveraineté du Québec ont reflété l’extrême polarisation de l’opinion publique : le camp du non l’a emporté avec moins de 55 000 voix de majorité, ce qui est exceptionnel considérant qu’il y avait plus de cinq millions d’électeurs inscrits et que le taux de participation fût supérieur à 93% [1]. La chose – et quelle chose ! – s’est donc décidée dans un mouchoir de poche. Pour information, plus de 43 000 résidents permanents ont été accueillis au Québec en 2005 (16.5% de l’immigration totale au Canada), un nombre qui ne cesse d’augmenter depuis plusieurs années et qui n’a jamais été inférieur à 37 000 depuis au moins 2001 [2]. On ne se contera pas de menteries. Au-delà des enjeux économiques et démographiques tout à fait légitimes, l’immigration constitue également un enjeu politique éminemment important.

Examinons les deux facettes du dilemme relié au thème de cette chronique.

Premièrement, accorder le droit de vote aux résidents permanents dans le cadre d’un référendum sur la souveraineté du Québec. Voilà une arme à double tranchant qu’on soit souverainiste ou fédéraliste. L’immigrant est en effet une patente assez volatile qui peut très bien pencher d’un bord comme de l’autre (dépendamment de ses convictions et surtout de l’environnement dans lequel il vit) et même s’en foutre de la question nationale – ce qui est son droit le plus strict à quelque part –. Par ailleurs, il est assez logique de penser que l’immigrant ne connaît pas ou n’est pas assez conscient des enjeux en action (ou pire : est persuadé d’en savoir suffisamment). Parce qu’il est immigrant et parce qu’en toute sincérité, il a autre chose à faire que de s’intéresser à l’histoire du Québec dans les premiers temps (se trouver une job, comprendre et se faire comprendre des québécois, manger une poutine, assimiler le concept, fort complexe au demeurant, que le Numéro d’Assurance Sociale n’a rien à voir avec un quelconque système de sécurité sociale).

Dans ce contexte, donner le droit de vote au résident permanent c’est un peu confier le volant de son char à un chum qui ne connaît pas du tout le code de la route en vigueur. Et en plus, comment définir précisément les enjeux reliés à un référendum sur la souveraineté ? Question d’Histoire, d’économie, de politique, de culture, d’identité, etc …. en n’oubliant pas de garantir l’impartialité de « l’enseignant » pour s’assurer d’un vote en toute connaissance de cause du résident permanent au moment fatidique face à lui-même et à sa conscience dans l’isoloir ! Déjà que le Ministère de l’Éducation a proposé un « document de travail » épurant le programme d’histoire au secondaire en coupant des pans entiers de l’Histoire du Québec …. [3]. D’ailleurs, bien des résidents permanents en savent plus sur l’Histoire du Québec que bien des québécois de souche (nul n’est prophète en son pays). Pourtant, cela en fait-il des électeurs plus avertis que les pures laines ? Pas nécessairement. Parce qu’il peut étaler une solide connaissance du Québec de manière rationnelle sans avoir été capable d’en comprendre toute l’émotion qui y transpire. Car il y a une énorme charge affective reliée à cette question nationale. Si vous avez l’occasion un jour de regarder des documentaires sur les référendums, saisissez l’intensité des regards des Johnson, Chrétien et Charest (camp du Non) et la verve des Lévesque, Parizeau et Bouchard (camp du Oui).

Car si l’immigrant a pu bouger une fois pour venir s’installer au Québec, il peut encore bouger dans le reste du Canada, retourner dans son pays d’origine ou s’essayer dans un autre pays. Ça dépend de plein de facteurs (l’animal est volatile je vous le rappelle). Avec le temps, il peut effectivement développer un fort lien affectif avec le Québec mais je ne connais aucun immigrant capable de faire de la Belle Province sa seule patrie dans son cœur. À la différence du québécois pur laine qui n’a d’autre patrie que le Québec (on s’entend que je parle ici du québécois qui n’a jamais immigré). Autrement dit, si le résultat à un référendum ne convient pas à l’immigrant, celui-ci peut décider de partir vers d’autres cieux. Pas nécessairement le cœur léger mais il peut le faire je pense. Mais qu’en est-il du québécois ? La question est difficile : toutes proportions gardées, pensons aux Pieds Noirs en Algérie, aux Caldoches en Nouvelle-Calédonie, aux Boers en Afrique du Sud, etc. Cette différence dans la charge émotive peut donc avoir une influence significative dans l’isoloir.

Il y a une différence entre vivre le « Love-In » de Montréal quelques jours avant le dernier référendum et le découvrir, l’explorer et le connaître via un reportage, un documentaire ou quelques articles comme ce fût mon cas.

En outre, comment s’assurer de la volonté sincère du résident permanent de faire du Québec son lieu de résidence ? Parce que c’est quand même une condition minimale que de résider au Québec pour avoir le droit de vote. Il serait en effet ahurissant de donner ce droit à un résident permanent fraîchement arrivé et qui se donne un an au Québec avant de savoir où s’installer définitivement au Canada. Là, ça reviendrait à donner le volant au gars qu’on a pris en stop et lui dire que c’est lui qui décide maintenant de la route à prendre ! Concrètement, c’est difficile à évaluer : une maison ça se vend, une job ça se change, même une blonde ou un chum québécois !

De l’autre côté, ne pas accorder le droit de vote aux résidents permanents. Comment se sentirait la personne résidente permanente qui vit et travaille au Québec, y paie des impôts, y a développé un réseau de contacts, très certainement aussi une relation affective et qui, cependant, n’aurait pas son mot à dire dans l’évolution de la destinée de la province ou du pays (je parle ici du Québec) ? Peut-être est-ce ainsi que se sont sentis les canadiens du reste du Canada lorsque les référendums sur la souveraineté ont eu lieu au Québec : il y a un risque de démantèlement de mon pays (je parle ici du Canada) et je n’ai pas mon mot à dire. Quoique de manière concrète, je crois que ce n’est pas tant le désir sincère que le Québec reste au sein du Canada que le désir de garder un Canada indivisible qui habite peut-être le reste des canadiens. La différence est subtile mais ô combien importante. Cependant, j’avoue ne pas avoir vérifié cette subtilité auprès de chacun des trente-deux millions habitants de ce pays (je parle encore ici du Canada) avant d’écrire cette chronique. Désolé.

Cependant, il m’apparaît tout aussi légitime qu’une société ressente le besoin de se prendre en main – le droit à la libre autodétermination – surtout lorsqu’elle passe par la voie démocratique pour s’interroger sur cette question. Bref, il serait donc normal qu’un résident permanent se sente frustré si on ne daigne pas demander son avis. Son futur en sera tout autant grandement affecté : jusque dans quelle mesure, là est la question. Et plus important, cela peut avoir une influence déterminante sur le développement ou la consolidation de son sentiment d’appartenance envers la société québécoise. Cela revient à voir son avenir se jouer dans des mains ailleurs que les siennes sans pouvoir y faire grand chose. Notons que c’est là une réalité que les québécois ont bien connu et connaissent encore.

D’un point de vue éthique, ne pas accorder ce droit de vote reviendrait à dire aux résidents permanents : « t’as le droit de monter dans le char et de bénéficier de tout le confort intérieur mais faut que tu participes aux frais d’essence et payer une partie de la note s’il faut le faire réparer. Et pour la direction qu’on prendra, ton avis te sera demandé mais tu ne participeras pas à la décision finale. » Bon, en ne perdant pas de vue qu’après trois ans dans le char, je deviens éligible à faire partie de la gang pour décider aussi.

Mais l’éthique ne permet pas de se protéger des abus et des dérives. Quoi qu’il en soit, si le prochain référendum se joue encore une fois dans un mouchoir de poche, avoir au préalable accordé le droit de vote aux résidents permanents peut potentiellement constituer une bombe sur le plan politique. Rappelez-vous que le Québec accueille en moyenne depuis quelques années quelques quarante mille immigrants et que le Non l’a emporté au dernier référendum par une marge inférieure à cinquante mille voix …. Je ne suis pas naïf au point de croire que tous les résidents permanents voteront soit pour le Oui soit pour le Non. J’avance simplement l’hypothèse que si un référendum se tenait fin 2007 par exemple et en postulant une moyenne annuelle de 35 000 nouveaux résidents permanents au Québec depuis 2005, cela fait un bassin supplémentaire d’électeurs potentiels d’environ 100 000 personnes grosso modo (j’exclu les résidents permanents arrivés avant 2005 en supposant qu’ils auront obtenu la citoyenneté canadienne en 2007 aux fins de simplifier le calcul).

Ce bassin deviendrait une bombe politique avant le référendum car si la polarisation de l’électorat est aussi prononcée qu’en 1995, cette centaine de millier de résidents permanents aurait en quelque sorte la balance du pouvoir. Et après le référendum, quelque soit le résultat en autant qu’il se joue dans une marge aussi fine qu’en 95, ces résidents permanents seraient soit portés aux nues soit ostracisés selon le point de vue dans lequel on se place. Car l’avenir de toute une nation mais aussi d’une confédération se sera joué entre les mains d’une gang d’immigrants dont on n’est pas certain de la loyauté ni de l’éveil citoyen à cette question ! Le souvenir de la fameuse phrase de Jacques Parizeau au soir du dernier référendum reviendrait très certainement nous hanter à ce moment-là. Attendez que je me rappelle …. [4]

On pourrait notamment se rappeler l’opération « citoyenneté instantanée » mené par CIC – téléguidé depuis Ottawa – lors du dernier référendum. Le seul mois précédant le 20 octobre 1995 (jour du vote), 11 500 personnes avait obtenu leur citoyenneté canadienne en quelques jours. C’est ce que rapporte Robin Philpot dans son livre et qui continue en disant que « en tout, 42 375 personnes ont obtenu le droit de vote prématurément » [5]. Au risque d’être fatiguant, je vous rappelle que le référendum s’est joué avec moins de 55 000 votes …. Si le concept de citoyenneté est souvent galvaudé de nos jours, il n’en reste pas moins qu’un de ses privilèges – le droit de vote – devient une puissante arme dans des circonstances particulières. Pour prendre un autre exemple que je connais bien, il a fallu plusieurs années de négociations entre l’Assemblée Territoriale de Nouvelle-Calédonie et le gouvernement français pour s’entendre sur la définition du corps électoral calédonien. En effet, fallait-il inclure ou non les métropolitains résidant sur l’île depuis au moins dix ans considérant que la délimitation de ce fameux corps électoral revêtira une importance stratégique …. Par exemple, lors d’un éventuel référendum sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie prévu normalement en 2014.

Alors entre l’arme à double tranchant et la bombe politique, l’affaire est loin d’être gagnée. D’autant plus que j’entends souvent l’argument que dans l’hypothèse d’un Québec devenu souverain après X référendums, il n’est pas interdit de penser que la population québécoise pourrait envisager un retour dans la confédération canadienne après, là aussi, X référendum(s). Si on a le droit dans un sens, pourquoi pas dans l’autre, tsé veut dire ? Un peu dans le même principe des villes fusionnées de force qui ont défusionnées après référendum. J’avoue que je n’en sais rien. J’ignore totalement l’impact d’un retour en arrière sur le plan juridique, que ce soit au niveau fédéral ou international. Mais même si cela était possible sur le plan légal, cela serait hautement improbable je pense. Défusionner après avoir été fusionné a un impact sur le compte de taxes mais pas plus que cela je pense. Défaire un pays, ça a un impact identitaire, culturel, politique et économique, ce ne sont pas les exemples qui manque même si le cas du Québec aurait évidemment ses propres particularités.

En conclusion, la question n’est donc vraiment pas évidente. L’ironie de l’histoire, je la situerai bien volontiers pour les résidents permanents souverainistes. En effet, c’est assez amusant de réaliser qu’ils doivent demander la citoyenneté canadienne pour pouvoir voter Oui (à la souveraineté, tout dépendamment comment la question sera posée ….) au prochain référendum. Autrement dit : faire toutes les démarches pour devenir canadien pour espérer ne plus l’être …. canadien !

[1] Données et résultats électoraux – Directeur Général des Élections du Québec : http://www.electionsquebec.qc.ca/fr/resultats_ref.asp

[2] Statistiques sur l’immigration du MICC : http://www.micc.gouv.qc.ca/publications/pdf/Immigration_Quebec_2001-2005.pdf

[3] « Cours d’histoire épurés au secondaire » Le Devoir – 27 avril 2006 : http://www.ledevoir.com/2006/04/27/107695.html

[4] Clin d’œil à la biographie de René Lévesque : « Attendez que je me rappelle …. » Éditions Québec / Amérique (1986)

[5] « Le référendum volé » de Robin Philpot aux Éditions Des Intouchables (2005). On peut retrouver un résumé de cet ouvrage sur le lien suivant : http://www.vigile.net/spip/article236.html

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